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Droit de la responsabilité civile
Fait des choses : illustration du fait du tiers totalement exonératoire de la responsabilité du gardien
Mots-clefs : Responsabilité civile, Fait des choses, Gardien, Transporteur ferroviaire, Exonération, Fait du tiers, Exonération totale, Conditions, Force majeure, Imprévisibilité, Irrésistibilité
Présente pour la SNCF un caractère irrésistible et imprévisible constitutif d'un cas de force majeure exonératoire de responsabilité, le fait d'un tiers qui, en dehors de toute altercation, a dans un temps très bref, conduit la victime sur les rails sans qu’aucune mesure technique et financière ait été envisageable à l’effet d’empêcher la survenance de l’accident.
Alors qu'il se trouvait sur un quai de RER, un usager avait été, au moment où un train entrait en gare, soudainement ceinturé et entraîné sur les voies par un tiers. Chutant sur les rails, les deux hommes avaient été immédiatement percutés par le train et en étaient morts. Ayant indemnisé les ayants droit du défunt passager agressé, le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI) avait agi contre la SNCF en remboursement des sommes versées. Rappelons ici qu’en vertu de l'article 706-11 du Code de procédure pénale, le FGTI a la possibilité d'agir à l'encontre des personnes qui ne sont pas pénalement responsables de l'infraction mais qui peuvent être tenues d'assurer la réparation totale ou partielle du dommage causé par l'infraction, sans que cette obligation à réparation fasse nécessairement l'objet d'un titre quelconque préexistant.
La cour d’appel déclara l’action du FGTI non fondée au motif que le fait du tiers (l’auteur de l’accident), présentant les caractères de la force majeure, exonérait la société de transport de toute responsabilité.
La FGTI forma un pourvoi en cassation invoquant, d’une part, l’absence d’irrésistibilité de l’événement, dans la mesure où l'installation de façades sur les quais aurait permis de l'éviter et contestant, d’autre part, le renversement de la charge de la preuve à tort opérée par la cour d’appel dès lors qu’il n’incombait pas à la SNCF de démontrer l'impossibilité technique de l'installation de façades sur les quais au soutien du caractère irrésistible de l’accident pour échapper à son obligation de prendre en charge ses conséquences dommageables, d'en rapporter la preuve au lieu de faire peser sur elle la charge de la preuve de la faisabilité technique de l'installation de façades.
La Cour de cassation rejette le pourvoi : « (…) ayant relevé, par motifs propres et adoptés, que l'agresseur (…) souffrait de schizophrénie et entendait des voix, qu'aucune altercation n'avait opposé les deux hommes qui ne se connaissaient pas, qu'un laps de temps très court s'était écoulé entre le début de l'agression et la collision avec le train, que l'enquête pénale avait conclu à un homicide volontaire et à un suicide et qu'aucune mesure de surveillance ni aucune installation n'aurait permis de prévenir ou d'empêcher une telle agression, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations ce qui, compte tenu de l'ampleur des travaux et du fait que la SNCF n'était pas propriétaire des quais, ne pouvait être exigé de celle-ci à ce jour, la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a pu décider que le fait du tiers avait présenté pour cette dernière un caractère irrésistible et imprévisible pour en déduire, à bon droit, l'existence d'un cas de force majeure ».
Le gardien d’une chose ne peut totalement échapper à l’engagement de sa responsabilité, depuis l’illustre arrêt Jand'heur, « (…) que par la preuve d'un cas fortuit ou de force majeure ou d'une cause étrangère qui ne lui soit pas imputable » (Cass., ch. réunies, 13 févr. 1930). Ainsi, à condition de revêtir les caractères de la force majeure, le fait du tiers, comme d’ailleurs la faute de la victime, justifie-t-il, l’exonération totale du gardien de la chose. La Cour de cassation l’a très tôt admis, tout en subordonnant l’intervention du tiers aux caractères imprévisible et irrésistible (Cass. civ., 19 juin 1934). Le fait imprévisible et irrésistible doit s'entendre d'un événement dont il n'est pas envisageable d'imaginer la survenance et dont il est impossible d'empêcher les effets. Au milieu du vingtième siècle, la Cour de cassation, protectrice des intérêts du gardien, se contentait de la démonstration d'une cause étrangère, qu’elle provienne du fait d’un tiers ou de la faute de la victime, « normalement » imprévisible, pour admettre l'exonération de responsabilité (Civ. 2e, 9 nov. 1955. Civ. 2e, 6 juill. 