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Droit des obligations
Force majeure : des critères et conséquences de la notion à l’aune du droit nouveau
La caractérisation d’un cas de force majeure justifie la restitution intégrale des prestations réciproques, consécutive à la résolution de plein droit du contrat dont l’exécution du contrat a été rendue impossible par la survenance d’un événement qui doit être à la fois irrésistible et imprévisible.
Com. 26 févr. 2025, n° 23-21.266
Indispensable à l’unification du droit applicable à la suite de la réforme du droit des obligations, l’interprétation de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et de sa loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018, vise dans l’arrêt sélectionné la notion de force majeure. L’éclairage apporté concerne à la fois les critères de qualification et les conséquences de la notion.
Un commerçant avait conclu un contrat de réservation dans le but de participer à une foire organisée du 3 au 6 avril 2020. Il avait en amont payé l’intégralité du prix du contrat. Le 12 mars 2020, l’organisateur l’avait informé de l’annulation de l’événement, en raison des mesures gouvernementales consécutives à la diffusion de la pandémie de Covid-19. N’ayant reçu qu’un remboursement partiel du prix qu’il avait versé, l’exposant avait assigné son cocontractant en paiement du solde. En première instance, le tribunal admit la survenance d’un événement soustrait au pouvoir de l’organisateur et imprévisible à la date de conclusion du contrat. Caractérisant ainsi un cas de force majeure, le tribunal débouta le commerçant de sa demande en restitution de l’acompte. Ce dernier n’ayant pu interjeter appel en raison du taux du ressort, il s’est pourvu en cassation. La chambre commerciale accueille son pourvoi au motif que la résolution du contrat consécutive à la survenance d’un cas de force majeure justifie de lui restituer l’intégralité du prix versé. Au visa des articles 1218 et 1129 al. 3 du Code civil, elle casse la décision du tribunal de commerce, considérant que l’événement de force majeure à l’origine de l’inexécution du contrat entraîne sa résolution de plein droit et oblige le débiteur de l’obligation inexécutée à la restitution intégrale du prix versé en contrepartie de celle-ci. L’organisateur est en conséquence condamné à la restitution de l’acompte.
Les conditions de la force majeure – Traditionnellement, un événement ne peut relever de la force majeure qu’à la triple condition d’être extérieur, irrésistible et imprévisible. Cependant, à partir du milieu des années 90, la jurisprudence, tout en maintenant le critère constant de l’extériorité, a délaissé le critère d’imprévisibilité au profit de l’irrésistibilité. En effet, dans certains cas, l’événement, quoique prévisible, était totalement inévitable en sorte que l’exécution de l’obligation demeure impossible. En raison de cette impossibilité d’exécution, la Cour de cassation avait admis que l’irrésistibilité de l’événement puisse à elle seule être constitutive de l’événement de force majeure, dès lors que sa prévision ne saurait permettre d’en empêcher les effets ((Civ. 1re, 6 nov. 2002, n° 99-21.203 : « la seule irrésistibilité de l’événement caractérise la force majeure » ; Com. 1er oct. 1997, n° 95-12.435). L’exacte portée de cette évolution restait toutefois incertaine, la deuxième chambre civile demeurant quant à elle fidèle au triptyque traditionnel. C’est dans ce contexte qu’est intervenue l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui, par deux décisions du 14 avril 2006 concernant tant la responsabilité contractuelle que délictuelle, a réaffirmé l’exigence cumulative des deux caractères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité (n° 04-18.902 ; n° 02-11.168). La Haute juridiction a en effet affirmé qu’est constitutif d’un cas de force majeure « l’événement, présentant un caractère imprévisible lors de la conclusion du contrat et irrésistible dans son exécution ». L’irrésistibilité ne suffit pas : la condition d’imprévisibilité de l’événement reste un élément indispensable de la qualification de la notion de force majeure. La réforme de 2016 est venue au soutien de cette entreprise d’unification de la notion. Figurant au visa, l’article 1218 fait sienne cette clarification prétorienne, du moins en matière contractuelle. Le texte confirme en effet la condition d’imprévisibilité en exigeant que l’événement constitutif de la force majeure n’ait pu « être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat ». Logiquement, ce critère de qualification s’apprécie à la date de formation du contrat. Ainsi, dans le cas de l’espèce, la force majeure a pu être invoquée avec succès par l’exposant en raison de la date du contrat litigieux, conclu avant le début de la pandémie, mais si le contrat avait été ultérieurement formé, par exemple au cours de la deuxième quinzaine de mars 2021 (ie, la deuxième vague de la pandémie), l’événement n’aurait plus pu être considéré imprévisible. La qualification d’un cas de force majeure aurait sans doute été écartée, malgré l’extériorité et l’irrésistibilité de l’événement, la chambre commerciale témoignant ici de sa volonté de se conformer à la nouvelle définition légale en érigeant clairement l’imprévisibilité comme élément constitutif de la force majeure.
