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[ 15 octobre 2019 ] Imprimer

Droit de la famille

Expertise biologique : limites aux investigations

L’expertise génétique étant de droit sous réserve de la recevabilité de l’action, une telle mesure doit être exclue lorsque la procédure est intentée par des personnes non attitrées. 

Un défunt avait laissé pour lui succéder un fils de dix ans, qu’il avait reconnu lorsque ce dernier en avait sept. Dix-huit ans après le décès, la mère et le frère du défunt avaient assigné ce fils, et la mère de ce dernier, aux fins d’annulation de l’acte de reconnaissance, puis appelé en la cause celui qu’ils prétendaient être le père biologique. 

La cour d’appel rejeta leur demande d’expertise génétique, visant à établir un lien de filiation entre le fils du défunt et son père prétendu. 

Au moyen de leur pourvoi en cassation, les demandeurs rappelaient que l’expertise est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder, cette réserve n’étant pas, selon eux, caractérisée en l’espèce, le seul fait que la filiation du défendeur ait été établie par un acte de reconnaissance n’étant pas constitutif d’un motif légitime justifiant de rejeter leur demande.

Ce moyen est écarté par la Cour de cassation, par un motif de pur droit, substitué à ceux critiqués : ainsi juge-t-elle qu’il résulte de la combinaison des articles 16-11 et 327 du Code civil qu’une demande d’expertise génétique susceptible de révéler un lien de filiation entre un enfant et un tiers suppose, pour être déclarée recevable, l’engagement par cet enfant d’une action en recherche de paternité, lequel a seul qualité pour l’exercer ; or l’arrêt avait relevé que la demande d’expertise ayant été sollicitée par des demandeurs, privés du droit d’agir en recherche de paternité, action dont seul le fils du défunt était titulaire, la décision des juges du fond d’écarter la demande se trouvait légalement justifiée. 

Qu’il s’agisse de l’établir ou de la contester, la filiation met en jeu la réalité de faits juridiques (identité de l’accouchée ou du géniteur, éléments constitutifs d’une possession d’état, etc.). Dans ces conditions, s’applique naturellement aux actions relatives à la filiation le principe de la liberté de la preuve : « La filiation se prouve et se conteste par tous moyens (…) », sous la réserve, dont la décision rapportée rappelle le caractère essentiel, « de la recevabilité de l’action » (C. civ., art. 310-3, al. 2). 

Or l’analyse des empreintes génétiques constitue le moyen le plus sûr de découvrir la vérité, qu’il s’agisse de la rechercher ou de la contester. Cependant, afin qu’elle ne puisse être détournée de sa finalité, la loi a strictement énuméré les cas autorisant d’y recourir : en matière civile, l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques « ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides » (C. civ., art. 16-11, al. 2). A l’effet d’éviter que certains des membres ou des proches d’une famille, qui seraient mus par une curiosité malsaine, puissent librement l’assouvir en procédant à de vaines ou délétères vérifications, le législateur a ainsi limité la possibilité de procéder à une expertise génétique aux seules actions susceptibles d’avoir une incidence sur la détermination d’une parenté ou l’existence d’une créance alimentaire.

En revanche, dès lors que l’action engagée, relative à une filiation ou à des subsides, rentre dans le cadre légal, l’expertise génétique est non seulement possible mais quasiment impérative : qu’elle soit sollicitée par l’une ou l’autre des parties, le juge est alors tenu de l’ordonner, celle-ci étant, par principe, « de droit en matière de filiation » (Cass., ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17.975, 06-10.039), comme « en matière d’action à fins de subsides » (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-12.641). La solution retenue à propos de l’expertise biologique, ainsi rendue obligatoire, est dérogatoire aux règles de procédure civile ordinairement applicables en la matière : en effet, alors qu’en principe, « une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve » (C. proc. civ. , art. 146), au contraire, le juge saisi d’une requête de ce type ne peut rejeter la demande d’expertise au motif normalement admis que celui qui la sollicite ne produit pas d’éléments suffisants ou suffisamment probants pour qu’elle soit accueillie. En ce domaine, quiconque a, par conséquent, la faculté d’engager une action même sans preuves à l’appui, et peut ainsi exiger la réalisation d’une expertise génétique ou d’un examen comparé des sangs pour obtenir la preuve qui, précisément, lui manque.

En l’espèce, les demandeurs au pourvoi avaient tenté d’exploiter ce régime de faveur pour établir un lien de filiation entre le défendeur et un tiers qui viendrait contredire celui, prétendument mensonger, de celui qui l’avait reconnu. En vain. En effet, la règle selon laquelle l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, même largement entendue, n’est toutefois pas absolue. Il existe plusieurs hypothèses dans lesquelles le juge doit refuser de l’ordonner. La plus connue est celle de l’existence d’ « un motif légitime de ne pas y procéder » (v. notam. Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806), par exemple parce que celle-ci est, du fait de la disparition du principal intéressé, devenue irréalisable (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.582), ou bien encore parce qu’elle ne constitue manifestement qu’une manœuvre dilatoire (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.325). La décision rapportée a le mérite et l’intérêt de rappeler qu’une telle mesure doit également être refusée lorsque la procédure a été intentée par des personnes non attitrées, c’est-à-dire ne disposant pas du droit d’agir (Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 02-18.654). Telle était bien l’hypothèse de l’espèce, les demandeurs n’étant pas titulaires de l’action en recherche de paternité, réservée à l’enfant (C. civ., art. 327), qui peut l’engager jusqu’à l’âge de vingt-huit ans, son droit d’agir s’éteignant à l’expiration du délai de droit commun, soit dix ans après sa majorité (C. civ. art. 321).

Civ. 1re, 19 sept. 2019, n° 18-18.473

Références

Cass., ass. plén., 23 nov. 2007, n° 05-17.975, 06-10.039 P:D. 2007. 3078, obs. L. Dargent ; ibid. 2008. 1371, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2008. 160, obs. R. Perrot ; ibid. 284, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-12.641 P: D. 2005. 1804 ; ibid. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 28 mars 2000, n° 98-12.806 P: D. 2000. 731, et les obs., note T. Garé ; ibid. 2001. 404, chron. S. Le Gac-Pech ; ibid. 976, obs. F. Granet ; ibid. 1427, obs. H. Gaumont-Prat ; ibid. 2868, obs. C. Desnoyer ; RTD civ. 2000. 304, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.582 P: D. 2005. 1805 ; ibid. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 03-19.325 P: D. 2005. 1804 ; RTD civ. 2005. 584, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 14 juin 2005, n° 02-18.654 P: D. 2005. 1961 ; ibid. 2006. 1139, obs. F. Granet-Lambrechts ; RTD civ. 2005. 582, obs. J. Hauser

 

Auteur :Merryl Hervieu

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