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Droit administratif général
Extension du pouvoir de contrôle du juge administratif
Mots-clefs : Contrôle de légalité, Contrôle normal, Contrôle restreint, Sanction, Pouvoir disciplinaire, Maire, Fédération sportive
Par deux arrêts du 2 mars 2010, le Conseil d’État a intensifié son degré de contrôle pour les décisions prises par le gouvernement contre les élus locaux et celles rendues dans le domaine des sanctions disciplinaires infligées par les fédérations sportives.
Le premier arrêt (n° 328843) portait sur la question de la légalité de la décision de révocation de l’ancien maire de la commune de Hénin-Beaumont, M. Dalongeville. Celui-ci avait accompli de graves négligences pendant plusieurs années dans l’exercice de ses fonctions, notamment dans l’établissement des documents budgétaires et la gestion des biens communaux. Par ailleurs il avait refusé de tenir compte des recommandations de la Chambre régionale des comptes et du préfet. Aux termes de l’article L. 2122-16 du Code général des collectivités territoriales (CGCT), la décision de révocation d’un maire est prise par décret en Conseil des ministres (v. Seiller, « Le pouvoir disciplinaire sur les maires »). En l’espèce, M. Dalongeville soutenait que l’acte de révocation de ses fonctions était entaché de vices de forme et de procédure. Le Conseil d’État, pour rejeter sa requête, procède pour la première fois à un contrôle normal de la qualification juridique des faits. Précisons qu’auparavant, le contrôle du juge administratif était limité à un contrôle restreint, puisqu’il se limitait à vérifier l'exactitude matérielle des faits et s'assurer qu'il n'y a pas eu erreur manifeste d'appréciation ou détournement de pouvoir (CE 27 févr. 1981). Dans l’arrêt du 2 mars 2010, il effectue un contrôle détaillé de la légalité interne de la décision de révocation, se fondant notamment sur les faits. Il a ainsi relevé que pendant cinq années consécutives, la Chambre régionale des comptes était intervenue auprès du maire, à la demande du préfet. Malgré ses recommandations, le rythme élevé des dépenses était maintenu. Le maire s’est rendu responsable de l’importante dégradation des finances de la commune sans mener d’actions répondant à l’objectif de mise en œuvre d’un plan de redressement.
Dans la seconde affaire (n° 324439), un athlète, M. Es-Sraidi, s’était vu infliger, par l’organe disciplinaire d’appel de lutte contre le dopage, une sanction disciplinaire de deux ans de suspension de compétition. À la suite d’une épreuve de cross-country, cet athlète a fait l’objet d’un contrôle anti-dopage qui a révélé la présence, dans ses urines, d’une substance interdite par arrêté. Le Conseil d’État affirme que la cour administrative d’appel ne devait pas seulement se borner à rechercher si la sanction disciplinaire litigieuse était manifestement disproportionnée par rapport aux faits poursuivis. Il lui appartenait également de vérifier si le quantum de cette sanction, au regard notamment de l’échelle des sanctions applicables en l’espèce, était ou non proportionné aux faits. Ainsi, la Haute juridiction administrative étend-elle également dans ce domaine son contrôle sur les sanctions disciplinaires infligées par des fédérations sportives.
CE 2 mars 2010, M. Dalongeville, n° 328843
CE 2 mars 2010, Fédération française d’athlétisme, n° 324439
Références
■ Article L. 2122-16 du Code Général des collectivités territoriales
« Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n'excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres.
Le recours contentieux exercé contre l'arrêté de suspension ou le décret de révocation est dispensé du ministère d'avocat.
La révocation emporte de plein droit l'inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d'adjoint pendant une durée d'un an à compter du décret de révocation à moins qu'il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux. »
« […] 4. Le contrôle juridictionnel de l’Administration
Il relève des juridictions administratives générales et spécialisées. Cependant, les tribunaux judiciaires sont parfois appelés à connaître des litiges de l’Administration (voie de fait, contrats privés, domaine privé, SPIC…). Les pouvoirs du juge administratif varient selon le type de recours dont il est saisi. S’agissant du contrôle de légalité, son intensité fluctue avec l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’Administration : le contrôle des motifs de l’acte s’avère plus ou moins approfondi. Il y a quatre niveaux de contrôle :
1 Le contrôle normal
Porte sur tous les aspects de la légalité, externe comme interne, et comprend en particulier l’examen par le juge de la qualification juridique des faits. Il s’applique aux cas de compétence normalement liée.
