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[ 15 octobre 2024 ] Imprimer

Droit des obligations

Fin de non-recevoir : défaut de mise en œuvre d’une clause de conciliation

Le défaut de mise en œuvre d’une clause de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir s’imposant au juge lorsque les parties l’invoquent.

Civ. 2e, 12 sept. 2024, n° 21-14.946 B

Pacta sunt servanda : lorsque les parties ont convenu d’engager une procédure de conciliation, elles doivent s’y astreindre, la violation de toute clause instituant une conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge étant sanctionnée par une fin de non-recevoir, quand bien même les modalités concrètes de cette procédure n’auraient pas été stipulées. Telle est la confirmation de l’évolution du régime des clauses de conciliation préalable apportée par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation dans la présente décision.

Un acte de cession d’un fonds de commerce de pharmacie comportait une clause de conciliation préalable à toute instance judiciaire pour toute contestation relative à l’interprétation et à l'exécution du contrat. Reprochant différents manquements au cessionnaire, le cédant avait mis en œuvre une procédure de conciliation. Celle-ci ayant échoué, il avait sollicité en référé du président du Tribunal de commerce des mesures provisoires. Après que le tribunal eut partiellement accueilli ses demandes, le cessionnaire avait interjeté appel du jugement, et les juges du fond avaient rejeté l’intégralité des demandes du cédant. Le cédant assigna alors le cessionnaire au fond pour l’octroi de dommages-intérêts, sans entreprendre une nouvelle procédure de conciliation. Le cessionnaire souleva une fin de non-recevoir, au motif que la procédure de conciliation n’avait été engagée que préalablement au référé, et non préalablement à la procédure au fond, alors même que le litige avait évolué depuis cette date, le cédant ayant repris une activité de pharmacien. Pour la Cour de cassation, l’action se heurte en effet à une fin de non-recevoir dès lors que le contrat comporte une clause de conciliation préalable et que le défendeur a invoqué cette sanction du défaut de mise en œuvre de cette clause. Au visa de l'article 1134, alinéa 1er, devenu 1103 du Code civil, et de l'article 122 du Code de procédure civile, dont il résulte que la clause d'un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge constitue une fin de non-recevoir qui s'impose au juge si les parties l'invoquent, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation rejette en conséquence le pourvoi.

La qualification retenue est classique. Si l’article 122 du Code de procédure civile énonce un certain nombre de fins de non-recevoir, la Cour de cassation a reconnu qu’il ne s’agissait que d’une liste indicative. Or il est depuis longtemps acquis que les fins de non-recevoir peuvent provenir d’une source conventionnelle (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423). C’est notamment le cas des clauses par lesquelles les parties conviennent d’instaurer un préalable obligatoire à la saisine du juge, en particulier lorsqu’il s’agit d’instituer un règlement amiable d’un litige qui les opposerait en recourant à la conciliation (Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, préc. : « licite, la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge, (…), constitue une fin de non-recevoir qui s’impose au juge si les parties l’invoquent »). La clause de conciliation ayant vocation à favoriser le règlement amiable des difficultés nées de l’exécution des obligations des parties, elle constitue parallèlement un obstacle au droit d’agir en justice. La portée à l’obstacle ainsi érigé au droit d’ester mérite d’être soulignée : comme le rappelle ici la Cour, elle s’impose non seulement entre les parties mais également au juge (Com. 17 juin 2003, n° 99-16.001), et ce quelle que soit la nature de l’instance judiciaire (Civ. 1re, 1er oct. 2014, n° 13-17.920). En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que la clause de conciliation obligatoire précise expressément les instances judiciaires entrant dans son champ d’application pour que la procédure de conciliation s’applique. La clause de conciliation obligatoire est opposable dans le cadre de toute instance, y compris pour la première fois en appel en application de l’article 123 du Code de procédure civile.

Une partie qui s’oblige contractuellement à une solution amiable préalable à l’action en justice ne peut donc plus agir en justice en se dispensant d’exercer le préalable obligatoire ainsi convenu sans méconnaître la force obligatoire du contrat. Pour cette raison, le défaut de mise en œuvre d’une conciliation préalable constitue, sur un plan procédural, une fin de non-recevoir.

Techniquement, la solution s’impose : par une telle clause, les parties consentent à limiter, en le conditionnant, leur droit d’agir, c’est-à-dire, leur droit de soumettre une prétention au juge pour qu’il la dise bien ou mal fondée (C. pr. civ., art. 30). Dès lors qu’une partie méconnaît cet aménagement conventionnel du droit d’agir en saisissant le juge au mépris d’une clause de conciliation préalable, la qualification de fin de non-recevoir doit donc être retenue. Pendant longtemps, la jurisprudence ne s’est toutefois pas contentée de constater le défaut de mise en œuvre de cette stipulation pour admettre que celle-ci constitue une fin de non-recevoir. Cette conséquence procédurale dépendait, en outre, de la précision de ses modalités d’application.

