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Procédure pénale
Expertise : motivation spéciale de la situation d’urgence
Mots-clefs : Instruction, Expertise, Contradictoire, Exception, Urgence (Motivation spéciale)
Le juge d’instruction qui, pour déroger au caractère contradictoire de l’expertise, invoque une situation d’urgence, doit motiver spécialement sa décision.
Suspecté de faits de viols et agressions sexuelles aggravés, corruption de mineurs de quinze ans et détentions d’images pornographiques de mineurs à caractère pornographique, un mis en examen avait sollicité l’annulation de plusieurs actes d’instruction, dont les opérations d’expertise psychologique, menées sans que son avocat n’ait été avisé. Par un arrêt du 29 avril 2011, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris avait écarté l’exception de nullité tirée de la violation de l’article 161-1 du Code de procédure pénale aux motifs que :
– figurait sur chacune des décisions un visa d’urgence, qui « ne saurait être réduit à une mention purement formelle » ;
– le juge d’instruction avait expressément fait référence à la situation de détenu du mis en examen ;
– ce magistrat avait conduit l’information avec célérité dès le placement en détention provisoire de l’intéressé.
Accueillant le pourvoi formé par le mis en examen, la chambre criminelle estime, au visa des articles 593 et 161-1 du Code de procédure pénale, que ces motifs sont « insuffisants à établir, pour chacune des ordonnance critiquées [ordonnances aux fins d’expertise et contre-expertise prises respectivement les 16 août et 3 nov. 2010], qu’existait, au moment où elle a été rendue, l’impossibilité de différer, pendant le délai de dix jours, les opérations d’expertise et le dépôt de conclusions des experts », de sorte que la chambre de l’instruction n’a pas justifié sa décision.
La Haute cour rappelle notamment que l’article 161-1 exige du juge d’instruction qu’il « adresse sans délai copie de la décision ordonnant une expertise au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d’un délai de dix jours pour lui demander de modifier ou compléter les questions posées à l’expert ou d’adjoindre à l’expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix » et « qu’en application de l’alinéa 3 de ce texte, il ne peut être dérogé à cette obligation que lorsque les opérations d’expertise et le dépôt des conclusions par l’expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours susvisé ».
On rappellera que c’est la loi no 2007-291 du 5 mars 2007 renforçant l’équilibre de la procédure pénale qui a conféré à l’expertise un caractère contradictoire, dont les modalités sont prévues à l’article 161-1. Le législateur permet cependant de déroger à ce principe dans quatre hypothèses :
– lorsque les opérations d’expertise doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différées pendant le délai de dix jours (art. 161-1, al. 3) ;
– lorsque la communication risque d’entraver l’accomplissement des investigations (art. 161-1, al. 3) ;
– lorsqu’il s’agit d’expertises dont les conclusions n’ont pas d’incidence sur la détermination de la culpabilité et dont la liste est fixée par décret (art. 161-1, al. 4) ;
– lorsque les parties ont déclaré renoncer, en présence de leur avocat ou celui-ci dûment convoqué, à bénéficier de ces dispositions (art. 161-1, al. 5).
En l’espèce, la chambre criminelle estime que le juge d’instruction n’a pas suffisamment établi qu’il se trouvait dans une situation d’urgence qui lui permettait de déroger au principe du contradictoire et à son obligation d’informer les avocats des parties. Les motifs invoqués (détention du mis en examen et respect d’une certaine célérité de l’instruction), trop généraux, sont censurés (dans le sens de l’exigence d’une motivation spéciale, v. déjà, Crim. 13 oct. 2009). Il semble qu’un risque particulier de dépérissement des preuves ou une exigence technique prescrivant aux experts d’agir promptement puisse, dans ce cas, être utilement invoqué (v. C. Girault).
Crim. 22 nov. 2011, no 11-84.314, F-P+B
Références
■ Crim. 13 oct. 2009, Bull. crim. no 167, D. 2009. AJ 2554 ; ibid. 2010. Chron. C. cass. 46, obs. E. Degorce ; ibid. 2010. Pan. 2258, note J. Pradel ; AJ pénal 2009. 502, obs. C. Girault ; Dr. pénal 2010. Chron. 1, obs. Guérin.
■ Rép. pén. Dalloz, Vo "Expertise", par J.-L. Croizier et C. Guéry, nos 118 s.
■ Dalloz actualité 6 déc. 2011, obs. C. Girault.
■ Code de procedure pénale
« Les arrêts de la chambre de l'instruction, ainsi que les arrêts et jugements en dernier ressort sont déclarés nuls s'ils ne contiennent pas des motifs ou si leurs motifs sont insuffisants et ne permettent pas à la Cour de cassation d'exercer son contrôle et de reconnaître si la loi a été respectée dans le dispositif.
Il en est de même lorsqu'il a été omis ou refusé de prononcer soit sur une ou plusieurs demandes des parties, soit sur une ou plusieurs réquisitions du ministère public. »
« Copie de la décision ordonnant une expertise est adressée sans délai au procureur de la République et aux avocats des parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81, de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix figurant sur une des listes mentionnées à l'article 157.
Si le juge ne fait pas droit, dans un délai de dix jours à compter de leur réception, aux demandes prévues au premier alinéa, il rend une ordonnance motivée. Cette ordonnance ou l'absence d'ordonnance peut être contestée dans un délai de dix jours devant le président de la chambre de l'instruction. Ce dernier statue par décision motivée qui n'est pas susceptible de recours.
Le présent article n'est pas applicable lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours prévu au premier alinéa ou lorsque la communication prévue au premier alinéa risque d'entraver l'accomplissement des investigations.
Il n'est pas non plus applicable aux catégories d'expertises dont les conclusions n'ont pas d'incidence sur la détermination de la culpabilité de la personne mise en examen et dont la liste est fixée par décret.
Les parties peuvent déclarer renoncer, en présence de leur avocat ou celui-ci dûment convoqué, à bénéficier des dispositions du présent article. »
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