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[ 16 novembre 2016 ] Imprimer

Droit pénal des affaires

Fusions-absorption et responsabilité pénale des personnes morales : CJUE versus Chambre criminelle

Mots-clefs : Droit pénal des affaires, Responsabilité du fait personnel, Fusion

L'article 121-1 du Code pénal, lequel pose le principe de la responsabilité personnelle, prohibe les poursuites pénales engagées à l'encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique.

L’impunité d'une société absorbante à raison des agissements de la société absorbée ou « le suicide sans risque de personnes morales » (Truche, Introduction au colloque sur la responsabilité pénale des personnes morales, Rev. sociétés 1993. 231) fait l’objet de réflexions jurisprudentielles et doctrinales nourries depuis plusieurs années. 

Sur le plan interne, la Cour de cassation n’admet pas le principe de la responsabilité. Selon la chambre criminelle, une société absorbante n'est pas pénalement responsable des infractions commises par la société absorbée avant la fusion en application du principe de responsabilité personnelle (Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742. Crim. 14 oct. 2003, n° 02-86.376). Similairement, selon la chambre commerciale, dans un arrêt du 15 juin 1999, « le principe de la personnalité des poursuites et des sanctions s'oppose à ce qu'en l'absence de dispositions dérogatoires expresses, des personnes physiques ou morales autres que l'auteur du manquement en cause, puissent se le voir imputer et faire l'objet de sanctions à caractère pénal ». Devaient donc être annulées les sanctions prononcées par la Commission des opérations de bourse à l'encontre de sociétés résultant d'une opération de scission dès lors que les manquements étaient imputables, non à ces sociétés, mais à l'entité préexistante (Com. 15 juin 1999, n° 97-16.439). Juridiquement fondée, cette solution présente un risque majeur : l'instrumentalisation d’une opération de fusion pour faire échapper une société à toute condamnation pénale. 

La jurisprudence interne solidement fixée avait pourtant été ébranlée par une décision de la CJUE en 2015 (CJUE 5 mars 2015, n° C-343/13). Selon la juridiction européenne, l'article 19 de la directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 concernant les fusions des sociétés anonymes doit être interprété en ce sens qu'une fusion par absorption, au sens de la directive, entraîne la transmission, à la société absorbante, de l'obligation de payer une amende infligée par décision définitive après cette fusion pour des infractions au droit du travail commises par la société absorbée avant la fusion. La société absorbante se substitue donc à la société absorbée, avec transmission universelle de ses droits, biens et obligations.

Forte de cette décision, la chambre de l’instruction Rennaise a cru pouvoir faire évoluer la jurisprudence française. En l’espèce, une plainte avait été déposée par un médecin biologiste ayant dirigé un laboratoire d'analyses médicales contre une société « X » venant aux droits d’une société « Y », pour offre par une entreprise assurant des prestations produisant ou commercialisant des produits pris en charge par des régimes obligatoires de sécurité sociale d'avantages en nature ou en espèces à des auxiliaires médicaux sur une période. Mise en examen, la société « X » a déposé une requête tendant à ce que soit rendue une ordonnance de non-lieu en sa faveur, au motif que l'action publique serait éteinte en raison de la fusion-absorption par la société « X » de la société « Y », seule personne morale mise en cause. Pour rejeter la requête, la chambre de l'instruction se fonde sur la décision du 5 mars 2015 de la Cour de Justice de l’Union européenne et retient que la fusion-absorption « ayant eu pour effet de transférer, en les confondant, le patrimoine et la personnalité juridique de la première à la seconde, entraîne la transmission de la responsabilité pénale, de façon non contraire aux dispositions des articles 6 du code de procédure pénale et 121-2 du code pénal ». Pour les juges du fond « dans le cas d'espèce, cette transmission est d'autant plus avérée par les caractéristiques de l'opération de fusion-absorption par une société qui était propriétaire de près de la moitié de la société absorbée et dont les dirigeants et les biologistes y travaillant étaient en même temps associés de la société absorbante et que cette identité des associés des deux sociétés, absorbée et absorbante, montre que les personnes physiques qui les composent ne pouvaient ignorer, en tant qu'associés de la société absorbante, les agissements des personnes travaillant au sein de la société absorbée ».

Statuant sur le pourvoi formé par la personne morale mise en examen, la chambre criminelle, au visa de l’article 121-1 du Code pénal, et rappelant dans un attendu de principe qu’au terme de cette disposition, « nul n'est responsable pénalement que de son propre fait », censure la décision de la chambre de l’instruction. 

Cet arrêt reprend très exactement la solution déjà dégagée par la Chambre criminelle dans ses précédents arrêts et sur ce point, la haute juridiction réitère que « l'article 121-1 du code pénal ne peut s'interpréter que comme interdisant que des poursuites pénales soient engagées à l'encontre de la société absorbante pour des faits commis par la société absorbée avant que cette dernière perde son existence juridique ». Préalablement, la chambre criminelle écarte l’argument relatif à la jurisprudence de la CJUE en rappelant que « la troisième directive 78/855/CEE du Conseil du 9 octobre 1978 concernant les fusions des sociétés anonymes, qui a été codifiée par la directive 2011/35/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011, telle qu’interprétée en son article 19 paragraphe 1 par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’arrêt du 5 mars 2015 précité, est dépourvue d’effet direct à l’encontre des particuliers ». Là encore, point de nouveauté. Dans un arrêt en date du 3 février 2016, la Cour de cassation, déjà, au visa de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, affirmait que les directives ne peuvent produire un effet direct à l’encontre des particuliers (Crim. 3 févr. 2016, n°14-85.198). Il résulte de ce principe l'impossibilité, pour une directive, de déterminer ou d'aggraver la responsabilité pénale de ceux qui agissent en contrevenant à ses dispositions. Peu importe dès lors l’interprétation de la directive, la directive elle-même étant hors du litige. 

