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[ 9 novembre 2017 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Fichiers d’antécédents judiciaires : les possibilités restreintes d’effacement jugées contraires à la Constitution

Mots-clefs : Traitement des antécédents judiciaires, TAJ, Fichier commun, Police, Gendarmerie, QPC, Non-conformité, Constitution, Vie privée

Par une décision QPC du 27 octobre 2017, le Conseil constitutionnel a censuré, pour atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, les dispositions de l’article 230-8 du Code de procédure pénale relatives aux possibilités d’obtenir l’effacement des données personnelles enregistrées.

L’article 230-8 du Code de procédure pénale, relatif aux fichiers d’antécédents judiciaires, place le traitement des données à caractère personnel enregistrées sous le contrôle du procureur de la République en chargeant notamment celui-ci de se prononcer sur les suites à donner aux demandes d’effacement ou de rectification. Le même texte prévoit qu’« en cas de décision de relaxe ou d’acquittement devenue définitive, les données personnelles concernant les personnes mises en cause sont effacées, sauf si le procureur de la République en prescrit le maintien, auquel cas elle fait l’objet d’une mention », et également que « les décisions de non-lieu et de classement sans suite font l’objet d’une mention, sauf si le procureur de la République ordonne l’effacement des données personnelles » (la rédaction de ces dispositions résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016). 

L’auteur de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), transmise par la chambre criminelle le 26 juillet 2017, entendait contester la conformité de ces dispositions au droit au respect de la vie privée découlant de la liberté proclamée à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elles permettent aux seules personnes ayant bénéficié d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite d'obtenir un effacement anticipé des données à caractère personnel les concernant inscrites au sein d'un fichier de traitement d'antécédents judiciaires. Ainsi, en excluant les personnes déclarées coupables d'une infraction mais dispensées de peine, ces dispositions porteraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, compte tenu de la nature des données enregistrées, de leur durée de conservation, de la finalité de police du fichier et de son périmètre d'utilisation.

Sur la recevabilité de la QPC, le Conseil note d’abord que « le premier alinéa de l'article 230-8 a été modifié par la loi du 3 juin 2016, s'agissant en particulier des hypothèses dans lesquelles des données peuvent être effacées d'un fichier d'antécédents judiciaires et des raisons pour lesquelles cet effacement peut être décidé », de sorte que, s’il s’est déjà prononcé sur cet article créé par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (dite « LOPPSI » ; V. Cons. const. 10 mars 2011, n° 2011-625 DC), il y a eu un changement de circonstances lui permettant d’examiner la nouvelle rédaction de ces dispositions (Cons. const. 27 oct. 2017, n° 2017-670 QPC, § 6).

Sur le fond, le Conseil précise d’abord que, pour se concilier avec le droit au respect de la vie privée, impliqué par l’article 2 de la Déclaration de 1789, « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (Cons. const. 27 oct. 2017, n° 2017-670 QPC, § 7). Il relève alors que le législateur, en autorisant la création de fichiers d’antécédents judiciaires, « outil(s) d'aide à l'enquête judiciaire et à certaines enquêtes administratives », a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et de prévention des atteintes à l'ordre public (Cons. const. 27 oct. 2017, n° 2017-670 QPC, § 9). Pour autant, il note aussi que : le législateur a permis que figurent dans ces fichiers des données particulièrement sensibles (éléments d'état civil, profession ou situation familiale et photographie permettant de recourir à un dispositif de reconnaissance faciale) ; ces fichiers sont susceptibles de porter sur un grand nombre de personnes (toute personne mise en cause pour un crime, un délit et certaines contraventions de la cinquième classe) ; le législateur n'a pas fixé la durée maximum de conservation des informations enregistrées dans un fichier d'antécédents judiciaires (l'art. R. 40-27 C. pr. pén. prévoyant qu'elles sont conservées pendant une durée comprise entre 5 ans et 40 ans selon l'âge de l'individu et la nature de l'infraction). Ces informations peuvent être consultées non seulement pour rechercher les auteurs d’infractions mais également à d'autres fins de police administrative. Et il en déduit que les dispositions contestées, « en privant les personnes mises en cause dans une procédure pénale, autres que celles ayant fait l'objet d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite, de toute possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles inscrites dans le fichier des antécédents judiciaires », portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée (Cons. const. 27 oct. 2017, n° 2017-670 QPC, § 14). 