Les conséquences de la force majeure – En l’espèce retenue, la survenance d’un cas de force majeure produit plusieurs effets légalement prévus. L’article 1218 alinéa 2 précise en effet que « (s)i l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1 ». La solution rappelle que dans le cas de l’espèce d’un empêchement définitif, l’ampleur de la crise sanitaire n’ayant pas permis aux parties d’envisager un éventuel report du salon, le contrat est résolu de plein droit, dispensant ainsi de la saisine du juge. La solution est nouvelle. Avant la réforme, une jurisprudence constante de la Cour de cassation exigeait en effet l’intervention du juge pour prononcer la résolution du contrat dont l’inexécution provenait d’un cas de force majeure. Outre la valeur de principe à l’époque conférée à la résolution judiciaire, la solution était justifiée, sur le plan textuel, par la lettre de l’ancien article 1184, qui admettait la résolution du contrat à la seule condition qu’une partie n’honore pas son engagement, sans opérer de restriction quant aux origines de ce manquement. Et la chambre commerciale avait semblé maintenir cette exigence même après la réforme (Com. 18 janv. 2023, n° 21-16.812). Elle consacre ici nettement l’hypothèse légale de la résolution de plein droit du contrat. En conséquence, comme le relève la Cour, il devenait indifférent que le demandeur n’ait pas explicitement demandé la résolution du contrat : il pouvait parfaitement s’en dispenser et se contenter de demander la restitution de l’acompte, ce qui revenait à mettre en œuvre la résolution de la convention.
Conformément au droit nouveau, la Cour ajoute que la question des restitutions consécutive à la résolution de la convention doit être réglée non plus sur l’ancienne distinction des contrats à exécution instantanée ou successive, mais à l’aune du seul critère légal désormais applicable, celui de l’utilité des prestations échangées (C. civ., art. 1229, al. 3). Or l’intégralité des restitutions doit désormais être ordonnée chaque fois que le contrat est résolu sans que les prestations déjà exécutées puissent trouver leur utilité économique à défaut d’une exécution complète du contrat. Dans l’hypothèse de l’espèce où l’exécution partielle du contrat n’a pas apporté de satisfaction partielle au créancier (« lorsque les prestations échangées ne pouvaient trouver leur utilité que par l’exécution complète du contrat résolu »), les parties doivent restituer intégralement les prestations réciproques. Créancier de l’obligation inexécutée, le demandeur restait donc en droit, malgré la force majeure, d’obtenir la restitution totale du prix versé. Les juges du fond avaient ainsi commis une erreur de raisonnement : si la force majeure dispense le débiteur d’exécuter son obligation (ici accueillir le stand de l’exposant lors de la foire), elle ne le dispense pas de restituer ce qu’il a pu recevoir au titre d’un commencement d’exécution. Partant, l’organisateur de l’événement était certes libéré de son obligation d’accueillir le stand de l’exposant, mais il restait tenu, à raison de la rétroactivité attachée à la résolution du contrat, de lui restituer l’acompte versé en vain.
Références :
■ Civ. 1re, 6 nov. 2002, n° 99-21.203 : RTD civ. 2003. 301, obs. P. Jourdain
■ Com. 1er oct. 1997, n° 95-12.435 : D. 1998. 199, obs. P. Delebecque ; ibid. 318, obs. B. Mercadal ; RTD civ. 1998. 121, obs. P. Jourdain ; ibid. 368, obs. J. Mestre
■ Ass. plén. 14 avr. 2006, n° 04-18.902, n° 02-11.168 : D. 2006. 1577, obs. I. Gallmeister, note P. Jourdain ; ibid. 1566, chron. D. Noguéro ; ibid. 1929, obs. P. Brun et P. Jourdain ; ibid. 2638, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson ; RTD civ. 2006. 775, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2006. 904, obs. B. Bouloc
■ Com. 18 janv. 2023, n° 21-16.812 : D. 2023. 587, note M. Garnier-Zaffagnini ; RTD civ. 2023. 99, obs. H. Barbier
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