1960). Autrement dit, le gardien normalement raisonnable, prudent, diligent, dont le comportement était apprécié à l’aune du standard du « bon père de famille », pouvait être exonéré de sa responsabilité en se prévalant utilement de l'imprévisibilité du fait générateur du dommage. Mais cette souplesse d’appréciation, dont la jurisprudence a fait preuve jusqu’au début des années quatre-vingt (Civ. 2e, 24 janv. 1974, n° 72-14.393 ; ; Civ. 2e, 24 mars 1980), présentait l’inconvénient de réintégrer la notion de faute, en faisant dépendre l’engagement de la responsabilité du gardien de la négligence ou de l’imprudence de son comportement, au sein d’une responsabilité objective sans lien avec une quelconque faute. C’est sans doute la raison pour laquelle la jurisprudence ultérieure s’est montrée plus sévère, la Cour de cassation faisant preuve une appréciation plus rigoureuse des éléments constitutifs de la force majeure, notamment de celui relatif à l’imprévisibilité, et spécialement dans le cadre des accidents survenus à l’occasion de transports ferroviaires, au point que l’exonération totale du gardien du train par la preuve d'une cause étrangère extérieure, imprévisible et irrésistible était « devenue largement théorique, (…) révélant une contradiction consistant à affirmer l'existence d'une cause d'exonération tout en refusant systématiquement de reconnaître la réunion de ses conditions » (S. Hocquet-Berg, « Gardien cherche force majeure désespérément » ; RCA 2003, étude 12). Ainsi la SNCF ne pouvait se prévaloir de l'imprévisibilité et de l'irrésistibilité du comportement de la victime qui, tentant de monter dans le train en marche, s’était blessée en tombant sur la voie (Civ. 2e, 15 déc. 2005, n° 03-16.772 ; Civ. 2e, 3 mars 2016, n° 15-12.217) ou de celle qui, couchée sur la voie en état d’ébriété, avait été percutée par un train (Civ. 2e, 21 déc. 2006, n° 06-12.368), ou bien encore de celle qui se trouvait à l’intérieur d'un véhicule automobile entre les barrières ou demi-barrières autorisant le passage prioritaire d'un train (Civ. 2e, 10 nov. 2009, n° 08-20.971), dans la mesure où elle est régulièrement confrontée à ce type d’accidents et qu’elle dispose des moyens nécessaires pour empêcher leur survenance, position d’autant plus sévère qu’elle se révèle, financièrement et techniquement discutable. En revanche, le suicide d’un usager, chutant volontairement sur une voie, est un comportement dont l’imprévisibilité était admise, dès lors qu’aucun des préposés de la RATP ne peut anticiper une telle volonté et qu’aucun manquement aux règles de sécurité ne peut être constaté, l'exploitant du réseau ne pouvant donc se voir reprocher de ne pas avoir pris toutes les mesures rendant impossible le passage à l'acte de la victime, en sorte qu’il doit être exonéré de sa responsabilité, présumée (Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168).
Dans la décision rapportée, qui va dans le sens de la précédente, le comportement de l’agresseur à l'origine du dommage a été jugé comme ayant eu pour la SCNF un caractère imprévisible et irrésistible. En effet, son geste, aussi brutal qu’inattendu, en l’absence d’altercation préalable, avait été commis de manière totalement irrationnelle, ce que la maladie mentale dont il était atteint expliquait et les conséquences de son geste, ayant entraîné sa propre perte, confirmaient. En outre, la rapidité de son exécution fut telle qu'aucune mesure de surveillance n'aurait pu le prévenir ou l'empêcher. Ainsi, au regard de la soudaineté de l'agression et de son caractère irrationnel, aucune mesure émanant de la SNCF n'était susceptible de l'éviter, sauf à installer des façades de quai dans toutes les stations sans exception, un tel comportement ne dépendant pas de la configuration de la station ni de l'affluence des utilisateurs, installation qui ne peut être à ce jour, selon les juges, exigée de la SNCF compte tenu de l'ampleur financière des travaux qu'elle nécessiterait et dont la faisabilité technique n'est de surcroît pas démontrée. Enfin, la SNCF ne dispose d'aucun pouvoir de police sur les quais dont elle n’a pas, de surcroît, la propriété.
Au vu de l’ensemble de ces circonstances, le comportement du tiers présentait donc bien, pour la SNCF, un caractère imprévisible et irrésistible caractérisant l'existence de la force majeure de nature à l'exonérer de la présomption de responsabilité qui pèse sur elle en tant que gardien.
Civ. 2e, 8 févr. 2018, n° 17-10.516
Références
■ Fiches d’orientation Dalloz : Force majeure ; Responsabilité civile du fait des choses
■ Cass., ch. réunies, 13 févr. 1930, Jand'heur : D. 1930, 1, p. 57, note Ripert, concl. Matter.
■ Cass. civ., 19 juin 1934 : DH 1934, p. 209 ; S. 1935, 1, p. 28.
■ Civ. 2e, 9 nov. 1955 ; Bull. civ. II, n° 306.
■ Civ. 2e, 6 juill. 1960: Bull. civ. II, n° 439.
■ Civ. 2e, 24 janv. 1974, n° 72-14.393 P.
■ Civ. 2e, 24 mars 1980, n° 78-15.733 P.
■ Civ. 2e, 15 déc. 2005, n° 03-16.772 P : D. 2006. 101 ; RTD com. 2006. 657, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 2e, 3 mars 2016, n° 15-12.217 P : Dalloz Actu Étudiant, 12 avr. 2016 ; D. 2016. 766, note N. Rias ; ibid. 1396, obs. H. Kenfack
■ Civ. 2e, 21 déc. 2006, n° 06-12.368 P.
■ Civ. 2e, 10 nov. 2009, n° 08-20.971.
■ Cass., ass. plén., 14 avr. 2006, n° 02-11.168 P: D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister, note P. Jourdain ; ibid. 1566, chron. D. Noguéro ; ibid. 2638, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2006. 775, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 904, obs. B. Bouloc.
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