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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Extradition et interdiction de la torture
La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), rappelle l’interdiction des extraditions exposant l’individu concerné à de la torture, des traitements inhumains et dégradants découlant de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Une extradition fondée sur une appréciation rendue obsolète par des changements politiques majeurs dans le pays de destination entraînerait la violation de l’article 3.
CEDH, 7 sept. 2023, Compaoré c/ France, n° 37726/21
Le requérant, conseiller d’un ancien président de la République du Burkina Faso, y fait l’objet de poursuites pénales relatives à des faits « d’incitation à assassinats » (pt. 1). Résidant à Paris, il fait l’objet d’une demande d’extradition le 30 octobre 2017 (pt. 12).
■ Article 3 et extradition. L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdit la torture, les traitements inhumains et dégradants. Cet article, « qui prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques. Il ne prévoit pas de restrictions, et d’après l’article 15, il ne souffre nulle dérogation, même en cas de danger public menaçant la vie de la nation » (pt. 90). Il est de surcroît interdit de procéder à une extradition s’il existe des motifs sérieux de croire que l’intéressé pourrait être exposé, dans son pays de destination, à des traitements contraires à l’article 3. Il incombe donc aux États membres procédant à une extradition de s’assurer qu’un tel risque n’existe pas (pt. 91 ; v. aussi CEDH gd. ch., 21 nov. 2019, Illias et Ahmed c/ Hongrie, n°47287/15).
Or, l’extradition du requérant soulève certaines difficultés. Au jour de la saisine, le requérant pourrait encourir la peine de mort (pt. 13), être exposé à des conditions de détention « difficiles » (pt. 15), ou encore être exposé à une peine d’emprisonnement à vie incompressible (pt. 29). La demande d’extradition est donc accompagnée d’un courrier par lequel le ministre de la Justice du Burkina Faso s’engage à ne pas requérir ou appliquer la peine de mort à l’encontre du requérant. En 2018, de nouvelles garanties sont présentées par voie diplomatique. Est indiqué que la peine maximale encourue est désormais l’emprisonnement à vie, qu’une réforme mettant fin à la perpétuité incompressible est en cours, et qu’enfin existent des conditions d’aménagement des peines (pt. 19). Le premier ministre français autorise l’extradition du requérant par décret le 21 février 2020.
■ Mesures provisoires. Le requérant saisit la Cour européenne des droits de l’homme d’une demande d’adoption de mesures provisoires, aux fins de suspendre son extradition, sur le fondement de l’article 39 du règlement de la Cour. Les mesures provisoires sont des mesures d’urgence, adoptés par la CEDH à titre exceptionnel, lorsque les requérants sont exposés à un risque réel de dommages graves et irréparables. La Cour fait droit à cette demande, et indique au gouvernement français de ne pas extrader le requérant pendant la durée de la procédure.
La CEDH procède à l’examen de l’affaire sur le fond. Il convient, en l’espèce, d’examiner les « conséquences prévisibles du renvoi du requérant dans le pays de destination » (pt. 95), afin de déterminer si le requérant encourt un risque réel d’être exposé à un traitement contraire à l’article 3. La charge de la preuve repose, en principe, sur le requérant. La Cour rappelle toutefois qu’il n’est pas nécessaire que les requérants « rapportent une preuve certaine de leurs affirmations qu’ils seront exposés à des traitements prohibés. (…) Il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels (…) » (pt. 97).
La date de l’appréciation revêt une importance particulière. En effet, le premier ministre a autorisé l’extradition en 2020. Or, en 2022, le Burkina Faso a fait l’objet de deux coups d’État (pts. 32 à 41) entraînant la suspension de l’ordre constitutionnel. La Cour européenne des droits de l’homme choisit d’effectuer une appréciation ex nunc. Cela signifie que la date prise en compte pour l’appréciation est celle de l’examen de l’affaire par la CEDH. Elle prend ainsi en compte les évolutions postérieures à l’adoption de la décision d’extradition par les autorités françaises.
La Cour constate qu’au jour de l’arrêt, les autorités françaises n’ont pas pris en compte le nouveau contexte politique au Burkina Faso (pt. 126) dans l’évaluation de l’existence d’un risque de traitement contraire à l’article 3. Il revient, à l’État défendeur, de procéder à un réexamen de la fiabilité des assurances diplomatiques fournies afin d’écarter le risque que le requérant soit soumis à des traitements incompatibles avec l’article 3 de la Convention (pt. 129). À défaut d’un tel réexamen ex nunc, la violation de l’article 3 serait caractérisé.
La CEDH juge, à l’unanimité, « qu’il y aurait violation » de l’article 3 en cas d’extradition du requérant sans nouvelle appréciation par les autorités françaises.
Référence :
■ CEDH gd. ch., 21 nov. 2019, Illias et Ahmed c/ Hongrie, n° 47287/15 : AJDA 2020. 160, chron. L. Burgorgue-Larsen ; RTD civ. 2020. 329, obs. J.-P. Marguénaud
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