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Libertés fondamentales - droits de l'homme
FNAEG : la chambre criminelle sourcilleuse quant à la portée des arrêts de condamnation de la CEDH
Le fait d'imposer un prélèvement destiné à l'inscription dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) [C. pr. pén., art. 706-56, II] est-il constitutif d'une atteinte disproportionnée au respect de la vie privée ?
Cette question agite les juridictions répressives depuis l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme condamnant la France (22 juin 2017, Aycaguer c/ France, n° 8806/12), la durée de conservation n’étant pas proportionnée à la nature des infractions et aux buts des restrictions au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Un premier jugement (TGI Grenoble, 3 oct. 2017, n° 2204/17/CJ) l’avait admis considérant que l'infraction dont les juges avaient à connaitre ne faisait pas partie des infractions les plus graves prévues par l'article 706-55 du Code de procédure pénale. C’est désormais la Cour de cassation, dans une autre affaire, qui tire les conséquences de cette condamnation européenne encadrant strictement la portée de celle-ci.
En l’espèce, à l'occasion d'une manifestation non autorisée, deux fonctionnaires de police ont été victimes de jets de projectiles et de coups de la part de plusieurs individus ayant le visage dissimulé. Parmi les personnes placées en garde à vue, l’une d’elles refusa, au cours de cette mesure, de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques et de prélèvement biologique destinées à permettre l'analyse et l'identification de son empreinte génétique. A l’issue de l’enquête, cette dernière fut poursuivie pour association de malfaiteurs, violences aggravées, refus de se soumettre aux opérations de relevés signalétiques, en récidive et refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l'identification de son empreinte génétique, en récidive. Le tribunal correctionnel relaxa le prévenu du chef d'association de malfaiteurs, le déclara coupable pour le surplus. Sur appel du prévenu et du procureur de la République, la décision fut partiellement infirmée.
Les juges écartent ainsi la condamnation pénale du requérant pour avoir refusé de se soumettre au prélèvement destiné à l'enregistrement de son profil dans le FNAEG en se retranchant derrière la décision européenne Aycaguer c/ France. Selon eux, « il convient d’appliquer la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et de constater que la condamnation du prévenu pour l’infraction visée à l’article 706-56, II, du code de procédure pénale serait contraire à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ». La décision est censurée par la chambre criminelle laquelle fait une application stricte de la décision européenne, réfutant par conséquent tout effet extensif de celle-ci.
S’il est vrai que la Cour européenne a stigmatisé la législation française concernant la durée de conservation des profils ADN et l’absence de différenciation en fonction de la nature et de la gravité de l'infraction, elle a aussi précisé qu’un tel défaut aurait pu être contrebalancé par la possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées. Or tel n’était pas le cas dans l’affaire Aycaguer puisqu'une telle procédure est inexistante pour les personnes condamnées.
Faut-il le rappeler, les dispositions relatives au FNAEG permettent la centralisation des empreintes génétiques concernant deux catégories de personnes : les personnes condamnées d’une part, et à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants d'avoir commis une infraction d’autre part. S’agissant de la seconde catégorie, les personnes soupçonnées, il existe bien une telle procédure, une possibilité concrète de présenter une requête en effacement des données mémorisées, comme le rappelle la chambre criminelle dans le présent arrêt. Au visa notamment des 706-54 et 706-56 du Code de procédure pénale, elle rappelle que « les empreintes génétiques des personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55 sont conservées dans le fichier national automatisé des empreintes génétiques sur décision d'un officier de police judiciaire agissant soit d'office, soit à la demande du procureur de la République ou du juge d'instruction ; que ces empreintes sont effacées sur instruction du procureur de la République agissant soit d'office, soit à la demande de l'intéressé, lorsque leur conservation n'apparaît plus nécessaire compte tenu de la finalité du fichier et que s'il n'a pas été ordonné l'effacement, cette personne peut saisir à cette fin le juge des libertés et de la détention, dont la décision peut être contestée devant le président de la chambre de l'instruction ; que les informations enregistrées ne peuvent être conservées au- delà d’une durée de vingt-cinq ans à compter de la demande d’enregistrement si leur effacement n’a pas été ordonné antérieurement, excepté si la personne a fait l’objet d’une décision de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d’acquittement exclusivement fondée sur l’existence d’un trouble mental en application du premier alinéa de l’article 122-1 du code pénal, les résultats étant alors conservés pendant quarante ans à compter de la date de la décision ». De telles garanties avaient été par ailleurs validées par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC) lequel avait admis que « ces dispositions sont de nature à assurer, entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l'ordre public, une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée ».
Dès lors, selon la chambre criminelle, « grâce à la possibilité concrète dont dispose l’intéressé de solliciter l’effacement des données enregistrées, ces durées de conservation sont proportionnées à la nature des infractions et aux buts des restrictions apportées au droit au respect de la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme ». En l’espèce, les magistrats du quai de l’Horloge soulignent que « le refus de prélèvement a été opposé par une personne qui n’était pas condamnée mais à l’encontre de laquelle il existait des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait commis l'une des infractions mentionnées à l'article 706-55, de sorte qu’elle avait alors la possibilité concrète, en cas d’enregistrement de son empreinte génétique au fichier, d’en demander l’effacement ».
Le raisonnement de la chambre criminelle pourrait ne pas convaincre. L’on pourrait douter que l’existence d’une procédure d’effacement conditionne ipso facto la conformité avec le droit au respect de la vie privée et les exigences européennes dès lors que ces durées de conservation ne sont pas distinctes selon la nature et la gravité des infractions qu’il s’agisse de personnes condamnées ou simplement soupçonnées.
Une position moins sourcilleuse de la Cour de cassation aurait par ailleurs eu le mérite de rappeler à l’ordre le législateur et d’emboiter le pas au Conseil constitutionnel lequel avait expressément invité le législateur à moduler la durée de conservation des empreintes génétiques au fichier, proportionnellement à la nature ou à la gravité des infractions concernées et à adapter ces modalités aux spécificités de la délinquance des mineurs ( Cons. const. 16 sept. 2010, no 2010-25 QPC).
Plus de 18 mois après la condamnation européenne, le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, à la faveur d’un amendement, réécrit et complète la procédure d’effacement. Les personnes soupçonnées comme condamnées pourront dorénavant demander l’effacement de leurs empreintes au procureur de la République. En cas de refus de sa part, elles pourront exercer un recours contre cette décision directement devant le président de la chambre de l’instruction. En revanche, c’est toujours l'immobilisme du côté du pouvoir réglementaire s’agissant de la modulation des durées de conservation (V. Gautron, FNAEG: l'inertie gouvernementale sanctionnée par la CEDH, AJ pénal 2017. 391) au risque de nouvelles frondes des juridictions du fond et d’une nouvelle condamnation européenne.
Crim. 15 janvier 2019, n° 17-87.185
Références
■ CEDH 22 juin 2017, Aycaguer c/ France, n° 8806/12 : Dalloz Actu Étudiant, 5 juill. 2017, obs. C. L. ; AJDA 2017. 1311 ; ibid. 1768, chron. L. Burgorgue-Larsen ; D. 2017. 1363.
■ TGI Grenoble, 3 oct. 2017, n° 2204/17/CJ : Dalloz actualité 30 nov. 2017, obs. D. Goetz
■ Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC : Dalloz actualité 28 sept. 2010, obs. Léna, D. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2010. 545, étude J. Danet
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