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[ 9 janvier 2020 ] Imprimer

Droit de la famille

Fille au père, un état qui se possède

En cas de possession d’état conforme au titre, la filiation devient incontestable si la possession d’état a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance de l’enfant.

Le père d’une adolescente assigna celle-ci, alors âgée de 21 ans, en annulation de la reconnaissance de paternité qu’il avait effectuée quelques jours après sa naissance ; depuis sa séparation avec la mère de l’enfant, intervenue très peu de temps après la naissance, les relations entretenues avec sa fille s’étaient, selon lui, progressivement détériorées, notamment en raison des entraves à son droit de visite et d’hébergement causées par le conflit l’opposant à son ex-femme et l’éloignement de leurs résidences respectives. 

La cour d’appel déclara sa demande irrecevable comme prescrite : sa filiation établie par reconnaissance étant corroborée par une possession d’état, celle-ci avait dépassé la durée quinquennale légale à compter de laquelle la filiation devient incontestable. 

Devant la Cour de cassation, le père contesta l’existence d’une possession d’état à l’appui de faits censés la contredire : sa fille l’appelait par son prénom et réservait le qualificatif « papa » au mari de sa mère avec lequel elle vivait depuis l’âge de quatre mois et sous le seul nom duquel l’entourage de l’adolescente la connait, la considérant d’ailleurs comme l’un des enfants biologiques de celui qui n’est pourtant que son beau-père. La Cour de cassation confirme néanmoins l’analyse des juges du fond, ayant constaté que les difficultés rencontrées pour l’exercice de l’autorité parentale ne sont que la conséquence de la séparation des parents, peu après la naissance de l’enfant, et de leur éloignement géographique, et relevé que la place de père du demandeur n’a cessé d’être revendiquée par celui-ci depuis la reconnaissance de sa fille jusqu’à une période récente sans avoir jamais, auparavant, été remise en cause, ni par la présence d’un beau-père ni par la majorité, souvent cause d’éloignement entre parents et enfants, atteinte par sa fille depuis déjà trois ans sans que leur lien, depuis toujours maintenu, n’ait, de ce fait, été rompu ni même distendu. La cour d’appel n’ayant pu déduire de l’ensemble de ces considérations que l’existence d’une possession d’état conforme au titre de naissance, elle a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision d’irrecevabilité, l’action étant prescrite.

L’article 310-3 du Code civil permet de contester la filiation par tous moyens, étant précisé qu’un lien de filiation ne peut être remis en cause qu’au moyen d’une action judiciaire en contestation. Aussi, l’article 332, alinéa 2 du même code dispose que « la paternité peut être contestée en rapportant la preuve que (…) l’auteur de la reconnaissance n’est pas le père ». L’article suivant fait alors dépendre les conditions de la contestation de l’existence ou non d’une possession d’état. 

Il convient de préciser qu’en vertu de l’article 311-1 du Code civil, « la possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir ». Il convient en particulier de tenir compte des relations mutuelles du prétendu parent et de l’enfant (tractatus), du nom que ce dernier porte (nomen) et de l’opinion de l’entourage et de la collectivité sur la réalité de la filiation (fama). Il n’est cependant pas indispensable que tous ces éléments soient réunis pour que l’on puisse conclure à l’existence d’une possession d’état. Pour que celle-ci puisse produire ses effets, il faut en revanche impérativement qu’elle revête certaines qualités : en vertu de l’article 311-2, « elle doit être continue, paisible, publique et non équivoque ». 

En l’absence de possession d’état conforme au titre (acte de naissance ou de reconnaissance), la filiation peut être contestée pendant dix ans par tout intéressé (V. C. civ., art. 321 et 334). Au contraire, lorsque la filiation établie est corroborée par une possession d’état, seuls peuvent agir « l’enfant, l’un de ses père et mère ou celui qui se prétend le parent véritable » ; la filiation ne peut alors être remise en cause que dans les cinq ans qui suivent la cessation de la possession d’état ou le décès du parent dont le lien de filiation est contesté, et la filiation devient incontestable, sauf par le ministère public, si la possession d’état a duré au moins cinq ans depuis la naissance ou la reconnaissance si celle-ci a été faite ultérieurement (C.civ., art. 333). 

En l’espèce, il allait de soi que le demandeur n’était plus, au moment d’engager son action en contestation, attaché à sa fille. Cela étant, il l’avait traité comme telle depuis sa naissance jusqu’à ce qu’elle cesse, tardivement, quelques mois seulement avant l’engagement de la procédure. En outre, il a toujours été considéré par l’entourage social et familial de sa fille, qui porte son nom, comme étant son père. Il convient d’ajouter qu’avant qu’il ne conteste, cette possession d’état, soutenue par une correspondance aussi régulière qu’affectueuse, même après la majorité de l’enfant, était certainement continue et paisible, en plus d’être publique et non équivoque. Enfin, elle a incontestablement duré plus de cinq ans, dès lors qu’elle a commencé à courir du jour de la reconnaissance, intervenue cinq jours seulement après la naissance ; le délai pour agir avait donc déjà expiré depuis longtemps lorsque le demandeur a introduit son action. Sa filiation étant devenue incontestable, son action en contestation devait donc être jugée irrecevable, rendant ainsi inutile l’examen de son bien-fondé. 

Civ. 1re, 4 déc. 2019, n° 18-23.657

Référence

■ Fiches d’orientation Dalloz : Possession d’état

 

Auteur :Merryl Hervieu


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