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Droit pénal spécial
Point sur les dispositions pénales de la loi visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique
La loi n° 2024-449 du 9 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique (SREN) a été publiée au Journal officiel du 22 mai. Issu d’un travail interministériel, le projet de loi entendait proposer de nouvelles mesures pour renforcer l’ordre public dans l’espace numérique, tout en intégrant au droit français deux règlements européens portant respectivement sur les services et les marchés numériques. La loi comprend plusieurs dispositions en matière pénale dans ses titres I (Protection des mineurs en ligne) et II (Protection des citoyens dans l’environnement numérique), permettant de renforcer les sanctions des personnes condamnées pour cyber harcèlement ou de sanctionner les sites en cas de non-retrait de contenus pédopornographiques en ligne. Le Conseil constitutionnel, par ailleurs, a censuré la création d’un délit d’outrage en ligne.
Cons. const. 17 mai 2024, n° 2024-866 DC
■ Le renforcement de l’arsenal répressif contre certains comportements
Du côté du Code pénal, plusieurs nouveautés sont à signaler.
· S’agissant des infractions, l’article 226-8, qui incrimine l’atteinte à la représentation de la personne, est modifié et complété (art. 15 de la loi). En son alinéa 1er, le texte incrimine désormais « le fait de porter à la connaissance du public ou d’un tiers (anciennement le texte visait le fait de « publier »), par quelque moyen que ce soit, le montage réalisé avec les paroles ou l’image d’une personne sans son consentement, s’il n’apparaît pas à l’évidence qu’il s’agit d’un montage ou s’il n’en est pas expressément fait mention ». Ce même alinéa 1er est également complété par une référence à l’IA (permettant la technique du « deepfake » ou hypertrucage) : ainsi, « est assimilé à l'infraction mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines [un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende] le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers, par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore généré par un traitement algorithmique et représentant l'image ou les paroles d'une personne, sans son consentement, s'il n'apparaît pas à l'évidence qu'il s'agit d'un contenu généré algorithmiquement ou s'il n'en est pas expressément fait mention ». Enfin, une peine aggravée (de 2 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende) est désormais prévue quand les faits « ont été réalisés en utilisant un service de communication au public en ligne ».
L’article 21 de la loi créé un nouveau délit à la suite de ce texte (et donc à l’art. 226-8-1 du C. pén.) qui réprime « le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers, par quelque voie que ce soit, un montage à caractère sexuel réalisé avec les paroles ou l'image d'une personne, sans son consentement ». Là encore, « est assimilé à l'infraction mentionnée au présent alinéa et puni des mêmes peines [2 ans d’emprisonnement et 60 000 euros d’amende] le fait de porter à la connaissance du public ou d'un tiers, par quelque voie que ce soit, un contenu visuel ou sonore à caractère sexuel généré par un traitement algorithmique et reproduisant l'image ou les paroles d'une personne, sans son consentement » (« deepfake » pornographique). Les peines sont également aggravées quand la publication « a été réalisée en utilisant un service de communication au public en ligne » (C. pén., art. 226-8-1 nouv, al. 3).
Enfin, le chantage, défini à l’article 312-10 du Code pénal comme « le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque », prend lui aussi le virage du numérique grâce à l’article 17 de la loi. Un alinéa 3 nouveau précise ainsi que « la peine d'emprisonnement [qui est normalement de 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende] est portée à sept ans d'emprisonnement et à 100 000 euros d'amende lorsque le chantage est exercé par un service de communication au public en ligne », soit « au moyen d'images ou de vidéos à caractère sexuel » (1°), soit « en vue d'obtenir des images ou des vidéos à caractère sexuel » (2°) (« cyber chantage » ou « sextorsion »).
· S’agissant des peines, l’article 16 de la loi crée une peine complémentaire de « bannissement des réseaux sociaux ». L’article 131-35-1, I, du Code pénal prévoit que, pour une série de délits qu’il énumère, « le tribunal peut ordonner à titre de peine complémentaire la suspension des comptes d'accès à des services en ligne ayant été utilisés pour commettre l'infraction ». Cette suspension est prononcée pour une durée de six mois (durée portée à un an en cas de récidive légale). Le texte précise que « pendant l'exécution de la peine, il est interdit à la personne condamnée d'utiliser les comptes d'accès aux services de plateforme en ligne ayant fait l'objet de la suspension ainsi que de créer de nouveaux comptes d'accès à ces mêmes services ». Comme se pose la question de l’effectivité de cette interdiction, le texte précise encore que la décision de condamnation est adressée aux fournisseurs de services concernés, qui procèdent au blocage des comptes et empêchent la création de nouveaux comptes par une même personne. Le fait, pour le fournisseur, de ne pas procéder au blocage, l’expose à une amende de 75 000 euros.
L’interdiction des réseaux sociaux devient une peine alternative à l’emprisonnement (C. pén., art. 131-6, 12° bis nouv.) ainsi qu’une obligation pouvant être spécialement imposée par la juridiction de condamnation ou le juge de l’application des peines dans le cadre du sursis probatoire (C. pén., art. 132-45, 13° bis nouv.). Elle intègre également le Code de procédure pénale, au titre des mesures de composition pénale (C. pr. pén., art. 41-2, 21° nouv.) et des obligations du contrôle judiciaire (C. pr. pén., art. 138, 19° nouv.), ainsi que le Code la justice pénale des mineurs, dans le cadre de la mesure éducative judiciaire (CJPM, art. L. 112-2, 7° bis et L. 323-1) et du contrôle judiciaire (CJPM, art. L. 331-2, 16° nouv.).
