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[ 10 décembre 2024 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Fondement et étendue de la responsabilité d’un architecte à raison d’un déficit de surface du bien construit

Viole l’article 1147 ancien du Code civil une cour d’appel qui rejette une demande d’indemnisation formée contre un architecte à raison d’un déficit de surface du bien construit, au motif que celui-ci n’avait reçu aucune mission complémentaire de mesurage des existants ou de calcul des superficies, alors qu’un architecte chargé d’une mission complète, qui inclut nécessairement la direction de l’exécution des travaux, est tenu de veiller à une exécution conforme aux prévisions contractuelles et aux plans établis, même en l’absence de mission particulière portant sur le mesurage des surfaces.

Civ. 3e, 7 nov. 2024, n° 23-12.315

Le maître de l’ouvrage peut réclamer l’indemnisation d’un manque à gagner résultant de la non-conformité de l’ouvrage aux prévisions contractuelles si celle-ci est imputable à un locateur d’ouvrage. Viole, dès lors, l’article 1147 ancien du Code civil, une cour d’appel qui rejette la demande d’indemnisation formée par le maître de l’ouvrage contre l’architecte au motif qu’il ne peut être réclamé, sous couvert d’indemnisation, le remboursement d’une partie du prix de vente, lequel ne constitue pas un préjudice indemnisable.

Par contrat du 21 avril 2010, un maître d’ouvrage avait confié à un architecte la maîtrise d’œuvre de la construction d’un ensemble immobilier. Le 26 juin 2016, il avait assigné le maître d'œuvre en indemnisation du préjudice résultant d’un déficit de surface d'un des lots vendus après achèvement. En première instance puis en cause d’appel, la demande d’indemnisation dirigée contre l’architecte fut rejetée. La juridiction du second degré a d’une part retenu que l’architecte ne s’étant pas vu confier de missions dites « complémentaires », notamment pour ce qui concerne le calcul des superficies de l’ouvrage, aucun manquement dans l’exercice de ses missions ne pouvait lui être imputé ; d’autre part, elle considéra que l’indemnisation demandée, consistant dans la différence de prix inférée de la différence de surface, revenait à réclamer, sous couvert d’indemnisation, le remboursement d’une partie du prix de vente, lequel ne constitue pas un préjudice indemnisable.

Devant la Cour de cassation, le maître de l’ouvrage faisait valoir que la cour d’appel a violé l’article 1147 du Code civil, devenu 1231-1 du même code, en refusant d’engager la responsabilité contractuelle de son cocontractant alors que l’architecte chargé d’une mission de maîtrise d’œuvre complète est responsable de la non-conformité de la construction aux plans qu’il a établis. En conséquence, le demandeur au pourvoi soutenait également qu’un maître d’ouvrage peut solliciter de l’architecte une indemnisation au titre de la construction d’un appartement dont la surface est inférieure à celle prévue par les plans, notamment par le biais de la perte de chance (ie, de vendre un bien à une surface supérieure), dont l’indemnisation sollicitée aurait dû être allouée. 

Adhérant à la thèse du pourvoi, la Cour censure pour violation de la loi l’analyse retenue au fond. Elle juge l’architecte contractuellement responsable du déficit de surface du bien construit dès lors que, chargé d’une mission complète, laquelle incluait nécessairement la direction de l’exécution des travaux, il était tenu de veiller à une exécution conforme aux prévisions du contrat et aux plans établis, même en l’absence de mission particulière portant sur le mesurage des surfaces. En conséquence, il doit indemniser le maître de l’ouvrage de sa perte de chance de vendre un bien à une surface supérieure.

La Cour précise ainsi le périmètre des obligations de l’architecte titulaire d’une mission complète de maîtrise d’œuvre. Elle reconnaît également la possibilité pour le maître de l’ouvrage de solliciter, par la voie de la perte de chance, une indemnisation à raison d’un déficit de surface du bien construit.

