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[ 26 novembre 2009 ] Imprimer

Droit du travail - relations individuelles

Francisation du nom à consonance étrangère : discrimination prohibée

Mots-clefs : Discrimination (prohibition, origine), Embauche, Prénom (francisation), Nullité

Le fait de demander au salarié de changer son prénom de Mohamed pour celui de Laurent est de nature à constituer une discrimination à raison de son origine.

Par un arrêt du 10 novembre 2009 (n° 08-42.286), la chambre sociale précise la définition et la preuve de la discrimination dans l'entreprise. En l'espèce, une maison de retraite avait demandé, au moment de l'embauche, à l'un de ses salariés prénommé Mohamed, de se faire appeler Laurent. L'intéressé n'avait obtenu que deux ans plus tard la possibilité de reprendre l'usage de son prénom. Celui-ci forma une demande de dommages-intérêts pour discrimination mais fut débouté au motif qu'il avait accepté le changement de prénom lors de son embauche et qu'au moment de la signature du contrat, quatre salariés de la maison de retraite se prénommaient Mohamed ; pour les juges du fond, aucun comportement discriminatoire ne pouvait être reproché à l'employeur.

Cette décision est cassée au visa des articles L. 1132-1 et L. 1134-1 du Code du travail. La chambre sociale indique que « le fait de demander au salarié de changer son prénom de Mohamed pour celui de Laurent est de nature à constituer une discrimination à raison de son origine » ; elle ajoute que « la circonstance que plusieurs salariés portaient le prénom de Mohamed n'était pas de nature à caractériser l'existence d'un élément objectif susceptible de la justifier ». Bien que l'origine figure parmi les motifs discriminatoires interdits, les arrêts qui condamnent les discriminations en raison de l'origine du salarié sont rares. Cette décision, qui figurera au Rapport annuel, revêt donc un intérêt particulier.

On rappellera que le législateur a, depuis 1972, précisé et renforcé la lutte contre les discriminations, en allongeant la liste des motifs prohibés et en durcissant les sanctions applicables. La loi du 16 novembre 2001 fonde le dispositif civil en la matière : celle-ci a clarifié la notion de discrimination et reformulé les règles de preuve, de procédure et de sanction (elle a récemment été complétée par deux lois des 27 mai et 17 juin 2008). L'article 1132-1 du Code du travail interdit toute discrimination en matière d'emploi. Il existe cependant des motifs légitimes de discrimination concernant l'âge, le sexe, le handicap et l'état de santé, ainsi qu'un motif légitime « général » (art. L. 1133-1 C. trav. issu de la L. 27 mai 2008). Un régime probatoire particulier s'applique (art. L. 1134-1 C. trav.) : le salarié demandeur à l'instance doit seulement présenter au juge des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination, directe ou indirecte, et il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs. La sanction encourue est la nullité de plein droit. Le phénomène est également réprimé sur le plan pénal, par le biais d'un délit général de discrimination (art. 225-1 C. pén.) et de plusieurs délits spéciaux prévus dans le Code du travail (art. L. 2141-5 concernant l'appartenance ou l'activité syndicale ; art. L. 1142-1, L. 1142-2 et L. 1146-1 concernant la discrimination fondée sur le sexe, la situation de famille et la grossesse).

En l'espèce, la chambre sociale estime que la pluralité de salariés portant le même prénom au sein de l'entreprise ne constitue pas un élément objectif permettant de justifier la discrimination à raison de l'origine. Est-ce à dire qu'elle pourrait potentiellement permettre la justification d'une telle discrimination ? Peut-être, si l'on se réfère à l'arrêt Synchroton, dans lequel est validée une prime d'expatriation versées aux seuls salariés étrangers (Soc. 17 avr. 2008).

L'arrêt du 10 novembre est à rapprocher d'un arrêt de la chambre criminelle qui a récemment sanctionné, sur le terrain du délit de subordination d'une offre d'emploi à un motif discriminatoire (art. 225-2, 5°, C. pén.), une autre forme de discrimination fondée sur l'origine : l'utilisation de la mention « BBR » (bleu blanc rouge) sur le profil d'hôtesses recherchées pour une animation-vente de produits coiffants (Crim. 23 juin 2009).

