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Droit des biens
Expropriation partielle d’une propriété privée : l’objectif de prévention des incendies de forêt ne suffit pas !
Mots-clefs : Expropriation, Voie de fait, Servitude, Chemin communal
L’élargissement d’un sentier au détriment des propriétaires privés peut être réalisé par la commune sous réserve qu’elle bénéficie d’une servitude ou qu’elle y ait été autorisée spécialement.
La troisième chambre civile de la Cour de cassation a tranché un litige opposant une commune (Plan d’Aups) située dans le massif touristique de la Sainte-Baume (département du Var) et un couple propriétaire d’un terrain en bordure d’un sentier forestier.
En l’espèce, le couple a assigné la commune en référé afin de faire constater la commission d’une voie de fait et obtenir une provision pour la remise en état du sentier qui a été débroussaillé et élargi en vue de prévenir les incendies de forêt. En effet, les travaux litigieux avaient, selon eux, porté atteinte à leur droit de propriété. La cour d’appel les a déboutés en se fondant principalement sur les pouvoirs de police de la commune en la matière. Le sentier étant considéré comme une piste DFCI (à usage de défense de la forêt contre les incendies) et la commune ayant reçu instruction de traiter en priorité ce chemin, elle a débroussaillé et élargi le sentier et par là-même exproprié les propriétaires contigus (v. Fr. Terré, Ph. Simler). Ces travaux ne pouvaient pas être effectués sur le fondement de l’article L. 134-9 du Code forestier puisqu’il ne s’agissait pas d’une carence des propriétaires dans le débroussaillement de leur fonds mais de l’élargissement d’une voie.
Les travaux n’ayant pas respecté la végétation et les époux n’ayant pas été prévenus de leur exécution, ces derniers se sont pourvus en cassation prétendant que la cour d’appel avait violé les articles 4, 16 et 809 du Code de procédure civile ainsi que les articles 544 et 545 du Code civil. Cette espèce se rapprochait sensiblement d’un arrêt du tribunal des conflits rendu le 23 avril 2007 qui a admis la compétence des juridictions judiciaires en cas de déboisement d’une parcelle privée au-delà de la servitude de passage convenue.
Fort logiquement, la Cour de cassation leur donne raison. Elle censure l’arrêt de la cour d’appel et condamne la commune aux dépens au visa de l’article 545 du Code civil ensemble la loi des 16-24 août 1790. En outre, elle insiste particulièrement sur la lettre de l’article 545 du Code civil dans son attendu de principe. Selon elle, la cour d’appel aurait dû vérifier l’existence de la servitude de passage et d’aménagement en faveur de la commune ou la procédure justifiant les travaux exécutés sur le sentier (C. for., art. L. 134-2 exigeant une décision préfectorale). Tel n’ayant pas été le cas, la commune ne pouvait élargir le tracé du sentier (sur la nécessité de rattacher l’exécution des travaux à un pouvoir de l’administration afin de caractériser la voie de fait, v. Civ. 1re, 26 sept. 2012). Autrement dit, la Cour suprême limite ainsi les hypothèses d’expropriation qui constituent toujours une atteinte considérable au droit de propriété tel que défini à l’article 544 du Code civil.
Civ. 3e, 20 févr. 2013, n° 12-11.994
Références
[Droit administratif]
« Théorie d’origine jurisprudentielle, protectrice des droits des administrés en ce qu’elle entraîne pour l’Administration la perte de la majeure partie de ses privilèges traditionnels. Il y a voie de fait si l’Administration accomplit un acte matériel représentant une irrégularité manifeste soit parce qu’elle exécute une décision ne se rattachant pas à un pouvoir qui lui appartient (comme une décision grossièrement illégale, ou annulée par une juridiction), soit parce qu’elle exécute selon une procédure grossièrement illégale une décision même légale, et à condition que cet agissement porte atteinte à la propriété mobilière ou immobilière ou à une liberté publique. Les juges judiciaires deviennent alors compétents pour connaître de cette irrégularité, à titre exclusif en matière d’action en responsabilité, et concurremment avec les juges administratifs pour prononcer l’annulation de l’acte. »
Source : Lexique des termes juridiques 2013, Dalloz.
■ F. Terré, Ph. Simler, Droit civil Les biens, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2010, n°499 s.
■ T. confl. 23 avr. 2007, n° 07-03.590.
■ Civ. 1re, 26 sept. 2012, n° 11-19.434.
■ Code civil
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
« Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. »
■ Code forestier
« Pour créer des voies de défense des bois et forêts contre l'incendie, en assurer la continuité et la pérennité ainsi que pour établir et entretenir des équipements de protection et de surveillance des bois et forêts, une servitude de passage et d'aménagement est établie par l'État à son profit ou au profit d'une autre collectivité publique, d'un groupement de collectivités territoriales ou d'une association syndicale.
Si la bande de roulement de ces voies excède 6 mètres ou si la surface au sol de ces équipements excède 500 mètres carrés, l'établissement de cette servitude est précédé d'une enquête publique, réalisée conformément aux dispositions du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.
Dans les autres cas, le projet d'instauration d'une servitude est porté à la connaissance des propriétaires dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État, en leur précisant les modalités selon lesquelles ils peuvent faire valoir leurs observations à l'autorité administrative compétente de l'État.
En aucun cas, la servitude ne peut grever les terrains attenants à des maisons d'habitation, clos de murs ou de clôtures équivalentes selon les usages locaux.
Si l'exercice de cette servitude rend impossible l'utilisation normale des terrains grevés, leurs propriétaires peuvent demander l'acquisition de tout ou partie du terrain d'assiette de la servitude et, éventuellement, du reliquat des parcelles. A défaut d'accord amiable, le juge fixe l'indemnité comme en matière d'expropriation.
Le bénéficiaire de la servitude peut procéder à ses frais au débroussaillement des abords de la voie ou de l'équipement sur deux bandes latérales sans que le total des largeurs de ces bandes n'excède 100 mètres. »
« Si les intéressés n'exécutent pas les travaux prescrits en application des articles L. 134-4 à L. 134-6, la commune y pourvoit d'office après mise en demeure du propriétaire et à la charge de celui-ci.
Les dépenses auxquelles donnent lieu les travaux sont des dépenses obligatoires pour la commune.
Il est procédé au recouvrement des sommes correspondantes comme en matière de créances de l'État étrangères à l'impôt et au domaine.
En cas de carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police définis par les articles L. 134-4 à L. 134-6 et par le présent article, le représentant de l'État dans le département se substitue à celui-ci après une mise en demeure restée sans résultat. Le coût des travaux de débroussaillement effectués par l'État est mis à la charge de la commune qui procède au recouvrement de cette somme dans les conditions prévues à l'alinéa précédent. »
Code de procédure civile
« L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.
Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. »
« Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations. »
« Le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire. »
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