■ Périmètre des obligations du maître d’œuvre 

L’affirmation selon laquelle un architecte chargé d’une mission de maîtrise d’œuvre complète est responsable de la non-conformité de l’ouvrage aux plans qu’il avait établis semble aller de soi. Pourtant, l’étendue de la responsabilité de l’architecte dépend des contours de sa mission de maîtrise d’œuvre, qui peut être « complète » ou partielle (Décr. n° 80-210 du 20 mars 1980 portant concernant les devoirs professionnels des architectes). En effet, l’architecte peut se voir confier une mission complète de conception et de suivi de l’exécution des travaux ou bien seulement des missions partielles telles que le relevé des existants ou la coordination des travaux d’un chantier. Or l’étendue de sa mission fixe l’étendue des obligations de ce professionnel. Dès lors, un architecte ne peut être responsable au-delà de la mission qui lui a été confiée : sa responsabilité est nécessairement conditionnée par l’étendue de son engagement. Toutefois, la Cour confirme ici que lorsque la mission de l’architecte est dite « complète », celui-ci dirige les travaux d’exécution en sorte qu’il est obligatoirement chargé de la surveillance de l’exécution conforme de ces travaux à la fois au permis de construire et à l’ensemble des normes applicables, mais également aux plans validés par le maître de l’ouvrage. À défaut d’une délimitation de sa mission, l’architecte qui dirige les travaux dans le cadre d’une mission complète est alors tenu de s’assurer que ceux-ci sont conduits conformément aux plans qu’il a établis et aux moyens d’exécution qu’il a en conséquence prescrits (Décr., art. 39). En ce sens, la troisième chambre civile a déjà jugé que le non-respect des dispositions d’un permis de construire suffit à engager la responsabilité de l’architecte ayant été chargé de l’exécution des travaux (Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-14.264). Dans ce cas, l’architecte n’est pas responsable en raison de la faute commise par l’entreprise qui exécute les travaux, mais bien du fait de sa propre faute de surveillance (V. déjà, Civ. 1re, 15 mai 1962, Bull, n° 246). Au cas d’espèce, les juges du fond ont relevé que l’architecte s’était vu confier une mission complète de maîtrise d’œuvre, allant des études préliminaires à l’assistance à la réception et au dossier des ouvrages exécutés. Ils ont néanmoins écarté tout manquement dans l’exercice de ses « missions de base » au motif qu’il n’était expressément tenu d’aucune mission de mesurage des ouvrages. Conformément à sa jurisprudence antérieure, la Cour condamne cette analyse : eu égard à sa mission complète de conception et de suivi de l'exécution des travaux, il entrait nécessairement dans les obligations de l’architecte, et sans qu’il soit nécessaire de rechercher l’existence d’une mission complémentaire de mesurage, de s’assurer que les travaux exécutés étaient conformes aux plans qu’il avait établis. Induit de ce défaut de conformité (le déficit constaté correspondant a minima à 6,70 m² par rapport à la surface attendue), le manquement de l’architecte à ses obligations justifiait la mise en œuvre de sa responsabilité contractuelle de droit commun. Ainsi, si un architecte n’est en principe responsable de la bonne exécution de sa mission que dans les limites de celle-ci, il convenait en l’espèce de constater que ce que la cour d’appel qualifiait de « missions de base » comprenait le contrôle de la conformité de l’ouvrage aux plans dans le cadre de sa mission complète, même en l’absence de mission spécifique de mesurage. Le déficit de surface du bien construit est donc par principe imputable à l’architecte titulaire d’une mission complète de maîtrise d’œuvre, ce qui ouvre droit à l’indemnisation de la perte de chance en résultant pour le maître de l’ouvrage. 

