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[ 7 décembre 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

Expertise pénale : égalité des droits avec ou sans avocat

Mots-clefs : Instruction, Expertise, Égalité, Absence d’avocat

Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au principe du contradictoire et au respect des droits de la défense. Tel n’est pas le cas s’agissant de la différence de traitement, concernant la notification des expertises, instituée entre les parties selon qu’elles sont représentées ou non par un avocat qui ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l’ordre public ou l’objectif de recherche des auteurs d’infraction, auxquels concourt le secret de l’instruction.

L’infériorité des droits d’une personne qui fait le choix de se défendre seule par rapport à celle qui bénéficie de l’assistance d’un avocat est une réalité de la procédure pénale française. À nouveau, le Conseil constitutionnel est saisi de constitutionnalité des dispositions qui accordent des droits aux seuls avocats.

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 septembre 2012 par la Cour de cassation (Crim. 11 sept. 2012, n° 5082), d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 161-1 du Code de procédure pénale. Cet article est issu de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale. Le législateur avait souhaité renforcer le caractère contradictoire de l’expertise, en permettant aux parties de faire des demandes au juge afin d’aménager les modalités de la mesure d’expertise (choix de l’expert, questions posées, etc.). Plus précisément, cette disposition prévoit la notification au procureur de la République et aux avocats des parties de la décision de la juridiction d’instruction ordonnant une expertise afin que les destinataires de cette notification soient mis à même, dans le délai imparti, de demander au juge d’instruction de modifier ou de compléter les questions posées à l’expert ou d’adjoindre un expert de leur choix. Selon la requérante, en prévoyant que la notification de la copie de la décision ordonnant l’expertise est réservée aux avocats des parties et en plaçant les parties non assistées ou représentées par un avocat dans l’impossibilité de formuler des observations ou des demandes au vu de cette décision, la disposition contestée porte atteinte aux droits de la défense, au principe du contradictoire ainsi qu’au principe d’égalité des citoyens devant la loi.

Dans sa décision n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « avocats des » du premier alinéa de l’article 161-1 du Code de procédure pénale.

Des différences de traitement selon que les parties sont ou non assistées par un avocat ont déjà été censurées par les Sages de la rue Montpensier. L’article 175 du Code de procédure pénale relatif à la communication des réquisitions du procureur de la République opérait une distinction identique en prévoyant que la copie des réquisitions définitives n’était adressée qu’aux avocats des parties, de sorte que les parties non assistées ne pouvaient en bénéficier. Dans sa décision n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions étaient contraires aux droits et libertés que la Constitution garantit.

La présente QPC s’inscrit dans le prolongement de cette décision. En l’espèce, il censure la disposition au motif « que, toutefois, dès lors qu’est reconnue aux parties la liberté de choisir d’être assistées d’un avocat ou de se défendre seules, le respect des principes du contradictoire et des droits de la défense impose que la copie de la décision ordonnant l’expertise soit portée à la connaissance de toutes les parties ; que, dans le premier alinéa de l’article 161-1 du code de procédure pénale, les mots : “ avocats des ” ont pour effet de réserver aux avocats assistant les parties la notification de la copie de la décision ordonnant l’expertise et la faculté de demander au juge d’instruction d’adjoindre un expert ou de modifier ou compléter les questions qui lui sont posées ; que, par suite, ils doivent être déclarés contraires à la Constitution ».

Certaines limitations des droits de la personne qui se défend seule ont également été soumises à la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 6 § 3 c) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui reconnaît à tout accusé le droit de « se défendre lui-même ». La Cour européenne avait ainsi condamné la France au motif qu’un prévenu n’avait pas eu communication de son dossier pénal devant le tribunal de police alors qu’il avait choisi de se défendre seul, comme la loi française le permet (arrêt Foucher c. France, 18 mars 1997). La chambre criminelle avait d’ailleurs opéré un revirement de jurisprudence peu de temps auparavant en matière correctionnelle, sur le fondement de l’article 6 § 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Crim. 12 juin 1996).