Soc. 10 nov. 2009

 

Références

■ Code du travail

Article L. 1132-1

« Aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap. »

Article L. 1133-1

« L'article L. 1132-1 ne fait pas obstacle aux différences de traitement, lorsqu'elles répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée. »

Article L. 1134-1

« Lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions du chapitre II, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations.
Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. »

Article L. 1142-1

« Sous réserve des dispositions particulières du présent code, nul ne peut :
1° Mentionner ou faire mentionner dans une offre d'emploi le sexe ou la situation de famille du candidat recherché. Cette interdiction est applicable pour toute forme de publicité relative à une embauche et quels que soient les caractères du contrat de travail envisagé ;
2° Refuser d'embaucher une personne, prononcer une mutation, résilier ou refuser de renouveler le contrat de travail d'un salarié en considération du sexe, de la situation de famille ou de la grossesse sur la base de critères de choix différents selon le sexe, la situation de famille ou la grossesse ;
3° Prendre en considération du sexe ou de la grossesse toute mesure, notamment en matière de rémunération, de formation, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle ou de mutation. »

Article L. 1142-2

« Lorsque l'appartenance à l'un ou l'autre sexe répond à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et pour autant que l'objectif soit légitime et l'exigence proportionnée, les interdictions prévues à l'article L. 1142-1 ne sont pas applicables.
Un décret en Conseil d'État détermine, après avis des organisations d'employeurs et de salariés représentatives au niveau national, la liste des emplois et des activités professionnelles pour l'exercice desquels l'appartenance à l'un ou l'autre sexe constitue la condition déterminante. Cette liste est révisée périodiquement. »

Article L. 1146-1

« Le fait de méconnaître les dispositions relatives à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, prévues par les articles L. 1142-1 et L. 1142-2, est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 Euros.
La juridiction peut également ordonner, à titre de peine complémentaire, l'affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l'article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu'elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l'amende encourue. »

Article L. 2141-5

« Il est interdit à l'employeur de prendre en considération l'appartenance à un syndicat ou l'exercice d'une activité syndicale pour arrêter ses décisions en matière notamment de recrutement, de conduite et de répartition du travail, de formation professionnelle, d'avancement, de rémunération et d'octroi d'avantages sociaux, de mesures de discipline et de rupture du contrat de travail.
Un accord détermine les mesures à mettre en œuvre pour concilier la vie professionnelle avec la carrière syndicale et pour prendre en compte l'expérience acquise, dans le cadre de l'exercice de mandats, par les représentants du personnel désignés ou élus dans leur évolution professionnelle. »

■ Code pénal

Article 225-1

« Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.
Constitue également une discrimination toute distinction opérée entre les personnes morales à raison de l'origine, du sexe, de la situation de famille, de l'apparence physique, du patronyme, de l'état de santé, du handicap, des caractéristiques génétiques, des mœurs, de l'orientation sexuelle, de l'âge, des opinions politiques, des activités syndicales, de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée des membres ou de certains membres de ces personnes morales. »

Article 225-2

« La discrimination définie à l'article 225-1, commise à l'égard d'une personne physique ou morale, est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 Euros d'amende lorsqu'elle consiste :
1° A refuser la fourniture d'un bien ou d'un service ;
2° A entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque ;
3° A refuser d'embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ;
4° A subordonner la fourniture d'un bien ou d'un service à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ;
5° A subordonner une offre d'emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l'un des éléments visés à l'article 225-1 ;
6° A refuser d'accepter une personne à l'un des stages visés par le 2° de l'article L. 412-8 du code de la sécurité sociale.
Lorsque le refus discriminatoire prévu au 1° est commis dans un lieu accueillant du public ou aux fins d'en interdire l'accès, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 75 000 Euros d'amende. »

■ Jurisprudence

Soc. 17 avr. 2008, D. 2008. Jur. 1519, note Petit et Cohen ; ibid. Pan. 2306, obs. Reynès ; RJS 2008. 543, n° 675 ; JS Lamy 2008, n° 234-4.

Crim. 23 juin 2009, Dalloz actualité, 30 juill. 2009, obs. Darsonville.

 

Auteur :S. L.


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