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Droit des obligations
Garantie décennale du constructeur : précisions sur les caractères du vice
Seuls les vices indécelables à la réception par un maître d’ouvrage non-professionnel de la construction relèvent de la garantie décennale, laquelle couvre les dommages évolutifs résultant du vice originel de construction, à la condition qu’ils répondent au critère de gravité requis par la loi.
Civ. 3e, 14 sept. 2023, n° 22-13.858 B
En 2007, une SCI et un promoteur immobilier avaient entrepris, en qualité de maîtres d’ouvrage, la construction d’un ensemble immobilier comprenant cent cinquante logements. Les lots avaient été vendus en l’état futur d’achèvement et un syndicat des copropriétaires avait été constitué, une fois la résidence édifiée. À la réception des travaux, le 31 août 2009, le syndicat des copropriétaires, se plaignant de désordres affectant les installations d’eau chaude sanitaire, avait assigné les locateurs de l’ouvrage et leurs assureurs en indemnisation.
La cour d’appel de Versailles condamna l’ensemble des intervenants à l’opération de construction et leurs assureurs in solidum, au titre de la responsabilité de plein droit encourue par tout constructeur d’un ouvrage envers le maître ou l'acquéreur de cet ouvrage des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. L’un des assureurs appelés en garantie a formé un pourvoi en cassation, exposant à juste titre que seuls relèvent de la garantie décennale les désordres non apparents au maître d’ouvrage lors de la réception. Or selon le demandeur au pourvoi, le désordre apparent se définissant comme un vice de construction susceptible d’être décelé par un maître d’ouvrage normalement diligent, le désordre ayant en l’espèce affecté le circuit de distribution d’eau chaude sanitaire était bien décelable par les maîtres de l’ouvrage, et donc apparent, puisque sa manifestation concrète, à savoir un temps anormalement long pour obtenir de l’eau chaude, pouvait être observé dès le jour de la réception.
Le moyen est rejeté. La Cour juge que les maîtres de l'ouvrage, qui n'étaient pas des professionnels de la construction, n'avaient pu déceler, lors de la réception, le désordre tenant à la longueur anormale de la tuyauterie, bien qu’elle concède au demandeur au pourvoi que sa manifestation concrète aurait pu être décelée au jour de la réception. Elle confirme donc le caractère caché des désordres pour les maîtres de l'ouvrage profanes retenu par les juges versaillais.
La garantie décennale instaure une présomption de responsabilité pesant sur le constructeur pendant dix ans à compter de la réception des travaux (C. civ., art. 1792 et s.) Les désordres relèvent de la garantie décennale lorsque, cachés à la réception, ils compromettent la solidité de l’ouvrage, le rendent impropre à sa destination ou, par extension, compromettent la propre solidité de l’un de ses éléments d’équipement indissociables. L’action en réparation des vices de construction suppose la réunion de deux critères : le caractère occulte du vice, qui doit en outre présenter un certain seuil de gravité. La victime du désordre doit donc d’une part démontrer l’existence d’un vice caché à la réception ; comme le rappelle ici la Cour, seuls les vices de construction qui ne sont pas décelables par un non-professionnel de la construction au moment de la réception relèvent de la garantie décennale. D’autre part, le critère de gravité suppose d’établir que l’atteinte causée par l’apparition du désordre à la solidité de l’ouvrage compromet la pérennité de la construction ou l’ampute des utilités attendues, rendant l’ouvrage impropre à sa destination ou empêchant l’acquéreur ou le maître de l’ouvrage d’en retirer les utilités escomptées.