Cependant, il ne faut pas déduire que toutes dispositions prévoyant des droits qui sont réservés aux avocats dans la procédure sont contraires la Constitution et aux droits de la défense. Certains privilèges peuvent trouver une justification légitime motivant que l’avocat de la personne bénéficie de droits que celle-ci ne pourrait exercer seule. Ainsi par exemple, seul l’avocat de la personne mise en examen peut consulter le dossier de l’information et se faire délivrer une copie des pièces. L’avocat ne peut communiquer certaines pièces à son client qu’après une déclaration d’intention au greffe du tribunal et sous réserve de l’absence d’opposition du juge d’instruction, motivée par les risques de pressions (C. pr. pén., art. 114). L’objectif de préservation le secret de l’instruction constitue alors un but légitime. Telle est d’ailleurs la solution retenue par la Cour européenne. Dans une affaire Menet c. France du 14 juin 2005, elle a jugé que n’était pas contraire à l’article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales l’impossibilité, pour le requérant, partie civile qui avait choisi de se défendre seul, d’accéder au dossier. La Cour a considéré que l’objectif de préserver le secret de l’instruction constituait un but légitime et, d’autre part, que le requérant n’était pas accusé.

Le Conseil constitutionnel lui-même dans cette décision donne la ligne de partage entre conformité et non conformité et s’inscrit dans une même logique en affirmant que « la différence de traitement ainsi instituée entre les parties selon qu’elles sont représentées ou non par un avocat ne trouve pas de justification dans la protection du respect de la vie privée, la sauvegarde de l’ordre public ou l’objectif de recherche des auteurs d’infraction, auxquels concourt le secret de l’instruction ».

S’agissant des effets dans le temps de sa décision, le Conseil constitutionnel a jugé que « cette déclaration d’inconstitutionnalité prend effet à compter de la date de publication de la présente décision » et « qu’elle est applicable à toutes les décisions ordonnant une expertise prononcées postérieurement à la publication de la présente décision ».

Cons. const. 23 nov. 2012, n° 2012-284 QPC

Références

■ Crim. 12 juin 1996, n° 95-82.735 et 96-80.219RSC 1996. 878, obs. Dintilhac.

■ CEDH 18 mars 1997, Foucher c. France, requête no 22209/93.

■ CEDH 14 juin 2005, Menet c. Francerequête n°39553/02.

■ Cons. const. 9 sept. 2011, n°2011-160.

■ Code de procédure pénale

Article 114

« Les parties ne peuvent être entendues, interrogées ou confrontées, à moins qu'elles n'y renoncent expressément, qu'en présence de leurs avocats ou ces derniers dûment appelés. 

Les avocats sont convoqués au plus tard cinq jours ouvrables avant l'interrogatoire ou l'audition de la partie qu'ils assistent par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, télécopie avec récépissé ou verbalement avec émargement au dossier de la procédure. 

La procédure est mise à leur disposition quatre jours ouvrables au plus tard avant chaque interrogatoire de la personne mise en examen ou chaque audition de la partie civile. Après la première comparution de la personne mise en examen ou la première audition de la partie civile, la procédure est également mise à tout moment à la disposition des avocats durant les jours ouvrables, sous réserve des exigences du bon fonctionnement du cabinet d'instruction. 

Après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties peuvent se faire délivrer, à leurs frais, copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier. Cette copie peut être adressée à l'avocat sous forme numérisée, le cas échéant par un moyen de télécommunication selon les modalités prévues à l'article 803-1. La délivrance de cette copie doit intervenir dans le mois qui suit la demande. 

Les avocats peuvent transmettre une reproduction des copies ainsi obtenues à leur client. Celui-ci atteste au préalable, par écrit, avoir pris connaissance des dispositions de l'alinéa suivant et de l'article 114-1. 

Seules les copies des rapports d'expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense. 

L'avocat doit donner connaissance au juge d'instruction, par déclaration à son greffier ou par lettre ayant ce seul objet et adressée en recommandé avec accusé de réception, de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client. 

Le juge d'instruction dispose d'un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour s'opposer à la remise de tout ou partie de ces reproductions par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure. 

Cette décision est notifiée par tout moyen et sans délai à l'avocat. À défaut de réponse du juge d'instruction notifiée dans le délai imparti, l'avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes dont il avait fourni la liste. Il peut, dans les deux jours de sa notification, déférer la décision du juge d'instruction au président de la chambre de l'instruction, qui statue dans un délai de cinq jours ouvrables par une décision écrite et motivée, non susceptible de recours. À défaut de réponse notifiée dans le délai imparti, l'avocat peut communiquer à son client la reproduction des pièces ou actes mentionnés sur la liste. 

Les modalités selon lesquelles ces documents peuvent être remis par son avocat à une personne détenue et les conditions dans lesquelles cette personne peut détenir ces documents sont déterminées par décret en Conseil d'État. 

