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[ 24 octobre 2017 ] Imprimer

Droit international privé

Filiation de l’enfant, valeur essentielle de l’ordre public international français

Mots-clefs : Droit international privé, Conflit de lois, Filiation, Action en recherche de paternité, Loi applicable à l'établissement de la filiation, Loi nationale de la mère, Privation de l'enfant de son droit d'établir sa filiation paternelle, Ordre public international français, Éviction de la loi étrangère contraire à l'ordre public international (oui)

La loi étrangère applicable à l’établissement de la filiation de l’enfant qui prive ce dernier de son droit d'établir sa filiation paternelle est contraire à l'ordre public international français.

Une femme de nationalité camerounaise avait donné naissance, en France, à un enfant. Agissant tant en son nom qu'en celui de son fils, elle avait assigné en recherche de paternité un homme, de nationalité suédoise. Pour s’y opposer, celui-ci argua de l’irrecevabilité de l'action, au regard du droit camerounais applicable, compte tenu de l'inconduite notoire de la mère, celle-ci ayant, durant la période légale de conception, entretenu des relations avec d’autres hommes que lui. Or, l’article 311-14 du Code civil dispose que « la filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l’enfant (...) ». 

En appel, la demande de la mère fut pourtant accueillie. 

Devant la Cour de cassation, le père fit alors valoir que n'est pas contraire à l'ordre public international français la loi étrangère qui, sans prohiber de manière générale l'établissement du lien de filiation entre le père prétendu et l'enfant, se borne à le soumettre à certaines conditions, seraient-elles plus restrictives que celles de la loi française. Aussi, selon le requérant, en jugeant contraire à l'ordre public international français l'application de la loi camerounaise motif pris qu'elle aboutirait à priver un enfant mineur né en France et y demeurant habituellement de son droit d'établir sa filiation paternelle, tout en constatant que ses dispositions, identiques à celles des articles 340 et 340-1 du Code civil français dans leur rédaction antérieure à la loi du 8 janvier 1993, prévoyant la reconnaissance judiciaire de la paternité hors mariage dans des cas d'ouverture et des fins de non-recevoir limitativement énumérés, n'emportait pas prohibition générale de l'établissement de la filiation paternelle, la cour d'appel avait violé les articles 3 et 311-14 du Code civil. Son pourvoi est rejeté par la première chambre civile, la cour d’appel ayant exactement retenu que les dispositions, qui privaient l'enfant de son droit d'établir sa filiation paternelle, étaient contraires à l'ordre public international français. 

Doivent donc être écartées, en tant qu'elles sont contraires à l'ordre public international français, car elles privent l'enfant de son droit d'établir sa filiation paternelle, les dispositions de la loi camerounaise qui prévoient que l'action en recherche de paternité est irrecevable lorsque, pendant la période légale de conception, la mère a été d'une inconduite notoire ou si elle a eu commerce avec un autre homme.

La décision rapportée confirme une évolution remarquable du droit international de la filiation : la reconnaissance, au rang des principes de l'ordre public international français, du droit pour l’enfant d’établir sa filiation (V. déjà Civ. 1re 26 oct. 2011, n° 09-71.369) et le possible effacement d’un ordre public de proximité au profit d’un ordre public plein, en faveur de l’enfant. Cette évolution est l’oeuvre de la jurisprudence qui, progressivement, a pris des libertés par rapport au texte de l’article 311-14 du Code civil lequel, s’il avait toujours été strictement appliqué, aurait conduit à priver un enfant d’établir sa filiation lorsque la loi du pays de sa mère se révélait « prohibitive », c’est-à-dire plus stricte que la loi française. Par exemple, hypothèse fréquente en France, l’enfant né d’une mère algérienne et d’un père français n’ayant pas reconnu cet enfant, ne pourrait pas établir sa filiation paternelle car la loi algérienne, loi nationale de la mère, ne reconnaît pas civilement, contrairement à la loi française, la filiation naturelle. 

Ainsi la jurisprudence a-t-elle progressivement, par divers raisonnements, fait en sorte d’écarter les lois étrangères entravant l’établissement de la filiation de l’enfant. 

