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Droit de la famille
Existence et effets de la possession d’état
Mots-clefs : Action en contestation de paternité, Possession d’état, Critères d’appréciation, Durée, Conformité au titre, Irrecevabilité de l’action
La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits et dépend de certaines qualités pour produire effet, notamment celui de pouvoir rendre incontestable le lien de filiation.
Si la maternité peut être contestée, la paternité l’est, en réalité, plus souvent. Notamment par le prétendu père, comme en témoigne l’arrêt commenté. Trois ans après son divorce, houleux, un homme engage une action en contestation de sa paternité vis-à-vis de sa fille, dont la filiation fut établie par reconnaissance volontaire avant d’être légitimée par mariage. Pour obtenir l’annulation de l’acte de reconnaissance, le père conteste la « possession d’état » de l’enfant, expression désignant la situation de fait qui révèle « le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir » (art. 311-1 C. civ.). En première instance puis en appel, l’action en contestation de paternité est déclarée irrecevable au motif que « nul, à l’exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d’état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance (…) » (art. 333 al. 2 C. civ.) et qu’en l’espèce, la possession d’état, conforme au titre, a duré, incontestablement, sept ans. Le père se pourvoit alors en cassation, reprochant aux juges du fond, d’une part, de s’être exclusivement fondés, pour caractériser la possession d’état de l’enfant, sur la relation personnelle et mutuelle entretenue avec l’enfant (tractatus) sans tenir compte de l’opinion de l’entourage et de la famille sur la réalité de la filiation (fama), d’autre part, d’avoir négligé la qualité de non équivocité de la possession d’état en ignorant le fait que son ex-conjointe rappelait à leur fille comme à leur entourage qu’il n’était pas le père de l’enfant.
La Cour de cassation doit donc répondre à cette question : comment s’établit la possession d’état d’un enfant ?
Plus particulièrement, pour conclure à l’existence d’une possession d’état d’un enfant, les critères traditionnels (fama, nomen, tractatus) sont-ils cumulatifs ? Exhaustive, la Cour de cassation répond en ces termes : « (…) attendu que M. Y avait vécu avec Laura pendant 7 ans (…), que durant toute cette période, il s’était comporté comme le père de l’enfant, l’avait traité comme sa fille et avait pourvu à son entretien et à son éducation, et qu’elle-même l’avait considéré et traité comme son père, que des liens profonds s’étaient noués entre l’enfant et sa famille, notamment la mère de M. Y. qui se comportait comme une grand-mère, la cour d’appel a pu déduire l’existence d’une possession d’état non équivoque, qui rendait l’action de M. Y. irrecevable ».
Pour apprécier la possession d’état d’un enfant, qu’il s’agisse d’établir ou de contester sa filiation, il convient en principe de tenir compte des relations mutuelles du prétendu parent et de l’enfant (tractatus), du nom que porte ce dernier (nomen) et de l’opinion de l’entourage et de la collectivité sur la réalité de la filiation (fama). Conformément à la lettre de l’article 311-1 du Code civil, qui ne requiert, selon la méthode du faisceau d’indices, qu’une réunion « suffisante » de faits, la jurisprudence n’exige pas la réunion de tous ces éléments pour conclure à l’existence d’une possession d’état (Civ. 1re, 5 juill. 1988 ; Civ1re, 6 mars 1996). Ainsi peut-on expliquer que les juges comme l’auteur du pourvoi restent muets, en l’espèce, sur la question du nomen ; en revanche, les deux autres éléments, notamment la fama, que l’auteur du pourvoi avait cru pouvoir remettre en cause, sont bien caractérisés. Pour établir la possession d’état, il faut en revanche qu’elle revête certaines qualités, cette fois cumulatives : « elle doit être continue, paisible, publique et non équivoque » (art. 311-2 C. civ.). En l’espèce, les juges du fond n’ont pas retenu l’équivocité de la possession qu’arguait, sans pouvoir l’établir, l’auteur du pourvoi (contra, v. Civ. 1re, 19 mars 2008, la mère confessant son infidélité au moment de la période légale de conception et l’amant ayant assigné l’époux en contestation de paternité légitime moins de six mois après la naissance). Enfin, sous réserve d’être conforme à ces exigences et durable (5 ans), la possession d’état rend la filiation incontestable, privant ainsi d’effet la désaffection d’un père.
Civ. 1re, 29 févr. 2012, pourvoi n°10-26.678
Références
■ F. Terré, D. Fenouillet, Droit civil, La famille, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011, n°502 s.
■ Code civil
« La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.
Les principaux de ces faits sont :
1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;
2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ;
3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ;
4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ;
5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. »
« La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. »
« Lorsque la possession d'état est conforme au titre, seuls peuvent agir l'enfant, l'un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable. L'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté.
Nul, à l'exception du ministère public, ne peut contester la filiation lorsque la possession d'état conforme au titre a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance, si elle a été faite ultérieurement. »
■ Civ. 1re, 5 juill. 1988, n°86-14.489.
■ Civ1re, 6 mars 1996, n° 94-14.969, RTD civ. 1996. 374 ; AJ fam. 2008. 210.
■ Civ. 1re, 19 mars 2008, n° 07-11.573, RTD civ. 2008. 289.
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