2 Le contrôle restreint ou minimum
Moins poussé que le précédent, il s’exerce sur l’exactitude matérielle des faits, l’erreur de droit, l’erreur manifeste d’appréciation et le détournement de pouvoir. La vérification de l’erreur manifeste permet de préserver le pouvoir discrétionnaire de l’Administration.
3 Le contrôle infra-minimum
On y retrouve les éléments précédents, moins l’erreur manifeste, dans les cas où l’Administration décide en toute opportunité (par ex., attribution de la légion d’honneur : CE 10 déc. 1986, Loredon, AJDA 1987. 133 ; Décr. présidentiel d’amnistie : CE 31 janv. 1986, Legrand, AJDA 1986. 396).
4 Le contrôle maximum
Va au-delà du contrôle normal dans la mesure où l’opportunité de la décision constitue un élément de sa légalité. Le juge est ainsi amené à apprécier l’adaptation de la mesure aux circonstances de fait, que l’Administration soit dans une situation de compétence liée comme pour les mesures de police (la compétence liée est ici largement d’origine jurisprudentielle), ou de pouvoir discrétionnaire (choix d’une sanction disciplinaire, appréciation de l’utilité publique d’une expropriation). C’est un contrôle de proportionnalité. »
■ Erreur manifeste d’appréciation
« C’est une erreur grossière, flagrante, repérable par le simple bon sens, et qui entraîne une solution choquante dans l’appréciation des faits par l’autorité administrative. Cette notion apparaît dans la jurisprudence relative à la fonction publique avec l’arrêt Denizet (CE 13 nov. 1953, Rec. 489). L’arrêt Lagrange (Sect., 15 février 1961, Rec. 121) la précise : absence d’erreur manifeste d’appréciation dans l’établissement d’une équivalence entre l’emploi de garde champêtre et celui de cantonnier. La première annulation d’une décision pour erreur manifeste intervient également dans cette matière (CE 9 mai 1962, Cne de Montfermeil, Rec. 304) (…). Il s’étend par la suite à de nombreux domaines où, l’action administrative n’étant pas encadrée par les textes (…). On retrouve l’erreur manifeste dans les matières supposant une appréciation technique (équivalence d’emplois publics, notoriété médicale, aire de production d’un vin d’appellation d’origine…), et celles où un contrôle de la qualification juridique des faits amènerait le juge à substituer totalement son appréciation à celle de l’Administration (…). La recherche de l’erreur manifeste d’appréciation caractérise donc un contrôle restreint sur les motifs de l’acte, qui englobe l’erreur de droit, l’erreur de fait et le détournement de pouvoir. Cette technique n’est pas sans rappeler le contrôle de proportionnalité, qui vise lui aussi à préserver le pouvoir discrétionnaire de l’Administration en ne sanctionnant que les décisions excessives. La preuve en est que le juge hésite parfois entre le bilan coût-avantages et l’erreur manifeste (CE Sect. 23 mars 1979, Cne de Bouchemaine, Rec. 127) (…).
Sources : V. Van Lang, G. Gondouin, V. Inserguet-Brisset, Dictionnaire de droit administratif, 5e éd., Sirey, coll. « Dictionnaires », 2008.
« Illégalité consistant, pour une autorité administrative, à mettre en œuvre l’une de ses compétences dans un but autre que celui en vue duquel elle lui a été conférée. »
Source : Lexique des termes juridiques 2010, 17e éd., Dalloz, 2009.
■ B. Seiller, « Le pouvoir disciplinaire sur les maires », AJDA 2004. 1637.
■ « Chron. Droit du sport », D. 2010. 400, spéc. I, B, 1, b, Proportionnalité de la sanction.
■ CE 27 févr. 1981, Wahnapo, Lebon 111, AJDA 1981. 476, concl. M. Franc.
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