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Droit des obligations
Formation et exécution d’une obligation conditionnelle : incidence de la distinction sur l’exception de nullité
La réalisation d’une condition suspensive ne suffit pas à caractériser l’exécution, même partielle, d’une obligation susceptible de faire échec à la perpétuité de l’exception de nullité alléguée par son débiteur.
Com. 19 janv. 2022, n° 20-14.010
Entremêlant le régime général des obligations et la théorie générale du contrat, la chambre commerciale affirme par le présent arrêt qu’une condition suspensive est sans rapport avec l’exécution de l’obligation qu’elle conditionne, en sorte que sa réalisation ne peut équivaloir à un commencement d’exécution paralysant le jeu de l’exception de nullité.
En l’espèce, le 5 mai 2000, une personne physique et une société avaient conclu une promesse de cession des parts qu’ils détenaient d’une SARL exploitant un hôtel dont la gestion avait ensuite été confiée, entre 2005 et 2017, à deux autres sociétés. La cession de parts avait été conclue sous deux conditions suspensives tenant au remboursement échelonné par la SARL du solde créditeur des comptes courants détenus par les promettants. Dans cette perspective, après que cette société eut été placée en redressement judiciaire assorti d’un plan de continuation, des augmentations de capital avaient été souscrites par plusieurs sociétés d’hôtellerie. C’est alors que les promettants refusèrent d’honorer leur engagement pris dix ans plus tôt, s’opposant à l’exécution de leur promesse de cession. La société bénéficiaire avait alors assigné ces derniers, ainsi que les sociétés ayant procédé aux augmentations de capital pour obtenir, notamment, l’annulation de celles-ci, ainsi que celle des parts sociales émises. En défense, les promettants lui opposèrent une exception de nullité tirée de la vileté du prix et de l’absence de cause du contrat de cession. L’affaire ayant donné lieu à un premier arrêt de cassation, notamment pour défaut de base légale concernant la mise en jeu de la condition suspensive (Com. 15 mars 2017, nos 15-16.609 et 15-17.589), elle revint ensuite devant la Cour d’appel de Paris, autrement composée. Celle-ci refusa de faire le jeu de l’exception de nullité soulevée par les promettants en raison de la réalisation des conditions suspensives, qui aurait ainsi fait débuter l’exécution de l’obligation de vendre les parts : « les paiements intervenus pour solder les créances de comptes courants visées à l’acte s’analysent en un commencement d’exécution de la promesse, peu important que le débiteur de cette obligation soit la société SARL, dès lors que ce règlement conditionnait le transfert des parts ». Devant la Cour de cassation, les promettants reprochaient alors à l’arrêt attaqué d’avoir déduit, en les confondant, l’exécution de l’obligation de cession de la réalisation des conditions suspensives. Leur donnant gain de cause, la chambre commerciale distingue ce que la cour d’appel avait en effet confondu. Elle casse l’arrêt d’appel au motif « qu’une condition suspensive fait dépendre l’obligation souscrite d’un événement futur et incertain mais ne constitue pas l’objet de l’obligation, de sorte que la réalisation de la condition ne constitue pas l’exécution, même partielle, de cette obligation et ne peut, par suite, faire échec au caractère perpétuel d’une exception de nullité ». Ainsi la réalisation des conditions suspensives n’emportait-elle pas, en l’espèce, l’exécution de l’obligation, même partielle, en sorte que l’exception de nullité pouvait être valablement opposée. Nul n’ignore en effet la perpétuité attachée à l’exception de nullité, qui rend celle-ci imprescriptible sous la réserve, au demeurant essentielle, que la partie qui l’invoque n’ait pas commencé à exécuter l’obligation dont elle demande l’annulation (principe jurisprudentiel désormais prévu à l’article 1185 du code civil). C’est la raison pour laquelle la clarification apportée par la Cour sur la relation entre condition suspensive et exécution de l’obligation est essentielle. Elle repose sur une règle issue du régime général de l’obligation selon laquelle la condition suspensive, en tant que modalité accessoire de l’obligation principale du contrat, revient à faire dépendre la naissance de l’obligation de la réalisation de l’événement érigé par les parties en condition de leur engagement. On comprend toutefois que la réalisation de cette condition, lorsqu’elle advient, n’équivaut pas à la réalisation de la prestation convenue : la condition suspensive ne constituant pas « l’objet de l’obligation », comme le rappelle la Cour, mais une modalité déterminante de sa formation, il convient de faire le départ entre ce qui constitue une simple modalité de l’obligation et l’exécution de l’obligation affectée d’une telle modalité. Contrairement à ce qu’avaient retenu les juges du fond, l’exécution de l’obligation litigieuse (la cession de parts) n’avait donc pas commencé du seul fait de la réalisation des conditions suspensives (le paiement des comptes courants). Même proche dans le temps de son exécution, la réalisation de la condition stipulée n’emporte pas mécaniquement l’exécution de l’obligation qu’elle a conditionnée. Dit autrement, la réalisation des conditions n’initie pas celle de la prestation à effectuer. Ainsi la solution rendue repose-t-elle sur la répartition classique entre des deux stades du processus contractuel que sont sa formation, d’une part, et son exécution, d’autre part. Si au stade de la formation du contrat, la naissance de l’obligation est en effet acquise par la réalisation des modalités convenues, sur le terrain de son exécution, imperméable à la question de la formation de l’obligation et, en la circonstance, aux conditions suspensives prévues pour lui donner naissance, rien ne s’oppose à ce qu’une partie contractante dénonce, par voie d’exception, la nullité du contrat conclu (sur l’indifférence de la partie qui invoque la nullité par voie d’exception, v. Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-19.481). Ainsi, si la condition suspensive se révèle déterminante au moment de la formation du contrat, elle devient indifférente lors de son exécution ; une fois l’obligation formée, son caractère contraignant peut parfaitement se déployer au stade de l’exécution, à partir duquel la condition suspensive n’a, finalement, plus de rôle à jouer. Malgré la proximité temporelle en l’espèce observée de la réalisation des conditions et de l’exécution de la prestation à effectuer, il était relativement facile de les distinguer : les paiements versés pour solder les comptes courants (réalisation des conditions) et le contrat de promesse en lui-même (exécution de l’obligation de cession), s’analysant en un droit personnel distinct, ne pouvaient être assimilés. Comme l’affirme la chambre commerciale, le commencement d’exécution ne devait donc pas être déduit de la seule réalisation des conditions suspensives. Partant, le moyen de défense des promettants tiré de l’exception de nullité pouvait être valablement soulevé sans qu’on puisse leur opposer le commencement d’exécution de leur obligation pour paralyser le jeu de cette exception et faire échec à son caractère perpétuel qui se révélait, au regard du temps écoulé, particulièrement utile aux auteurs de la promesse, désireux d’en contester la validité.
En corrigeant, par un retour à la distinction fondatrice entre formation et exécution de l’obligation, les rapports mal définis en appel entre les modalités de l’obligation et son commencement d’exécution, la chambre commerciale accueille dès lors l’exception de nullité soulevée et ainsi, fait harmonieusement correspondre le régime général de l’obligation et la théorie générale du contrat.
Références :
■ Com. 15 mars 2017, nos 15-16.609 et 15-17.589
■ Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-19.481, D. 2020. 2287
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