Par dérogation aux dispositions des huitième et neuvième alinéas, l'avocat d'une partie civile dont la recevabilité fait l'objet d'une contestation ne peut transmettre à son client une reproduction des pièces ou actes de la procédure sans l'autorisation préalable du juge d'instruction, qui peut lui être notifiée par tout moyen. En cas de refus du juge d'instruction ou à défaut de réponse de ce dernier dans les cinq jours ouvrables, l'avocat peut saisir le président de la chambre de l'instruction, qui statue dans un délai de cinq jours ouvrables, par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. En l'absence d'autorisation préalable du président de la chambre de l'instruction, l'avocat ne peut transmettre la reproduction de pièces ou actes de la procédure à son client. »

Nouvel article 161-1 (Cons. const. 23 nov. 2012, n° 2012-284 QPC)

« Copie de la décision ordonnant une expertise est adressée sans délai au procureur de la République et aux parties, qui disposent d'un délai de dix jours pour demander au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81, de modifier ou de compléter les questions posées à l'expert ou d'adjoindre à l'expert ou aux experts déjà désignés un expert de leur choix figurant sur une des listes mentionnées à l'article 157. 

Si le juge ne fait pas droit, dans un délai de dix jours à compter de leur réception, aux demandes prévues au premier alinéa, il rend une ordonnance motivée. Cette ordonnance ou l'absence d'ordonnance peut être contestée dans un délai de dix jours devant le président de la chambre de l'instruction. Ce dernier statue par décision motivée qui n'est pas susceptible de recours. 

Le présent article n'est pas applicable lorsque les opérations d'expertise et le dépôt des conclusions par l'expert doivent intervenir en urgence et ne peuvent être différés pendant le délai de dix jours prévu au premier alinéa ou lorsque la communication prévue au premier alinéa risque d'entraver l'accomplissement des investigations. 

Il n'est pas non plus applicable aux catégories d'expertises dont les conclusions n'ont pas d'incidence sur la détermination de la culpabilité de la personne mise en examen et dont la liste est fixée par décret. 

Les parties peuvent déclarer renoncer, en présence de leur avocat ou celui-ci dûment convoqué, à bénéficier des dispositions du présent article. »

Article 175 (Cons. const. 9 sept. 2011, n°2011-160 QPC)

« Aussitôt que l'information lui paraît terminée, le juge d'instruction communique le dossier au procureur de la République et en avise en même temps les parties et leurs avocats soit verbalement avec émargement au dossier, soit par lettre recommandée. Lorsque la personne est détenue, cet avis peut également être notifié par les soins du chef de l'établissement pénitentiaire, qui adresse sans délai au juge d'instruction l'original ou la copie du récépissé signé par l'intéressé. 

Le procureur de la République dispose alors d'un délai d'un mois si une personne mise en examen est détenue ou de trois mois dans les autres cas pour adresser ses réquisitions motivées au juge d'instruction. Copie de ces réquisitions est adressée dans le même temps aux parties par lettre recommandée.

Les parties disposent de ce même délai d'un mois ou de trois mois à compter de l'envoi de l'avis prévu au premier alinéa pour adresser des observations écrites au juge d'instruction, selon les modalités prévues par l'avant-dernier alinéa de l'article 81. Copie de ces observations est adressée en même temps au procureur de la République. 

Dans ce même délai d'un mois ou de trois mois, les parties peuvent formuler des demandes ou présenter des requêtes sur le fondement des articles 81, neuvième alinéa, 82-1, 156, premier alinéa, et 173, troisième alinéa. À l'expiration de ce délai, elles ne sont plus recevables à formuler ou présenter de telles demandes ou requêtes.

À l'issue du délai d'un mois ou de trois mois, le procureur de la République et les parties disposent d'un délai de dix jours si une personne mise en examen est détenue ou d'un mois dans les autres cas pour adresser au juge d'instruction des réquisitions ou des observations complémentaires au vu des observations ou des réquisitions qui leur ont été communiquées.

À l'issue du délai de dix jours ou d'un mois prévu à l'alinéa précédent, le juge d'instruction peut rendre son ordonnance de règlement, y compris s'il n'a pas reçu de réquisitions ou d'observations dans le délai prescrit. 

Les premier, troisième et cinquième alinéas et, s'agissant des requêtes en nullité, le quatrième alinéa du présent article sont également applicables au témoin assisté. 

Les parties peuvent déclarer renoncer, en présence de leur avocat ou celui-ci dûment convoqué, à bénéficier des délais prévus par le présent article. »

■ Article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentalesDroit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. 

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. 

3. Tout accusé a droit notamment à : 

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ; 

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ; 

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ; 

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

 

Auteur :C. L.


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