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[ 17 décembre 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

« Fraus omnia corrumpit » : report du point de départ de l’action paulienne

La fraude d’un débiteur ayant empêché ses créanciers d’exercer l’action paulienne à compter du dépôt d’un acte de cession de parts en annexe au registre du commerce et des sociétés, le point de départ de celle-ci est reporté au jour où ils ont effectivement connu l’existence de l’acte de cession de parts.

Civ. 3e, 12 nov. 2020, n° 19-17.156

Un débiteur, depuis décédé, avait été assigné par acte du 4 juin 2010 en paiement de diverses sommes dues au titre de deux reconnaissances de dette. Un arrêt du 23 mai 2013 l’avait condamné à payer à ses créanciers les sommes réclamées avec intérêts au taux de 10% à compter du 1er mars 2007. Le 18 juin 2010, le débiteur avait cédé des parts qu’il détenait au sein d’une société civile immobilière. Considérant que cette cession de parts sociales avait été passée en fraude de leurs droits, les créanciers avaient assigné, par acte du 18 octobre 2016, le cessionnaire de ces parts sur le fondement de l’action paulienne. Celle-ci a pour effet de déclarer tout acte effectué par le débiteur à l’effet de soustraire un bien ou une somme d’argent à la poursuite de ses créanciers inopposable au créancier poursuivant, ainsi autorisé à en ignorer l’existence et à saisir, notamment entre les mains du tiers complice, le bien ou la somme indûment extraits du patrimoine de son débiteur (C. civ., art. 1341-2).

Avant même d’apprécier le bien-fondé de leur action, la cour d’appel la jugea irrecevable comme prescrite au motif que celle-ci avait été engagée plus de cinq ans au-delà du délai de droit commun prévu à l’article 2224 du Code civil, ayant en l’espèce commencé à courir à compter de la date de publication de l’acte de cession.

Devant la Cour de cassation, les créanciers, rappelant les termes du texte précité selon lequel les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer, contestaient que le point de départ du délai eût été fixé à la date de la publication de l’acte de cession alors que le débiteur avait tenté, tout au long de la procédure ayant donné lieu à sa condamnation définitive en 2013, de dissimuler sa véritable adresse puis l’existence de biens appartenant à la SCI, ce dont il résultait que les faits frauduleux avaient perduré après la publication de la cession de parts sociales attaquée. Ils ajoutaient qu’en tout état de cause, en s’abstenant de rechercher à quelle date les créanciers avaient, en raison de la dissimulation de ces éléments par leur débiteur, eu effectivement connaissance de ses agissements frauduleux, la cour d’appel aurait privé sa décision de base légale au regard de l’article 2224 du Code civil.

Au visa des articles 1341-2 et 2224 sus évoqués et du principe selon lequel « la fraude corrompt tout », la Cour de cassation censure la décision des juges du fond. Déduisant de ces textes et de ce principe que « lorsque la fraude du débiteur a empêché les créanciers d’exercer l’action paulienne à compter du dépôt d’un acte de cession de parts en annexe au registre du commerce et des sociétés, le point de départ de cette action est reporté au jour où les créanciers ont effectivement connu l’existence de l’acte », elle en conclut que la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision en n’ayant pas recherché, comme il le lui était demandé, si la dissimulation de son adresse par le débiteur n’avait pas eu pour effet d’empêcher les créanciers d’exercer l’action paulienne avant d’avoir effectivement connaissance de l’acte de cession de parts.

La cassation de la décision des juges du fond par la Haute cour s’explique par l’appréciation purement juridique et abstraite, par les premiers, des éléments susceptibles d’établir la connaissance, par les créanciers, de l’acte de cession leur ouvrant le droit d’exercer l’action paulienne, que la seconde écarte au profit d’une approche concrète et circonstancielles des faits ayant eu pour effet de porter effectivement à leur connaissance cet acte frauduleux dont dépendait, en l’espèce, la recevabilité de leur action. En effet, la juridiction d’appel s’en était tenue aux règles d’enregistrement et de publicité des actes de commerce pour considérer que le dépôt de l’acte de cession au greffe du tribunal de commerce avait eu pour effet de porter à la connaissance des tiers la cession litigieuse et ainsi, de la leur rendre opposable, en sorte que les créanciers poursuivants avaient par cette publicité été en mesure de connaître dès cette date l’acte de cession qu’ils entendaient contester, peu important les démarches frauduleuses entreprises ultérieurement par leur débiteur. De cette seule considération, les juges du fond en avaient déduit que le délai de prescription ayant commencé à courir à compter du 18 juin 2010, date de la publication, l’action paulienne engagée le 18 octobre 2016 était, en application du délai quinquennal prévu à l’article 2224 du Code civil, prescrite. Au contraire, la Cour de cassation considère qu’à cette date, la prescription ne courait pas, les créanciers ignorant la fraude, par essence occulte et réitérée par leur débiteur ultérieurement à la publication de l’acte attaqué. Son point de départ devait donc être nécessairement fixé postérieurement à la date de publication de l’acte attaqué, la fraude entachant la cession qu’il contenait ayant continué après sa publicité. Ainsi la Haute cour reproche-t-elle à la cour d’appel d’avoir ainsi ignoré la durabilité du comportement frauduleux du débiteur, qui justifiait donc de reporter le point de départ du délai à la date, nécessairement postérieure à celle de l’enregistrement de l’acte, où les demandeurs avaient eu effectivement connaissance de la fraude commise. 

Cette analyse est conforme à la lettre comme à l’esprit du texte de l’article 2224 du Code civil qui prévoit, par largesse et pragmatisme, de fixer le point de départ du délai soit au jour où le titulaire aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son action, soit au jour où il les a, de fait, découverts (v. not. en matière de responsabilité contractuelle, Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820 : la prescription d’une action en responsabilité contractuelle ne court qu’à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu’elle n’en avait pas eu, auparavant, effectivement connaissance). 

Référence 

■ Civ. 1re, 9 juill. 2009, n° 08-10.820 P: D. 2009. 1960, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2009. 728, obs. P. Jourdain ; RTD com. 2009. 794, obs. D. Legeais ; ibid. 2010. 413, obs. B. Bouloc

 

Auteur :Merryl Hervieu

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