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Droit pénal général
Faux et usage de faux : à vouloir faire le bien, on fait fausse route
L’incrimination de faux suppose de caractériser une altération frauduleuse de la vérité de nature à causer un préjudice à la victime. Tel est le cas de l'apposition d'une fausse signature sur les offres de prêt et leur utilisation pour l'obtention des deux prêts. Un tel acte est de nature à causer un préjudice à l’épouse qui se trouve, par l'effet de cette signature, engagée en qualité de co-emprunteuse dans l'exécution de chacun des contrats finalement souscrits.
Crim. 19 oct. 2022, n° 21-84.468
En 2009, une femme est victime d'un grave accident de la circulation et hospitalisée plusieurs mois. Elle garda des séquelles physiques et psychologiques irréversibles de l'accident. Son mari, souscrit, en 2012, au nom du couple un contrat de prêt de rachat de crédit d'un montant de 74 000 euros et un contrat de prêt pour travaux d'un montant de 81 000 euros. À cette fin, il a imité la signature de son épouse. L'un des prêts est contracté dans le but de financer les travaux du domicile, rendus nécessaires par le lourd handicap de son épouse à sa sortie de l'hôpital. Le couple finit par se séparer et la femme est placée sous tutelle.
En 2015, une plainte des chefs de faux et usage de faux est déposée et donne lieu à l’ouverture d’une information, puis à une mise en examen du mari. Par ordonnance du 11 décembre 2020, le juge d'instruction prononce un non-lieu dont la femme, représentée par son tuteur, ainsi que ses parents, également parties civiles, relèvent appel. Cette décision est confirmée par la chambre de l’instruction. Selon les juges si la commission de l'élément matériel du faux était avérée et reconnue, le mari ayant admis avoir signé les offres de prêt en lieu et place de son épouse, ces prêts n'avaient cependant pas été préjudiciables à cette dernière.
La décision est cassée par la chambre criminelle au visa de l’article 441-1 du code pénal. Selon ce texte, constitue un faux « toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques ». Le faux est une infraction à la fois complexe (elle implique la réunion de plusieurs éléments matériels) et formelle qui nécessite notamment que la falsification constitutive du faux doit être « de nature à causer un préjudice ». Faute de préjudice pouvant résulter de cette falsification, la qualification ne peut être retenue (ex : Crim. 5 déc. 1994, n° 94-81.262). Une telle exigence existait déjà dans la jurisprudence rendue sous l'empire de l'ancien code pénal. La Chambre criminelle de la Cour de cassation affirmait déjà, qu'il n'y a faux punissable qu'autant que la pièce contrefaite ou altérée est susceptible d'occasionner à autrui un préjudice (Crim. 15 juin 1962, Bull. Crim. n° 222). Le code pénal actuel n'exige pas la réalisation effective d'un préjudice pour la constitution du faux. Le faux est une infraction qui ne requiert donc qu’un « un préjudice éventuel, et non pas un préjudice actuel » (c. Saas, obs. ss Crim. 18-05-2005, n° 04-84.742).
En l’espèce, les juges du fond avaient écarté l'existence d'un préjudice même éventuel aux motifs d’abord que les prêts souscrits ne résultent pas d'un stratagème et en raison de leur caractère altruiste et utilitaire : financer les travaux du domicile, rendus nécessaires par le lourd handicap de l’épouse. Ensuite, ils soulignent que le prêt destiné au rachat des autres crédits contractés par le mis en examen durant l'hospitalisation, n’a pas été utilisé à d'autres fins et l’absence, pendant ce temps, de dilapidation par le mari du patrimoine. Selon les juges, le mari n’a pas « engagé les deniers du couple, commun en biens, de manière disproportionnée et préjudiciable à sa [femme] ou en mettant en péril l'équilibre financier du foyer ». Enfin, ils estiment que les divers préjudices allégués par l’épouse « résultent de la situation patrimoniale créée par le divorce, indépendamment d'un préjudice qui résulterait des prêts contractés ». En conséquence, ils en déduisent que l’auteur du faux « ne s'est livré à aucune manœuvre afin d'obtenir les prêts apparaissant causés conformément à leur objet, et qu'il n'a pas cherché à tirer avantage de la situation ainsi créée ».
Cette motivation est censurée. Selon les juges du quai de l’horloge, « l'apposition d'une fausse signature sur les offres de prêt et leur utilisation pour l'obtention des deux prêts était de nature à causer un préjudice à l’épouse qui s'est trouvée, par l'effet de cette signature, engagée en qualité de co-emprunteuse dans l'exécution de chacun des contrats finalement souscrits ». La cour reprend ici une solution classique : le faux est punissable dès lors qu’il fait supporter une charge supplémentaire et parce qu’il est susceptible d'engager la responsabilité de la victime (Crim. 15 sept. 1999, n° 98-85.350) ou sa mise en cause (Crim. 1er déc. 2010, n° 10-80.771). En l’espèce, la partie civile est tenue de s'acquitter du paiement des intérêts d’emprunt et se retrouve exposée à un risque de poursuites judiciaires en cas de défaillance dans le remboursement des échéances.
En matière de faux, le préjudice de la victime est caractérisé « chaque fois que le coupable (…) a mis à sa charge une obligation qu'elle n'avait pas consentie ou plus lourde que celle prévue » (A. Vitu, Traité de droit pénal spécial : Cujas, 1982, p. 957) ou chaque fois qu’une telle potentielle obligation plane au-dessus d’elle.
Références :
■ Crim. 5 déc. 1994, n° 94-81.262
■ Crim. 15 juin 1962, Bull. Crim., n° 222 : D. 1962.505
■ Crim. 18-05-2005, n° 04-84.742 : D. 2005. 1804 ; AJ pénal 2005. 370, obs. C. Saas ; RTD com. 2005. 858, obs. B. Bouloc
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