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Droit pénal spécial
Frontière entre injure et diffamation : appréciation par l'Assemblée plénière
Mots-clefs : Diffamation (définition, faits précis, non, requalification), Injure
En l'absence de faits précis de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve ou d'un débat contradictoire, des propos ne sont pas diffamatoires mais injurieux.
Par l'arrêt du 25 juin 2010, l'Assemblée plénière clôt une procédure initiée en 2002 par le ministre de l'Intérieur, visant l'auteur (et l'éditeur) de propos publiés dans un livret promotionnel accompagnant la sortie d'un disque de rap, en raison de passages mettant en cause la police nationale (entre autres, « Les rapports du ministre de l'Intérieur ne font jamais état des centaines de nos frères abattus par les forces de police sans qu'aucun des assassins n'ait été inquiété »). Ce faisant, elle confirme également l'appréciation de la qualification des faits opérée par les juges du fond (du tribunal correctionnel initialement saisi à la cour d'appel statuant sur renvoi après cassation).
La Haute cour rejette le moyen de l'accusation qui prétendait que l'imputation faite aux forces de police de la commission, en toute impunité, de centaines de meurtres de jeunes des banlieues, constituait une diffamation et non une injure. Elle estime ainsi que la cour d'appel a « exactement retenu que les écrits incriminés n'imputaient aucun fait précis » et « déduit à bon droit que ces écrits, s'ils revêtaient un caractère injurieux, ne constituaient pas le délit de diffamation envers une administration publique ».
Cet arrêt confirme la jurisprudence traditionnelle relative à la frontière entre injure et diffamation. La chambre criminelle estime ainsi que, pour être diffamatoire, l'allégation ou l'imputation « doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire » (v. Crim. 6 mars 1974 ; 2 déc. 1980 ; 14 févr. 2006 ; et, pour une illustration récente, Crim. 13 avr. 2010). À défaut, il ne peut s'agir que d'une injure, en application de l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881 (« toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait [précis] »). Sous la réserve d'une possible preuve (dont il était peut-être possible de discuter ici, sur le fondement de l'existence de statistiques policières), le degré de précision du fait peut être faible. Mais quand la possibilité de preuve fait défaut, soit l'injure est constituée (comme en l'espèce), soit l'on se retrouve sur le registre de la manifestation d'une opinion, couverte par l'immunité…
Ass. plén. 25 juin 2010, n° 08-86.891, P+B+R+I
Références
« Allégation ou imputation d’un fait, constitutive d’un délit ou d’une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. »
« Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis. Dans la mesure où elle n’est pas précédée de provocations, l’injure est un délit lorsqu’elle est publique, et une contravention lorsqu’elle n’est pas publique. »
Source : Lexique des termes juridiques 2011, 18e éd., Dalloz, 2010
■ Article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
« Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l'identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés.
Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait est une injure. »
■ Crim. 6 mars 1974, Bull. crim. n°96.
■ Crim. 2 déc. 1980, Bull. crim. n°326.
■ Crim. 14 févr. 2006, Bull. crim. n°40 ; D. 2006. IR. 886 ; ibid. 2007. Pan. 1038, obs. Dupeux et Massis ; Dr. pénal 2006, comm. 99.
■ Crim. 13 avr. 2010, Dalloz Actu Étudiant 1er juin 2010.
■ B. Beignier, B. de Lamy et E. Dreyer (dir.), Traité de droit de la presse et des médias, Litec, 2009, n° 723.
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