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Droit européen et de l'Union européenne
Exonération du transporteur aérien : la cause doit être extraordinaire !
La foudre qui endommage un avion dont le remplacement cause un retard dommageable à ses passagers constitue une cause extraordinaire exonérant le transporteur aérien de son obligation d’indemnisation.
La Cour de cassation vient d’apporter un éclairage notable sur la notion européenne de « circonstances extraordinaires » qui justifie l’exonération de la responsabilité des transporteurs aériens de passagers.
En l’espèce, un couple ayant pris un avion arrivé à destination avec plus de cinq heures de retard avait assigné la compagnie aérienne aux fins d’indemnisation de leurs préjudices sur le fondement de l’article 7 du règlement (CE) n° 261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important (égal ou supérieur à 3 heures) d’un vol. Le juge de proximité saisi ayant rejeté leur demande, le couple forma un pourvoi en cassation pour contester sa décision d’exonérer le transporteur de sa responsabilité de principe. Après avoir rappelé que le transporteur aérien ne peut être exonéré que s’il est en mesure de prouver que l’annulation ou le retard sont dus à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises, le couple de demandeurs soutenait, d’une part, que cette notion de « circonstances extraordinaires », en raison de son effet exonératoire, devait être strictement appréciée et ainsi, ne pas être confondues, comme l’aurait fait le juge de proximité, avec de simples « circonstances particulières ». Ils dénonçaient, d’autre part, le fait que le transporteur n’ait pas rapporté la preuve qu’il lui incombait d’avoir pris toutes les mesures raisonnables pour éviter que les prétendues circonstances extraordinaires ne conduisent à l’annulation du vol.
La Cour de cassation rejette le pourvoi par une motivation particulièrement étayée, en raison notamment des références multiples à la jurisprudence de la CJUE rendue en la matière. Concernant celle-ci ainsi que le droit européen applicable, les juges du Quai de l’horloge commencent par rappeler qu’il résulte de l’article 5, paragraphe 3, du règlement précité de 2004, tel qu’interprété par la Cour européenne, qu’un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation ou le retard, répréhensible dès qu’il atteint 3 heures ou plus à l’arrivée à destination d’un vol, sont dus à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises (CJUE 19 nov. 2009, Sturgeon e.a., n° C-402/07 et C-432/07 ; CJUE 23 oct. 2012, Nelson e.a., n° C-581/10 et C-629/10).
Proche du critère de droit interne de la force majeure lié à l’irrésistibilité de l’événement, cette définition des circonstances extraordinaires est cependant, en matière de transport aérien, plus précisément définie par les juges européens comme « les événements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci » (CJUE 22 déc. 2008, Wallentin-Hermann, n° C-549/07), ce qui rappelle cette fois le critère interne de l’extériorité du cas de force majeure, en sorte que, précise la Cour de cassation, ne peuvent constituer de telles circonstances les événements intrinsèquement liés au système de fonctionnement de l’appareil (CJUE 4 mai 2017, Pešková et Peška, n° C-315/15) ; en l’espèce, il va de soi que la foudre est sans rapport avec le fonctionnement interne de l’appareil.
Enfin, la Cour ajoute que, une fois rapporté s’être trouvé dans cette configuration, le transporteur aérien qui entend se prévaloir de cette cause d’exonération doit établir que, même en mettant en œuvre tous les moyens dont il disposait, il n’aurait manifestement pas pu, sauf à consentir des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent, éviter que les circonstances extraordinaires auxquelles il était confronté ne conduisent à l’annulation du vol ou à un retard de ce vol. Se retrouve là encore l’exigence interne d’irrésistibilité de la force majeure pour caractériser la force d’empêchement insurmontable qui, pour justifier l’exonération totale débiteur, exige de ce dernier qu’il prouve, d’une part, qu’ « il avait pris toutes les mesures requises pour éviter la réalisation de l’événement » (Civ. 1re, 9 mars 1994, n° 91-17.459 et 91-17.464 ; Com. 1er oct. 1997, n° 95-12.435) et, d’autre part, qu’il ne disposait d’aucun autre moyen d’exécuter l’obligation, par exemple, acheminer les voyageurs par un autre moyen ou appareil. C’est précisément à cette analyse que se livre la première chambre civile dans cette affaire pour confirmer l’exonération du transporteur. La Cour relève en effet qu’après que l’appareil eut été foudroyé, à 8h39, la société de transport avait pris la décision, à 10h25, d’envoyer un avion de remplacement, en sorte que la société avait bien fait en sorte de prévenir tout dommage, essentiellement celui lié à la sécurité des passagers. Cependant, des éléments versés au débat ressortaient avec certitude le fait que le réacheminement des passagers vers le vol d’une autre compagnie n’aurait pu avoir lieu qu’à 18h20. De l’ensemble de ces circonstances ressortait donc le fait que le transporteur avait établi, ainsi qu’il le lui incombait, que même en prenant toutes les mesures raisonnables, il n’aurait manifestement pas pu éviter que les circonstances extraordinaires auxquelles il était confronté ne conduisent au dommage survenu.
Difficile de résister à un coup de foudre… Le transporteur ayant mis tout en œuvre pour y parvenir, il était on ne peut plus juste de l’exonérer de son obligation d’indemniser les passagers qui en furent témoins.
Civ.1re, 12 sept. 2018, n° 17-11.361
Références
■ CJUE 19 nov. 2009, Sturgeon e.a., n° C-402/07 et C-432/07: D. 2010. 1461, note G. Poissonnier et P. Osseland ; ibid. 2011. 1445, obs. H. Kenfack ; RTD com. 2010. 627, obs. P. Delebecque ; RTD eur. 2010. 195, chron. L. Grard ; ibid. 2015. 241, obs. P. Bures
■ CJUE 23 oct. 2012, Nelson e.a., n° C-581/10 et C-629/10: RTD eur. 2013. 372, obs. L. Grard
■ CJUE 22 déc. 2008, Wallentin-Hermann, n° C-549/07: RTD eur. 2010. 195, chron. L. Grard ; ibid. 2015. 241, obs. P. Bures
■ CJUE 4 mai 2017, Pešková et Peška, n° C-315/15: D. 2017. 2078, note P. Dupont et G. Poissonnier ; RTD eur. 2018. 157, obs. L. Grard
■ Civ. 1re, 9 mars 1994, n° 91-17.459 et 91-17.464: RTD civ. 1994. 871, obs. P. Jourdain ; RTD com. 1994. 776, obs. B. Bouloc
■ Com. 1er oct. 1997, n° 95-12.435 P: D. 1998. 199, obs. P. Delebecque ; ibid. 318, obs. B. Mercadal ; RTD civ. 1998. 121, obs. P. Jourdain ; ibid. 368, obs. J. Mestre
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