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[ 7 octobre 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Force majeure : la difficulté d’exécution n’est pas une exécution impossible

Mots-clefs : Contrat, Obligation, Cautionnement, Obligation de payer une somme majeure, Exonération, Force majeure, Maladie du débiteur, Impossibilité d’exécution (non)

Le débiteur d’une obligation de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure.

Un gérant s’était porté caution solidaire du prêt consenti à sa société par un établissement de crédit. Trois ans plus tard, il tomba très gravement malade, au point d’avoir à cesser son activité. Sa société fut mise en liquidation judiciaire et la banque l’assigna, en sa qualité de caution, en paiement.

La cour d’appel le condamna au paiement de la dette au motif que le cas de force majeure qu’il invoquait pour se voir dispenser de l’exécution de son obligation n’était pas constitué dès lors que « les dispositions de l’article 1148 du Code civil n’exonèrent pas le débiteur d’une obligation empêché d’exécuter celle-ci par la survenance d’un cas de force majeure de cette exécution, mais seulement d’une condamnation à payer des dommages-intérêts à raison de cette inexécution contractuelle ».

Le gérant forma alors un pourvoi en cassation. Selon lui, la cour d’appel aurait violé l’article 1148 du Code civil et l’article 1184 du même code, invoquant le principe classique selon lequel la force majeure permet au débiteur de s’exonérer de l’exécution des obligations nées du contrat tant qu’elle fait obstacle à cette exécution.

Son pourvoi est rejeté. Mais alors que les juges du fond faisaient dépendre la dispense du débiteur de l’exécution par équivalent de l’obligation, la rejetant donc dans l’hypothèse de l’espèce d’une exécution en nature, la Cour de cassation affirme autrement, par un moyen de pur droit, que « le débiteur d’une obligation de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure ».

L’impossibilité d’exécution est caractéristique de la force majeure. En ce sens, seul un événement irrésistible peut la constituer, quoique d’autres conditions soient posées (extériorité et imprévisibilité). L'événement irrésistible étant celui contre lequel personne ne peut résister, cette force irrésistible doit présenter une certaine intensité pour caractériser l’impossibilité d’exécution et constituer un cas de force majeure. Il n'en est ainsi que lorsqu’elle se révèle supérieure à celle du débiteur, comparée à sa capacité de résistance.

Si le principe paraît limpide, en pratique, la distinction entre impossibilité d’exécution et difficulté d’exécution n’est pas toujours évidente, plus précisément dans le cas où la difficulté d’exécution est extrême. La jurisprudence a donc pris soin de distinguer entre l'impossibilité de résister à la force contraignante et les difficultés d'en surmonter les effets. Il en ressort que seule l'impossibilité stricto sensu d’exécuter l’obligation est constitutive de la force majeure ; de simples difficultés, même considérables, ne sauraient être prises en considération.

La distinction apparaît surtout en matière contractuelle. Exigeant fermement que l'événement de force majeure entraîne une impossibilité d'exécuter, les tribunaux refusent tout effet exonératoire aux difficultés rencontrées par le débiteur dans l'exécution ou aux circonstances rendant celle-ci plus coûteuse. Il est vrai qu’une exécution plus difficile, ou plus onéreuse, de l’obligation n’est pas, juridiquement, une exécution impossible. C’est la raison pour laquelle le débiteur d’une somme d’argent ne saurait invoquer, comme en l’espèce, des difficultés financières pour être exonéré de sa responsabilité en cas de non-paiement.

Plus généralement, l'exigence d'une véritable impossibilité d'exécuter rend très peu probable l'admission de la force majeure lorsque le contrat a pour objet des choses fongibles ; en effet, s’agissant de l’obligation de donner une chose de genre, l’impossibilité d’exécution ne peut jamais être véritablement caractérisée, une chose de même qualité et en même quantité pouvant toujours être trouvée par le débiteur, quel que soit d’ailleurs le prix qu’il ait à payer pour cela. Appliquant la maxime genera non pereunt (les choses de genre ne périssent pas), la jurisprudence se montre ainsi particulièrement rigoureuse lorsque les contrats ont pour objet des sommes d'argent (Soc. 19 déc. 1990. – Civ. 1re, 22 avr. 1992, pour l'obligation de payer un loyer. – Paris, 19 avr. 1991) ou la restitution de choses de genre comme le dépôt ou le prêt (Civ. 21 déc. 1916. – Com. 4 janv. 1980, où la sécheresse exceptionnelle de l'été 1976 n'a pas suffi à dégager les vendeurs de produits de la terre de leurs obligations contractuelles car ils pouvaient se fournir ailleurs) ou encore la délivrance de marchandises (Com. 20 juin 1995).

La décision commentée témoigne de cette sévérité, certes quelque peu choquante compte tenu de l’état de santé du débiteur.

Com. 16 sept. 2014, n°13-20.306

Références

■ Code civil

Article 1148

« Il n'y a lieu à aucuns dommages et intérêts lorsque, par suite d'une force majeure ou d'un cas fortuit, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit. »

Article 1184

« La condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à son engagement.

Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.

La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances. »

■ Soc. 19 déc. 1990, n°87-45.843.

 Civ. 1re, 22 avr. 1992, n°90-15.338, Resp. civ. et assur. 1992, comm. 262.

 Paris, 19 avr. 1991D. 1992. 199, obs. G. Paisant.

 Civ. 21 déc. 1916, DP 1917, 2, p. 33, note H. Capitant.

 Com. 4 janv. 1980, n°78-13.904.

■ Com. 20 juin 1995, n°93-18.567, RJDA 1996, n° 24.

 

Auteur :M. H.


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