Tout d’abord, dans un premier arrêt en date du 3 novembre 1988 (Civ. 1re, 3 nov. 1988, n° 87-11.568), la Cour de cassation, au nom d’un ordre public que l’on pourrait qualifier d’ « alimentaire », a jugé que la loi étrangère désignée par la règle de conflit, quoique prohibant l’établissement de la filiation naturelle, n'était pas contraire à la conception française de l’ordre public international à moins qu’elle conduise à priver l’enfant des subsides qui lui sont nécessaires. Autrement dit, à cette époque, si la Cour admettait l’impossibilité pour l’enfant d’établir sa filiation lorsque le droit international applicable s’y opposait, elle exigeait cependant que la loi étrangère assure des subsides à l'enfant, donc que le père prétendu, dont la preuve de relations intimes avec la mère pendant la période légale de conception était rapportée, verse les subsides nécessaires à son éducation. Malgré cette concession, la solution demeurait sévère pour l’enfant. Elle l’était d’autant plus que, quelques jours auparavant, la même première chambre avait affirmé l’applicabilité d’office de l’article 311-14 du Code civil (Civ. 1re, 11 oct. 1988, n° 87-11.198), donc les règles de conflit en matière de droit international de la filiation (Civ. 1re, 18 nov. 1992, Makhlouf, n° 90-15.275). Drastique pour l’enfant, d’autant plus s’il était né et/ou résidait en France, la position de la Cour conduisait dans tous les cas à lier la filiation de l’enfant à la seule nationalité de la mère au jour de la naissance de celle-ci, et ce même lorsqu’elle aurait par la suite acquis la nationalité française. Au nom d’un ordre public dit de ‘proximité », la Cour assouplit nettement, quelques années plus tard, sa position, jugeant que « (s)i les lois étrangères qui prohibent l’établissement de la filiation naturelle ne sont, en principe, pas contraires à la conception française de l’ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois ont pour effet de priver un enfant né ou résidant habituellement en France, du droit d’établir sa filiation » (Civ. 1re, 10 févr. 1993, n° 89-21.997). Aussi bien, si le principe selon lequel les lois étrangères qui prohibent l'établissement de la filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française de l'ordre public international, demeurait inchangé, elle l’accompagnait d’une réserve de taille, le critère de rattachement de l’enfant à la France, la loi étrangère prohibitive devenant contraire aux conceptions fondamentales du for lorsqu'elle a « pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en France, du droit d'établir sa filiation ». Ainsi, le droit d'établir sa filiation était reconnu aux enfants présentant un lien de rattachement avec la France quand bien même la loi nationale de leur mère le leur aurait interdit. La protection du droit de l’enfant à voir établir sa filiation était en pratique maximale, l’immense majorité des demandes étant formées au profit d’enfants nés ou du moins résidant en France (Cpdt, V. contra, Civ. 1re, 10 mai 2006, n° 05-10.299 : cas d’une mère algérienne vivant avec son enfant en Algérie ayant engagé une action en recherche de paternité naturelle à l’encontre d’un français, la Cour de cassation jugeant que l'enfant n'ayant ni lien personnel ni lien territorial avec l'ordre juridique français, la loi étrangère devait être déclarée conforme à l'ordre public international). 

Plus qu’un tempérament, la décision rapportée marque un réel tournant, déjà amorcé en 2011 (Civ. 1re ,26 oct. 2011, n° 09-71.369), faisant jouer sans le critère jadis requis du rattachement à la France l'exception d'ordre public à l'encontre de la loi étrangère. La seule constatation que la loi camerounaise n'autorise pas l'action en recherche de paternité suffit à déclencher l'exception d'ordre public, caractérisant ainsi le recours à un ordre public « plein ». 

Cependant, la portée de la décision doit être relativisée, pour plusieurs raisons : l’évolution affichée, l’indifférence au critère du rattachement, n’est pas tellement remarquable puisqu’en l’espèce, l’enfant était né en France. Bien que la Cour de cassation n'évoque pas cet élément de proximité au soutien de sa décision, elle affirme par ailleurs que la cour d'appel « a exactement retenu » que la loi était contraire à l'ordre public. Or les juges du fond n'avaient déclaré la loi étrangère contraire à l'ordre public qu'en considération des liens que l'enfant présentait avec la France. Ces critères de proximité constituent donc des éléments de fait que la Cour de cassation a pris en considération. 

Enfin, le manque de généralité de l'attendu invite également à la prudence. En effet, comme en 2011, la Cour écarte la loi camerounaise qui prive « l'enfant » de son droit à établir sa filiation paternelle. S'agit-il de l'enfant de l'espèce, né et vivant en France ? L'emploi de l'article défini circonscrit d'autant plus la portée de la solution qu'il contraste avec l'article indéfini utilisé dans le principe énoncé dans l'arrêt de 1993 et repris en 2006, selon lequel la loi est contraire à l'ordre public lorsqu'elle prive « un enfant » français ou résidant en France du droit d'établir sa filiation. L’importance de la publication de la décision et la confirmation qu’elle apporte à la décision de 2011 incitent tout de même à considérer que, ne visant plus ni les liens personnels ni les liens territoriaux de l'enfant avec le for, la Cour de cassation réitère sa volonté de rompre sa jurisprudence antérieure. La condition de rattachement ne serait désormais plus exigée pour écarter la loi étrangère qui empêche l'enfant d'établir sa filiation paternelle. Partant, le droit d'établir sa filiation aurait accédé au rang des valeurs essentielles de l'ordre public international français (V. sur cette question, J. Guillaumé, JDI, janv. 2012, n° 4).

Civ. 1re, 27 sept. 2017, n° 16-19.654

Références

■ Civ. 1re, 26 oct. 2011, n° 09-71.369 P : D. 2011. 2728 ; ibid. 2012. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2012. 50, obs. E. Viganotti.

■ Civ. 1re, 3 nov. 1988, n° 87-11.568 P.

■ Civ. 1re, 11 oct. 1988, n° 87-11.198 P: GADIP, 5e éd., n° 74 Rev. crit. DIP 1990. 607, étude A. Ponsard.

■ Civ. 1re, 18 nov. 1992, Makhlouf, n° 90-15.275 P : D. 1993. 213, note P. Courbe ; Rev. crit. DIP 1993. 276, note B. Ancel.

■ Civ. 1re, 10 févr. 1993, n° 89-21.997 P : D. 1994. 66, note J. Massip ; ibid. 32, obs. E. Kerckhove ; Rev. crit. DIP 1993. 620, note J. Foyer.

■ Civ. 1re, 10 mai 2006, n° 05-10.299 P : D. 2006. 2890, obs. I. Gallmeister, note G. Kessler et G. Salamé ; ibid. 2007. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2006. 290, obs. A. Boiché.

 

Auteur :M. H.


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