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Droit des obligations
Fixation unilatérale du prix : inapplication de l’article 1165 aux prestations de l’expert-comptable
Consacrant la fixation unilatérale du prix des contrats de prestation de service, le nouvel article 1165 du Code civil n’est pas applicable aux honoraires de l’expert-comptable, réglementés par un régime propre à la profession.
Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386
Par ce premier arrêt rendu publié relativement au nouvel article 1165 du Code civil, admettant la fixation unilatérale du prix du contrat de prestation de service, la Cour de cassation écarte l’application de cette disposition phare de la réforme de 2016 aux prestations de l’expert-comptable. Dans cette perspective, elle s’appuie sur des principes traditionnels concernant, d’une part, l’articulation du droit commun et du droit spécial et, d’autre part, celle de l’interdiction du déni de justice et de l’obligation faite au juge de fixer le montant des honoraires. Autant dire d’emblée qu’elle n’apporte pas de réponse immédiate à la question nouvelle qui se pose, depuis la réforme, à propos des pouvoirs du juge dans la détermination ou la modification du prix des contrats de prestation de service. Promis aux honneurs tant du Bulletin que des sélectives Lettres de chambre, l’arrêt n’en demeure pas moins important par les précisions qu’il apporte quant au champ d’application de cette nouvelle disposition.
Par acte du 8 juillet 2021, une société d’experts-comptables avait assigné un client aux fins de le voir condamner à lui payer la somme de 756 € pour trois factures de frais de domiciliation, ainsi que la somme de 2 910 € pour neuf factures émises pour des interventions comptables. La société sollicitait également 645 € pour les frais de recouvrement engagés. Faute pour la demanderesse de pouvoir justifier du montant des sommes réclamées, le Tribunal de commerce ne fit droit qu’en partie à ses demandes, limitant la condamnation de son client au paiement d’une très faible partie des sommes parmi celles sollicitées. Devant la Cour de cassation, la société d’experts-comptables rappelait que l’obligation faite au créancier de motiver le prix unilatéralement fixé ne vaut qu’en cas de contestation de la partie adverse, dont le tribunal n’avait pas ici été saisi, et qu'en matière de louage d'ouvrage, il appartient au juge de fixer la rémunération due au prestataire compte tenu des éléments de la cause, en sorte que le tribunal était tenu de fixer le montant de ses honoraires en fonction du travail fourni et du service rendu. Faute d’y avoir procédé, le tribunal aurait violé les dispositions légales régissant la fixation unilatérale du prix de l’article 1165 du Code civil nouveau issu de la loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018.
La chambre commerciale juge le premier moyen non fondé, au motif que l’article 1165 du code civil n’est pas applicable aux prestations de l’expert-comptable. Au cœur du droit nouveau sur la détermination de l’objet du contrat, ce texte admet, dans les contrats de prestation de service, qu’à défaut d'accord des parties avant l’exécution de la prestation, son prix puisse être unilatéralement fixé, à charge pour le créancier d’en motiver le montant. Conforme à la réalité économique et contractuelle des activités de service, le principe nouveau de la fixation unilatérale du prix cède toutefois ici face au principe traditionnel de résolution des conflits de normes contenu à l'article 1105, alinéa 3, du Code civil, selon lequel « les règles générales relatives à la formation, à l'interprétation et aux effets des contrats s'appliquent sous réserve des règles particulières propres à certains contrats » (§4). Fondatrice de la théorie générale du contrat, cette règle suppose, en cas de concours de règles générales et spéciales au contrat, d’appliquer les secondes à l’exclusion des premières. Or l’article 151, alinéa 1er, du décret n° 2012-432 du 30 mars 2012, figurant également au visa de la solution, prévoit la conclusion d’un contrat écrit qui définit la mission de l’expert-comptable et précise les droits et obligations des parties. Il en résulte, affirme