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Droit des obligations
Fraude à la réglementation européenne : illicéité de la cause du contrat
Mots-clefs : Cause du contrat, Illicéité, Prêt, Fraude à la loi
Le contrat de prêt conclu pour contourner la réglementation européenne des quotas de production laitière est illicite.
Un prêt sans intérêt a été consenti à un producteur de lait pour lui permettre de rembourser à la société coopérative agricole auprès de laquelle il livrait sa production, les prélèvements supplémentaires que celle-ci avait réglés à un organisme tiers au titre de dépassements des quantités de références attribuées par cet organisme. Le prêteur ayant assigné l’emprunteur en remboursement, le juge de proximité saisi rejette la demande.
En effet, ce dernier constate qu'avec la complicité active de la société prêteuse, la société coopérative a institué, au bénéfice de ses adhérents, un système de financement destiné à couvrir les pénalités encourues par ces derniers en cas de dépassement des quotas européens de production laitière. Ce système repose sur la conclusion de prêts sans intérêt exclusivement remboursables en cas de cessation des relations contractuelles. Le juge en déduit que l'octroi de tels prêts, au nombre desquels figure le prêt litigieux, s'analyse en un comportement frauduleux tendant au détournement de cette réglementation ; il caractérise ainsi l’illicéité de la cause du prêt. Au soutien de son pourvoi en cassation, la société acheteuse fait notamment valoir la violation, par le juge de proximité, de l’article 1131 du Code civil relatif à la cause de l’obligation, contestant l’assimilation de la cause de l’obligation de l’emprunteur au financement du prélèvement supplémentaire ; celle-ci serait contraire au principe selon lequel dans un contrat de prêt, la cause d’une telle obligation réside, objectivement et invariablement, dans la remise des fonds prêtés. La première chambre civile devait alors se prononcer sur la licéité de la cause d’un contrat de prêt conclu pour assurer le paiement des pénalités encourues par l’emprunteur en cas de violation de quotas de production réglementés. Elle conclut à l’illicéité de la cause du contrat de prêt litigieux dont le but vise à contourner les effets de la réglementation européenne.
La cause : sujet classique mais sans cesse débattu, notamment pour discuter du phénomène assez récent de renouvellement de la cause objective. L’arrêt rapporté a le mérite de porter sur un aspect moins rebattu de la notion : la cause subjective. Il existe, en effet, deux notions de cause :
– la cause objective d’une part, visant à contrôler l’existence de la contrepartie attendue par tout souscripteur d’une obligation ;
– la cause subjective d’autre part, visant à contrôler la licéité et la moralité des motifs des parties contractantes.
S’il s’agit, dans tous les cas, d’interroger le « pourquoi » de l’engagement, deux objectifs distincts, sous-tendant le dualisme de la notion, sont en réalités poursuivis : alors que la cause subjective a pour but la défense de l’intérêt général, la cause objective assure au contraire la protection des intérêts privés des contractants. Autonomes, ces deux notions se complètent toutefois : si la contrepartie attendue par chaque contractant pour l’engagement qu’il a souscrit doit bien exister, encore faut-il que les motifs poursuis par chacun ne soient pas répréhensibles. D’ailleurs, l’article 1131 du Code civil vise sans distinction l’absence de cause et son illicéité. L’existence de la cause comme sa licéité sont donc, pour le législateur, deux conditions distinctes mais également indispensables à la validité du contrat. Dans un arrêt de principe, la première chambre civile avait d’ailleurs repris à son compte, à propos d’un contrat de vente, cette conception dualiste de la cause que suggère la lecture du Code civil. Certes, la cause subjective semble relativement absente des débats. Elle se présente pourtant comme une notion fondamentale du droit des contrats. Elle préoccupait déjà les canonistes et certains jurisconsultes de l’Ancien droit, dont Pothier, pour ensuite influencer les rédacteurs du Code civil : de façon plus précise que l’article 1131 précité, l’article 1133 requiert la conformité de la cause du contrat aux bonnes mœurs et à l’ordre public. Par la suite, les juges se sont montrés inflexibles et constants dans l’exercice d’un tel contrôle de la licéité et de la moralité des conventions au moyen de la notion de cause subjective.
En l’espèce, sans être immorale au sens d’une contrariété manifeste à l’ordre public et aux bonnes mœurs visés à l’article 6 du Code civil, la cause du prêt était, de toute évidence, illicite : le but poursuivi « consistait en un détournement pur et simple de la réglementation européenne ».
Civ. 1re, 26 sept. 2012, n°11-12.941
Références
■ Terré, Simler et Lequette, Droit des obligations, 10e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2009, n°331 s.
■ Code civil
« On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs. »
« L'obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet. »
« La cause est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire aux bonnes mœurs ou à l'ordre public. »
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