Cet arrêt démontre une nouvelle fois, comme le soulignait le professeur G. Roujou de Boubée que si « le principe de personnalité conduit à une impunité regrettable au regard d'une répression bien comprise » (…) la seule solution satisfaisante consisterait en une intervention du législateur qui, en cas de poursuites en cours, suspendrait toutes les opérations ayant pour but ou pouvant avoir pour résultat de mettre fin à l'existence de la personne morale poursuivie (D. 2004. 319). Une autre piste aurait peut-être néanmoins pu être empruntée dans cette affaire : la fraude à la loi. En effet, dans son arrêt de 1999, la chambre commerciale avait réservé expressément l'hypothèse de la fraude comme exception au principe de l’irresponsabilité. Or en l’espèce, les juges du fond avaient relevé que du fait de la détention par la société absorbante de près de la moitié du capital de la société absorbée et en raison de l’identité des associés des deux sociétés, il en résulterait que les personnes physiques qui les composent ne pouvaient ignorer, en tant qu’associés de la société absorbante, les agissements des personnes travaillant au sein de la société absorbée. Peut être aurait-on pu imaginer que le procédé de fusion avait été réalisé dans le but avéré d'éluder toutes poursuites…

A titre accessoire, un autre point de la décision doit être mentionné relatif à la fixation de la date à laquelle une société absorbée perd toute personnalité juridique par l’opération de fusion absorption et donc la date d’extinction de l’action publique. Selon la société absorbante, la date à prendre en compte est celle correspondant à la radiation de la société au registre du commerce et des sociétés, seule mention opposable aux tiers. Tel n’est pas l’avis des juges du fond qui considéraient que la date à prendre en considération pour la disparition de la société absorbée est celle de l’assemblée générale approuvant l’opération. 

En l’espèce, le contrat de fusion en date du 11 février 2010 prévoyait que la fusion prenait effet au 1er janvier 2010 et que la société absorbée se trouverait dissoute de plein droit à l’issue des décisions de l’assemblée générale extraordinaire des associés de la société absorbante qui constaterait la réalisation de la fusion laquelle s’est déroulée le 31 mars 2010. La radiation de la société absorbée au registre du commerce et des sociétés a été réalisée le 5 mai 2010.

Si la Cour de cassation considère comme erroné le raisonnement des juges selon lesquels la date à prendre en considération pour la disparition, sur le plan de sa responsabilité pénale, de la société absorbée serait celle de l'assemblée générale approuvant l'opération et non celle de la radiation au registre du commerce et des sociétés, elle ne remet pas en cause la décision de non lieu à clôture de l'information. En effet, la mise en examen de la société absorbante couvrant une période de prévention entre le 1er juin 2007 et le 30 mai 2010 et les juges du fond ayant relevé que les commissionnements litigieux ont continué à être versés après cette date jusqu'au mois de juin, la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour ce qui concerne la période de la prévention comprise entre le 5 et le 30 mai 2010. La responsabilité pénale de la société absorbante peut être mise en jeu du fait de sa propre inconduite postérieurement à la fusion. 

Crim. 25 octobre 2016, n° 16-80.366 

Références

■ Crim. 20 juin 2000, n° 99-86.742 P, D. 2001. 853, note H. Matsopoulou ; ibid. 1608, obs. E. Fortis et A. Reygrobellet ; ibid. 2002. 1802, obs. G. Roujou de Boubée ; Rev. sociétés 2001. 851, note I. Urbain-Parleani ; Dr. soc. 2000. 1150, obs. P. Morvan ; RSC 2001. 153, obs. B. Bouloc ; RTD com. 2000. 1024, obs. B. Bouloc ; ibid. 2001. 459, obs. C. Champaud et D. Danet

■ Crim. 14 oct. 2003, n° 02-86.376 P, D. 2004. 319, obs. G. Roujou de Boubée ; AJ pénal 2003. 101, obs. A. P. ; Rev. sociétés 2004. 161, note B. Bouloc ; RSC 2004. 339, obs. E. Fortis ; RTD com. 2004. 380, obs. B. Bouloc.

■ Com. 15 juin 1999, n° 97-16.439 P, D. 1999. 197 ; Rev. sociétés 1999. 844, note D. Vatel ; RSC 2000. 629, obs. J. Riffault ; RTD com. 1999. 914, obs. N. Rontchevsky.

■ CJUE 5 mars 2015, n° C-343/13, D. 2015. 735 ; ibid. 1506, obs. C. Mascala ; ibid. 2401, obs. J.-C. Hallouin, E. Lamazerolles et A. Rabreau ; AJ pénal 2015. 493, obs. J. Lasserre Capdeville ; Rev. sociétés 2015. 677, note B. Lecourt ; RTD civ. 2015. 388, obs. H. Barbier.

■ Crim. 3 févr. 2016, n° 14-85.198 P.

 

 

Auteur :C. L.


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