Enfin, un stage de sensibilisation au respect des personnes dans l'espace numérique et à la prévention des infractions commises en ligne, dont le cyber harcèlement, fait aussi son apparition à l’article 131-5-1 du Code pénal en tant qu’alternative ou complément d’un emprisonnement (9° nouv. ; art. 20 de la loi).
■ La responsabilisation des hébergeurs de contenus pédopornographiques
La loi SREN modifie encore la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Outre un renforcement des pouvoirs de l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) en matière de protection en ligne des mineurs, la loi pénalise le défaut d’exécution rapide d’une demande de retrait de contenu pédopornographique formulée par l’autorité administrative.
L’article 6-2-1.-I nouveau de la loi du 21 juin 2004 dispose ainsi que « Le fait, pour les fournisseurs de services d'hébergement, de ne pas retirer les images ou les représentations de mineurs présentant un caractère pornographique relevant de l'article 227-23 du code pénal dans un délai de vingt-quatre heures à compter de la réception de la demande de retrait prévue à l'article 6-1 de la présente loi est puni d'un an d'emprisonnement et de 250 000 euros d'amende ». Il précise encore que « Lorsque l'infraction […] est commise de manière habituelle par une personne morale, le montant de l'amende peut être porté à 4 % de son chiffre d'affaires mondial hors taxes réalisé au cours de l'exercice précédent ».
Au titre des peines complémentaires encourues, l’article indique que les personnes morales encourent, « outre l'amende suivant les modalités prévues à l'article 131-38 du code pénal (amende encourue par les personnes physiques portée au quintuple), les peines prévues aux 2° et 9° de l'article 131-39 du même code », l'interdiction d’exercer prévue au 2° du même article 131-39 étant prononcée pour une durée maximale de cinq ans et portant sur l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise.
■ La censure du délit d’outrage en ligne
L’article 19 de la loi entendait instaurer un nouveau délit – l’outrage en ligne – et permettre à son égard l’application de la procédure de l’amende forfaitaire délictuelle.
À la suite des infractions portant atteinte à la liberté sexuelle (viol, inceste et autres agressions sexuelles) un article 222-33-1-2 du Code pénal entendait punir de 3 750 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement « le fait, hors les cas prévus aux articles 222‑17, 222‑18, 222‑33‑1‑1 et 222‑33‑2 à 222‑33‑2‑3 du présent code et aux troisième et quatrième alinéas de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d’une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». Un article suivant prévoyait plusieurs causes d’aggravation (portant la peine encourue à 7 500 euros d’amende, et toujours un an d’emprisonnement) et permettait le recours à l’amende forfaitaire (d’un montant de 600 euros, minoré à 500 et majoré à 1200) pour éteindre les poursuites.
Les députés auteurs de la saisine dénonçaient une atteinte excessive à la liberté d’expression et de communication dès lors que les faits incriminés à travers ces dispositions peuvent déjà être réprimés par le biais d’autres qualifications pénales, ainsi qu’une méconnaissance du principe de légalité, le champ de l’interdit étant, selon eux, mal circonscrit, de même que celui des circonstances aggravantes.
Dans sa décision du 17 mai 2024, le Conseil a rappelé l’importance du droit de communiquer librement ses opinions et ses pensées, fondé sur l’article 11 de la DDHC, qui implique, en l’état actuel des moyens de communication, la liberté d’accéder aux services de communication au public en ligne et de s’y exprimer § 71), et que, s’il était loisible au législateur d’incriminer certains abus dans l’exercice de cette liberté, « les atteintes [ainsi] portées (…) doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » § 72). Vérifiant ces critères et partant de l’objectif poursuivi par les dispositions critiquées, il a relevé que le législateur avait entendu lutter contre des faits susceptibles de constituer des abus portant atteinte à l’ordre public et aux droits des tiers.
Mais sur le caractère adapté, nécessaire et proportionné des dispositions, le Conseil s’est appuyé sur deux éléments. D’une part, la loi pénale est, contrairement aux idées reçues peut-être, déjà bien loquace en la matière : ainsi, « la législation comprend déjà plusieurs infractions permettant de réprimer de tels abus, y compris lorsqu’ils sont commis sur internet » (§ 76) (notamment les qualifications d’injure et de diffamation publiques, de violences, y compris psychologiques, de harcèlement sexuel, de harcèlement moral, d’outrage sexiste, d’envois réitérés de messages malveillants et d’atteinte à l’intimité de la vie privée) et des conflits de qualifications (entre ces qualifications existantes et le texte nouveau) sont possibles, en dehors des exclusions spécialement prévues par l’article 222-33-1-2 § 77).
D’autre part, le texte nouveau fait reposer la matérialité du délit sur la seule diffusion d’un contenu en ligne, indépendamment de tout comportement outrageant caractérisé par des faits matériels imputables à l’auteur, ainsi que sur la perception – nécessairement subjective – de la victime (puisqu’il faut établir que celle-ci, en raison de la diffusion, s’est sentie atteinte dans son honneur, sa dignité, ou placée dans une situation intimidante, hostile ou offensante) § 78).
Il en a déduit que les dispositions contestées portaient une atteinte à la liberté d’expression qui n’était pas nécessaire, adaptée et proportionnée, et qu’elles étaient donc contraires à la Constitution.
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