Le premier alinéa de l’article 230-8 du Code de procédure pénale est jugé contraire à la Constitution mais sa date d’abrogation est différée au 1er mai 2018, et ce pour ne pas priver les personnes inscrites ayant bénéficié d'un acquittement, d'une relaxe, d'un non-lieu ou d'un classement sans suite, de la possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles. 

Le traitement des antécédents judiciaires (TAJ) est un fichier commun à la police et à la gendarmerie, né de la fusion du STIC (système de traitement des infractions constatées, propre à la police) et du JUDEX (système judiciaire de documentation et d’exploitation, propre à la gendarmerie). Son cadre légal, jugé conforme à la Constitution en 2011, a évolué à la suite de plusieurs décisions du Conseil d’État (V. CE 17 juill. 2013, Elkaim, n° 359417. CE 11 avr. 2014, Ligue des droits de l'homme, n° 360759. V. aussi, précisant l’étendue des pouvoirs de l’autorité judiciaire en matière d’effacement, CE, avis, 30 mars 2016) et de la Cour européenne des droits de l’homme, avec la loi du 3 juin 2016 (V. le commentaire du Conseil constitutionnel, p. 6). La Cour de Strasbourg, en particulier, s’est déjà prononcée sur la conformité à l’article 8 de la Convention de différents fichiers de police (V. en dernier lieu, concernant le FNAEG, CEDH 22 juin 2017, Aycaguer c/ France, n° 8806/12), et la chambre criminelle, dans sa décision de renvoi de la QPC, mentionnait expressément l’arrêt Brunet contre France, en date du 18 septembre 2014 et relatif au STIC, pour justifier l’existence d’un changement de circonstances (la référence directe à la jurisprudence européenne a disparu dans la décision du Conseil, mais il n’en demeure pas moins que la loi du 3 juin 2016, sur ce point, a précisément été adoptée pour « mettre le droit interne en conformité avec la jurisprudence de la CEDH » ; V. le commentaire précité, p. 7). 

Reste donc au législateur à faire, de nouveau, évoluer le régime juridique du TAJ pour mieux garantir le droit au respect de la vie privée. 

Cons. const. 27 oct. 2017, n° 2017-670 QPC

Références

■ Cons. const. 10 mars 2011, Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, n° 2011-625 DC : AJDA 2011. 532 ; ibid. 1097, note D. Ginocchi ; AJCT 2011. 182, étude J.-D. Dreyfus ; Constitutions 2011. 223, obs. A. Darsonville ; ibid. 581, chron. V. Tchen ; RSC 2011. 728, chron. C. Lazerges ; ibid. 789, étude M.-A. Granger ; ibid. 2012. 227, obs. B. de Lamy.

■ CE 17 juill. 2013, Elkaim, n° 359417 : Lebon ; AJDA 2013. 1543 ; ibid. 2032, concl. E. Crépey ; Procédures 2013, n° 11, note S. Deygas.

■ CE 11 avr. 2014, Ligue des droits de l'homme, n° 360759 : Lebon AJDA 2014. 823 ; AJ pénal 2014. 431, obs. E. Péchillon.

■ CE, avis, 30 mars 2016, n° 395119 : Lebon ; Dalloz actualité 6 avr. 2016, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2016. 1701, obs. A. Duranthon.

■ CEDH 22 juin 2017, Aycaguer c/ France, n° 8806/12 : Dalloz Actu Étudiant, 5 juill. 2017. AJDA 2017. 1311 ; ibid. 1768, obs. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1363 ; AJ pénal 2017. 391, obs. V. Gautron.

■ CEDH 18 sept. 2014, Brunet c/ France, n° 21010/10 : Dalloz actualité 29 sept. 2014, obs. J. Gaté ; AJDA 2014. 1796 ; D. 2014. 1880 ; AJ pénal 2014. 539, obs. G. Roussel ; RSC 2015. 165, obs. D. Roets.

■ Déclaration des droits de l’homme et du citoyen

Article 2

« Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

 

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

 

Auteur :S. L.


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