la Cour, que les dispositions de l'article 1165 du Code civil ne sont, conformément à l'article 1105, alinéa 3, du même code, pas applicables aux prestations de l’expert-comptable. Par le jeu de l’article 1105 du Code civil prévoyant que les règles générales ne s’appliquent que sous réserve de règles spécialement applicables au contrat, l’article 1165 se trouve donc en l’espèce exclu. En effet, l’écrit imposé pour les missions de l’expert-comptable dans le but de définir les droits et obligations des parties rend impossible la fixation unilatérale du prix du contrat de prestation, pourtant désormais érigé en principe, dès lors que le prix correspondant à celle de l’expert-comptable doit être obligatoirement renseigné par un écrit établi par les parties au contrat dès sa conclusion. Il est à noter que bien que la Cour se réfère aux règles générales concernant la fixation unilatérale du prix, ne se trouvent mobilisées que les règles communément applicables au contrat de prestation de service, qui est un contrat spécial. L’arrêt témoigne ainsi de l’hyperspécialisation du droit des contrats : à l’articulation traditionnelle droit commun/droit spécial succède en quelque sorte une articulation nouvelle entre droit spécial du contrat et droits ultra spéciaux du contrat. Ainsi, certaines règles relevant du droit des contrats spéciaux forment un corpus commun applicable à tel ou tel contrat spécial, susceptibles d’être évincées par des règles encore plus spécifiques. Ainsi du contrat spécial de prestation de service, dont les règles édictées concernant la détermination du prix forment une sorte de loi commune en la matière mais en l’espèce supplantée par la spécificité du régime applicable aux experts-comptables, notamment en ce qu’il prévoit la nécessité d’un prix préalablement fixé par écrit qui explique la paralysie de l’article 1165.
Aussi la portée de la solution devrait-elle s’étendre à l’ensemble des professions réglementées soumises à une réglementation spécifique des honoraires dérogeant à l’article 1165. En écho à cette spécialisation accrue du droit des contrats, c’est la règle specialia generalibus derogant qui justifie en l’espèce l’éviction de la règle communément applicable au contrat de prestation de service par le droit propre à la profession d’expert-comptable. Tout aussi classique, la règle de l’interdiction du déni de justice vient, dans la seconde partie de l’arrêt, justifier cette fois la cassation de la décision attaquée par le pourvoi, au visa de l’article 4 du Code civil qui interdit au juge, malgré l’insuffisance des preuves fournies, de refuser de statuer pour évaluer le montant d’une créance de prix dont il a constaté l’existence en son principe. Bravant cette interdiction, le tribunal n’a pas en l’espèce fixé le montant de la créance motif pris que l’expert-comptable n’avait pas produit de tarif horaire ni de feuille de temps passé sur ses prestations afin de justifier la facturation sollicitée. Or dans la mesure où l’existence de la créance d’honoraire était certaine, le juge devait en fixer le montant, conformément au titre préliminaire du code civil, quitte à surseoir à statuer pour ordonner une expertise. En toutes hypothèses, la carence probatoire des parties ne peut soustraire le juge à l’exigence d’évaluation du montant des honoraires. En l’espèce, le tribunal ayant lui-même constaté que les prestations avaient été réalisées et que ces honoraires étaient fondés en leur principe, il devait en fixer le montant sauf à méconnaître l'étendue de ses pouvoirs et commettre un déni de justice.
Mobilisant des principes généraux pour résoudre ce litige soustrait au champ d’application du nouveau texte, la chambre commerciale manque ainsi l’occasion qui aurait pu lui être donnée de préciser les contours exacts de l’office du juge concernant la fixation ou la modification judiciaire du prix sur le fondement du droit nouveau. Si ce dernier semble s’opposer, en l’absence de disposition expresse conférant au juge le pouvoir de fixer ou de modifier le prix, à son immixtion dans le contrat, un éclairage nécessaire reste attendu sur ce point crucial. Affaire à suivre…
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