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[ 5 décembre 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Faculté de rachat : précisions sur la condition de remboursement du prix

À défaut d’accord entre les parties, le vendeur avec faculté de rachat ne peut entrer en possession de l’immeuble qu’après avoir réglé le prix et les frais annexes définitivement fixés en justice.

Une société civile immobilière (SCI) avait vendu à une autre un immeuble, après s’être réservé une faculté de rachat, entendue comme la possibilité pour le vendeur de reprendre la chose vendue, moyennant la restitution du prix principal et le remboursement de certains frais et dépenses exposés par l’acquéreur (C. civ, art. 1659). A la suite de l’exercice par la SCI venderesse de son droit de rachat, un désaccord était survenu entre les parties sur le montant des sommes à rembourser : si elles s’étaient entendues sur le prix principal, restait à trouver un accord sur les frais annexes, que les parties avaient demandé à la justice de fixer. Un premier jugement avait condamné la société venderesse à verser une certaine somme à l’acquéreur au titre de ce rachat (un peu plus de 400 000 €), ce qu’elle fit jusqu’à ce qu’elle put obtenir de l’acheteuse le versement, à compter d’une certaine date, de la totalité des loyers afférents au bien qui était également loué, se prévalant de l’exécution provisoire attachée au jugement du tribunal. L’acheteuse en avait toutefois demandé le remboursement, considérant que le transfert de propriété ne pouvait  avoir lieu au profit du vendeur tant que le prix définitif n’avait pas été versé. Elle obtint gain de cause en appel, la cour condamnant la SCI venderesse à verser un peu plus de 300 000 € au titre de la restitution du prix et des frais et à reverser la totalité des loyers perçus jusqu’au complet paiement du prix définitif, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il soit arrêté par une décision ayant autorité de chose jugée et justifiant que le transfert de propriété intervienne à son profit, ce à quoi elle ne pouvait à ce stade prétendre, ayant interjeté appel du jugement pour obtenir la minoration du prix versé.

Au visa de l’article précité 1659 du Code civil, et de l’article 1673, selon lequel le vendeur qui use de la faculté de rachat ne peut entrer en possession qu’après s’être acquitté des remboursements prévus (prix et frais annexes), la Cour de cassation censure cette décision. Si comme le rappelle la Haute cour, à défaut d’accord des parties, le vendeur qui use de la faculté de rachat ne peut entrer en possession de l’immeuble qu’après avoir réglé le prix et les frais définitivement fixés judiciairement, en l’espèce, la SCI venderesse ayant versé, au titre du remboursement du prix et des frais annexes, une somme d’un montant supérieur à celui retenu par l’arrêt d’appel, il convenait donc de considérer que celle-ci avait déjà repris possession du bien en sorte qu’elle était libérée du versement des loyers litigieux.

La faculté de rachat est une stipulation particulière de la vente (autrefois appelée « vente à réméré », l’expression ayant été supprimée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit) par laquelle le vendeur se réserve le droit de reprendre la chose vendue moyennant la restitution du prix à l’acquéreur, augmenté des frais de la vente. Elle trouve son origine en droit romain où la vente d’un immeuble qui, en raison de la valeur attachée à ce dernier, était regardée comme suspecte, réservait au vendeur le droit de le racheter. Sous l’Ancien droit, elle fut stratégiquement utilisée pour contourner la prohibition des prêts à intérêt. Elle semble aujourd’hui rarement pratiquée, même si son utilité en matière boursière a pu être soulignée (V. Heinrich, « La vente à réméré d’obligations »: JCP E 1984. II. 14282). Son rôle en matière immobilière est en revanche pour le moins ténu, d’où l’intérêt, premier et immédiat, de la décision rapportée.

La vente avec faculté de rachat se présente comme un instrument de crédit déguisé, en ce sens qu’elle permet au propriétaire d'obtenir par la vente de son bien les fonds dont il a besoin, tout en gardant la possibilité d'en recouvrer la propriété, s'il revient à meilleure fortune. Elle s’analyse en définitive comme une vente sous condition résolutoire purement potestative dont la validité est exceptionnellement admise par la loi (comp. C. civ., art. 1304-2). C’est la raison pour laquelle son régime est strictement encadré par la loi ainsi que par la jurisprudence. Ainsi, par exemple, la faculté de rachat ne peut-elle être stipulée pour une durée supérieure à cinq ans (C. civ., art. 1660).

L’exercice de la faculté de rachat anéantit rétroactivement la vente de la même façon qu’une clause résolutoire. Dans les relations entre les parties, le vendeur doit en conséquence rembourser à l’acquéreur le prix de la vente ainsi que ses accessoires. Au cœur du mécanisme, le remboursement du prix et des frais se présente donc comme un effet inéluctable de la résolution de la vente, elle-même consécutive à l’exercice de la faculté de rachat (Req. 14 janv. 1873). Cette obligation de restitution est essentielle en ce que seul son accomplissement permet au vendeur de recouvrer la propriété de son bien et d’en reprendre possession (Civ. 3e, 20 déc. 2006, n° 06-13.078). En effet, le vendeur qui use du pacte de rachat est en droit de retrouver la propriété de son bien et donc la jouissance de la chose rétrocédée et de ses fruits, à compter du jour où il a satisfait à sa principale obligation, celle de payer le prix de rachat. 

L’intérêt de la décision rapportée est de préciser l’application du principe prétorien qui complète la règle précédente, selon lequel en cas de désaccord des parties, l’entrée en possession du vendeur est subordonnée au caractère définitif de la décision judiciaire fixant le prix de rachat et les frais qu’il aura versés, l’idée étant que le transfert de propriété ne peut intervenir qu'à la date où le prix global, définitivement arrêté par une décision ayant autorité de la chose jugée, aura été effectivement et intégralement restitué. La cour d’appel avait en conséquence considéré, selon une analyse purement technique, que la venderesse, parce qu’elle avait en cause d’appel demandé une minoration du prix fixé en première instance, que dès lors elle contestait, ne pouvait sérieusement soutenir qu'elle s'était effectivement acquittée du prix dans son intégralité. Au contraire, comme le lui oppose la Haute cour de manière plus pragmatique, elle pouvait bien y prétendre puisqu’elle avait, conformément à la décision des premiers juges, versé une somme supérieure à celle fixée en appel en sorte que concrètement, il convenait de juger que le prix de rachat avait bien été intégralement versé. Ayant recouvré la propriété de son bien, la venderesse était donc en droit d’en percevoir les loyers sans avoir à les restituer.

Moralité, à la condition d’y mettre le prix, il est toujours possible de racheter son passé…

Civ. 3e, 8 nov. 2018, n° 14-25.005

Références

■ Req. 14 janv. 1873:  DP 1873.1, p. 185

■ Civ. 3e, 20 déc. 2006, n° 06-13.078

 

Auteur :Merryl Hervieu


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