■ Perte de chance du maitre de l’ouvrage

Dans la troisième branche du pourvoi, le demandeur faisait valoir que le vendeur est en droit d’engager une action en indemnisation à l’égard de l’architecte fondée sur la non-conformité de l’ouvrage aux plans pour être indemnisé de sa perte de chance de vendre le bien à un prix supérieur et qu’en rejetant sa demande d’indemnisation, pourtant fondée sur un tel défaut de conformité, la cour d’appel a violé l’article 1147, devenu 1231-1 du code civil. Pour motiver sa décision de rejet, la cour d’appel a retenu que le maître de l’ouvrage ne pouvait solliciter la différence de prix résultant de la différence de surface entre les plans établis et la construction de l’immeuble : selon les juges du fond, cette indemnisation, si elle était octroyée, reviendrait à rembourser une partie du prix de vente, qui n’est pas un dommage réparable. Pourtant, la troisième chambre civile a déjà jugé qu’une perte de chance de vendre le bien au même prix pour une surface moindre pouvait bien être indemnisée (Civ. 3e, 28 janv. 2015, n° 13-27397). L’admission de la réparation de cette perte de chance s’appuie sur le calcul du prix de vente d’un appartement construit en VEFA effectué en fonction, non seulement de la superficie du logement, mais aussi d’autres critères tels que la localisation du bien, son agencement ou le nombre de pièces. Fort de cette jurisprudence de 2015, le demandeur au pourvoi sollicitait l’indemnisation d’une perte de chance pour un montant correspondant à l’exacte différence de prix résultant de la différence de surface, ce qui renouvelait la question des critères de réparabilité de la perte de chance résultant de la non-conformité de l’ouvrage. La question supposait de faire le départ entre deux éléments distincts de la réparation. D’un côté, la réduction du prix du bien vendu pour une superficie supérieure à ce qu’elle est réellement ; automatique, la restitution à laquelle le vendeur est tenu à la suite de cette diminution du prix ne s’apparente pas à un préjudice indemnisable, de sorte que le vendeur, qui a fait construire un bien en VEFA, ne peut pas appeler l’architecte qui a bénéficié d’une mission complète à garantir la somme qu’il devra rembourser à l’acquéreur à raison de la moindre superficie. D’un autre côté, indépendamment de la restitution du prix, le vendeur du bien construit en VEFA par un architecte titulaire d’une mission complète de maîtrise d’œuvre peut rechercher la responsabilité contractuelle de ce dernier car il subit un préjudice tenant à la moindre superficie du bien qui lui a été livré par rapport aux plans prévisionnels. Or l’engagement de sa responsabilité se traduit, en jurisprudence, par une indemnisation de la perte de chance de pouvoir vendre un bien à un prix supérieur correspondant à la superficie initialement prévue ou, en d’autres termes, d’une perte de chance de vendre son bien au même prix pour une surface moindre. Dans ce dernier cas, la Cour de cassation reconnaît en effet l’existence d’un préjudice indemnisable au profit du vendeur. Elle reste toutefois vigilante afin que ne soit pas octroyée par les juges du fond, sous couvert d’allouer des dommages et intérêts au vendeur, une somme au titre de la réduction du prix de vente (Civ. 3e, 18 mai 2017, n° 16-15.078). Il est vrai qu’en pratique, la distinction entre restitution du prix de vente et indemnisation du préjudice né d’un déficit de superficie est délicate à manier (v. Frédéric Rouvière, « La distinction entre restitution et indemnisation », Recueil Dalloz, 2015, p. 657). Malgré les difficultés nées de l’indemnisation d’une moindre superficie, la troisième chambre civile rappelle ici que le juge ne peut refuser d’indemniser une perte de chance au motif que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée (v. déjà Civ. 1re, 20 janv. 2021, n° 19-18.585).

In fine, le vendeur d’un lot construit en VEFA dont la superficie construite est inférieure à la superficie prévue par les plans de l’architecte est donc bien en droit d’engager une action en responsabilité contractuelle contre l’architecte à qui il avait confié une mission complète et qui n’a pas respecté les plans convenus. En l’espèce, le lot litigieux a été vendu, après construction, avec une surface exacte, de sorte que le vendeur n’a pas dû restituer une partie du prix de vente à ses acquéreurs, ce qu’a relevé la cour d’appel, qui a néanmoins retenu, pour s’opposer à l’indemnisation, que la preuve de la perte de chance, ie la preuve de ce que la vente du lot aurait pu être conclue pour un montant supérieur s’il avait eu la superficie attendue, n’était pas rapportée. Cependant, l’on sait que la notion de perte de chance permet de réparer un préjudice né de la seule privation d’une probabilité raisonnable ; dès lors que la cour d’appel constatait elle-même la réalité du défaut de mesurage, en raison de la faute de l’architecte du projet, la demande d’indemnisation de la partie pour laquelle le déficit de superficie était préjudiciable devait être accueillie au titre d’une perte de chance de pouvoir vendre au même prix un lot d’une superficie moindre. L’argument tiré de l’identité de la somme sollicitée au titre de la perte de chance et du montant correspondant à la restitution prévisible du prix de vente en raison de la moindre superficie construite pour refuser la demande d’indemnisation se voit ainsi écarté. 

Par le durcissement de son obligation de garantir la conformité de l’ouvrage autant que par l’assouplissement des conditions d’indemnisation du maître de l’ouvrage, la Cour de cassation renforce ainsi notablement la responsabilité des architectes.

Références :

■ Civ. 3e, 29 juin 2017, n° 16-14.264 RDI 2017. 485, obs. D. Noguéro ; ibid. 531, obs. B. Boubli

■ Civ. 1re, 15 mai 1962, Bull, n° 246 :

■ Civ. 3e, 28 janv. 2015, n° 13-27.397 : D. 2015. 657, obs. N. Le Rudulier, note F. Rouvière ; ibid. 988, chron. A.-L. Méano, A.-L. Collomp, V. Georget et V. Guillaudier ; ibid. 2016. 35, obs. P. Brun et O. Gout ; RTD civ. 2015. 396, obs. P. Jourdain

■ Civ. 1re, 20 janv. 2021, n° 19-18.585 AJDI 2021. 302

 

Auteur :Merryl Hervieu


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