Au cœur de l’arrêt rapporté, le caractère caché du désordre s’apprécie, au jour de la réception, en la personne du maître de l’ouvrage. La Cour avait déjà eu l’occasion de préciser que c’est au regard du maître de l’ouvrage ayant signé le procès-verbal de réception qu’il y a lieu d’apprécier le caractère apparent ou occulte des désordres (Civ. 3e, 8 nov. 2005, n° 04-16.932 ; 10 nov. 2016, n° 15-24.379 ; 19 sept. 2019, n° 18-19.918 ; 14 janv. 2021, n° 19-21.130). Dans la ligne de cette jurisprudence devenue constante, la Cour de cassation précise dans le présent arrêt que cette appréciation, incombant aux juges du fond (Civ. 3e, 17 nov. 1993, n° 91-17.982 ; 3 mai 2001, n° 00-10.021), ne repose pas sur le critère de la compétence du maître de l’ouvrage mais sur celui, plus étroit, de sa spécialité (les maitres de l’ouvrage ne sont pas des « professionnels de la construction »). À l’effet de protéger les maîtres de l’ouvrage, la Cour juge en l’espèce que malgré la nature immobilière de la première société et l’activité de promoteur de la seconde, ces dernières ne revêtaient pas, au sens de la loi, la qualité de constructeur. Indécelable par ces non-professionnels de la construction, le désordre constaté, resté caché, relevait donc de la garantie décennale des constructeurs, dont le sous-traitant assuré par le demandeur au pourvoi. Par mansuétude envers les maîtres de l’ouvrage, auxquels la qualité de constructeur aurait pourtant pu être attribuée, la troisième chambre civile ajoute qu’il convient de distinguer l’origine du désordre de sa manifestation ; soulignant la nature « particulièrement technique » du vice pour des maîtres d’ouvrage profanes, elle ne tient pas compte de la possibilité pourtant non contestée de déceler, au jour de la réception des travaux, sa « manifestation concrète ».
La Cour fait ainsi preuve d’une grande latitude dans l’appréciation du caractère caché du vice de construction dont dépend la mise en œuvre de la garantie décennale. En ce sens, elle admet également depuis longtemps que même apparent à la réception, le défaut dont l’ampleur se manifeste dans le délai décennal peut relever du champ d’application de la responsabilité décennale du constructeur (Civ. 3e, 12 oct. 1994, n° 92-16.533 ; 21 sept. 2022, n° 21-16.402).
L’arrêt rapporté confirme une autre exception consacrée en faveur du maître de l’ouvrage : la couverture par la garantie constructeur du dommage dit évolutif, défini comme celui qui « né après l’expiration du délai décennal, trouve son siège dans l’ouvrage ou un désordre de même nature (…) présentant le caractère de gravité requis par l’article 1792 du Code civil et ayant fait l’objet d’une demande en réparation en justice pendant le délai décennal » (Civ. 3e, 4 oct. 2018, n° 17-23.190). Même non réalisé durant le délai, le désordre évolutif peut ainsi constituer un dommage de nature décennale lorsqu’il se présente comme la conséquence d’un désordre initial, dénoncé judiciairement dans le délai prévu, et qu’il remplit le critère de gravité requis par l’article 1792 du Code civil. L’extension de la garantie décennale à ce type de dommages permet en l’espèce de prendre en compte le risque de développement de légionelles consécutif au vice affectant le circuit de distribution de l’eau. Alors que le demandeur au pourvoi invoquait la nécessité de caractériser le caractère actuel et certain du désordre pour le faire relever de la garantie, la Cour admet que le simple risque sanitaire de légionellose imputable au réseau d'eau chaude et encouru par les occupants de l’ouvrage, du fait de sa gravité et malgré l’absence de cas avéré pendant le délai d’épreuve (de dix ans également), puisse caractériser à lui seul l'impropriété de l'ouvrage à sa destination, quand bien même la présence de légionelles n'avait pas été démontrée au cours de cette période, de sorte que ce risque devait également être garanti au titre de la responsabilité décennale incombant aux constructeurs.
Références :
■ Civ. 3e, 8 nov. 2005, n° 04-16.932 : RDI 2006. 52, obs. P. Malinvaud.
■ Civ. 3e, 10 nov. 2016, n° 15-24.379 P : D. 2016. 2400 ; RDI 2017. 34, obs. P. Malinvaud ; ibid. 144, obs. B. Boubli.
■ Civ. 3e, 19 sept. 2019, n° 18-19.918 : RDI 2019. 577, obs. P. Malinvaud.
■ Civ. 3e, 14 janv. 2021, n° 19-21.130 P : D. 2021. 135 ; RDI 2021. 156, obs. M. Poumarède.
■ Civ. 3e, 17 nov. 1993, n° 91-17.982 P : RDI 1994. 255, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.
■ Civ. 3e, 3 mai 2001, n° 00-10.021 : RDI 2001. 386, obs. D. Tomasin.
■ Civ. 3e, 12 oct. 1994, n° 92-16.533 P : RDI 1995. 106, obs. P. Malinvaud et B. Boubli ; ibid. 107, obs. P. Malinvaud et B. Boubli.
■ Civ. 3e, 21 sept. 2022, n° 21-16.402
■ Civ. 3e, 4 oct. 2018, n° 17-23.190 P : D. 2018. 1969 ; ibid. 2435, chron. A.-L. Collomp, V. Georget et L. Jariel.
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