Ainsi, l’efficacité de la clause de conciliation se trouvait-elle soumise à la réunion de deux conditions : d’une part, que le principe d’un règlement amiable ait été érigé comme préalable obligatoire à la saisine du juge, d’autre part, que les modalités de sa mise en œuvre aient été expressément prévues par les parties au contrat. En ce sens, la Haute juridiction a pu juger que lorsque les parties n’ont pas pris la précaution de définir les conditions de mise en œuvre de la clause de conciliation, la demande introduite en méconnaissance du préalable prévu ne peut donner lieu à une fin de non-recevoir (Com. 29 avr. 2014, n° 12-27.004). De cette façon, la Cour restreignait sa solution aux seules clauses « assorties de conditions particulières de mise en œuvre ». Partant, la fin de non-recevoir ne s’imposait pas lorsque « les parties au contrat se bornaient à prendre l’engagement de résoudre à l’amiable tout différend par la saisine d’un médiateur sans désigner celui-ci ou préciser, au moins, les modalités de sa désignation » (Com. 3 oct. 2018, n° 17-21.089). Elle était également écartée lorsque la clause prévoyait « le recours préalable à un conciliateur (…) de manière elliptique en termes très généraux », ce qui en faisait une simple « clause de style » (Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-13.460).

Elle est depuis revenue sur cette exigence, l’inobservation du préalable prévu par les parties suffisant à constituer une fin de non-recevoir, même en l’absence de précisions sur la façon dont le principe d’une tentative de règlement amiable a vocation à être mis en œuvre. La Cour de cassation semble unanime quant à cette évolution. En particulier, la deuxième chambre civile a récemment admis, au visa de l’article 122 précité, que le non-respect des clauses contractuelles relatives aux modes de règlement alternatif des litiges constitue une fin de non-recevoir « dès lors que le contrat édicte de manière expresse et non équivoque le recours à la conciliation comme un préalable obligatoire à la saisine de la juridiction » (Civ. 2e, 30 juin 2022, n° 21-12.502 ; v. aussi, dans le même sens, Civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-24.474 ; Com. 30 mai 2018, n° 16-26.403). En somme, il suffit que le contrat impose la conciliation préalable et que les parties l’invoquent devant le juge pour que celui-ci prononce l’irrecevabilité de la demande. L’imprécision de la clause quant aux modalités de désignation du conciliateur ou de la procédure à mettre en œuvre n’est plus un obstacle à la fin de non-recevoir, qui sera retenue dès lors que le principe d’une conciliation préalable aura été prévu.

Conforme à cet allègement du régime, la décision rapportée confirme l’inutilité de déterminer les modalités concrètes de mise en œuvre de la clause de conciliation pour lui conférer une portée réelle à la seule condition que le principe de cette conciliation préalable à la saisine du juge ait été convenu par les parties. Dans cette affaire où la clause examinée se contentait de prévoir un recours à « des conciliateurs », sans davantage de précisions quant à leurs modalités de désignation, la teneur et la durée de leurs missions, les conditions de comparution etc.. La deuxième chambre civile de la Cour de cassation se borne à rappeler la qualification du défaut de mise en œuvre du préalable obligatoire pour que celle-ci donne lieu à une fin de non-recevoir. Après avoir constaté l’existence de la clause et le lien du différend avec l’exécution du contrat, elle en tire les conséquences sur le terrain procédural, peu important que les contours de la procédure de conciliation à suivre n’aient pas été tracés : les demandeurs n’ayant pas respecté la stipulation, leur droit d’agir n’était pas encore né de sorte que leur prétention se heurtait à une fin de non-recevoir.

Le simple fait qu’une clause institue une procédure de conciliation obligatoire et préalable à la saisine du juge est donc suffisant pour justifier la fin de non-recevoir tirée du défaut de sa mise en œuvre, sans qu’il soit requis de la clause qu’elle soit assortie de conditions particulières d’application ou qu’elle soit rédigée en des termes exprès et univoques. À première vue favorable au règlement amiable des différends, cette évolution pourrait au contraire entraver son succès, si l’on tient compte du fait que la prévision, en amont, des modalités de mise en œuvre de la conciliation préalable obligatoire permet d’accroître les chances de réussite de la conciliation recherchée.

Références :

■ Cass., ch. mixte, 14 févr. 2003, n° 00-19.423 D. 2003. 1386, et les obs., note P. Ancel et M. Cottin ; ibid. 2480, obs. T. Clay ; Dr. soc. 2003. 890, obs. M. Keller ; RTD civ. 2003. 294, obs. J. Mestre et B. Fages ; ibid. 349, obs. R. Perrot.

■ Com. 17 juin 2003, n° 99-16.001 P : D. 2003. 2480, obs. T. Clay ; RTD civ. 2004. 136, obs. R. Perrot.

■ Civ. 1re, 1er oct. 2014, n° 13-17.920 P : D. 2014. 2004 ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; ibid. 1339, obs. A. Leborgne ; AJDI 2015. 442, obs. F. Cohet ; RTD civ. 2015. 131, obs. H. Barbier ; ibid. 187, obs. P. Théry.

 Com. 29 avr. 2014, n° 12-27.004 P : D. 2014. 1044 ; ibid. 2541, obs. T. Clay ; ibid. 2015. 287, obs. N. Fricero ; AJCA 2014. 176, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2014. 655, obs. H. Barbier.

■ Com. 3 oct. 2018, n° 17-21.089

■ Civ. 3e, 11 juill. 2019, n° 18-13.460 D. 2020. 576, obs. N. Fricero ; AJDI 2019. 919.

■ Civ. 2e, 30 juin 2022, n° 21-12.502

■ Civ. 3e, 14 déc. 2022, n° 21-24.474

■ Com. 30 mai 2018, n° 16-26.403 P : D. 2018. 1212 ; AJ contrat 2018. 338, obs. N. Dissaux ; RTD civ. 2018. 642, obs. H. Barbier.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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