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Droit des obligations
Garantie des vices cachés, défaut de conformité et manquement à l’obligation d’information : le non-cumul des actions
Ayant constaté que l'infestation parasitaire constituait un vice caché de la chose vendue, une cour d'appel en a exactement déduit que les demandes formées par l'acquéreur tant sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance que sur celui du manquement au devoir d'information ne pouvaient être accueillies.
Civ. 3e, 18 janv. 2023, n° 21-22.543 B
Le fondement de l’action de l’acquéreur d’un bien qui se révèle infesté par des termites est exclusivement celui de la garantie des vices cachés. C’est que vient de juger la Cour de cassation par un arrêt du 18 janvier dernier, rejetant la demande de l’acquéreur fondée sur le manquement aux obligations d’information et de délivrance conforme du vendeur.
En l’espèce, par acte du 12 avril 2010, une société a vendu à un couple un corps de bâtiment à réhabiliter en maison d'habitation. Constatant que la charpente était infestée de parasites, les acquéreurs ont assigné leur venderesse en indemnisation de leur préjudice sur le fondement de l'obligation de délivrance, ainsi que sur celui de l'obligation de conseil et d'information. La cour d’appel rejeta l’ensemble de ces demandes au motif que le désordre constaté ne pouvant être réparé que sur le terrain de la garantie des vices cachés. Les demandeurs au pourvoi soutenaient au contraire qu’ils étaient en droit d’agir, d’une part, sur le fondement de l’obligation de délivrance conforme, à laquelle leur venderesse avait manqué en leur cédant une maison d’habitation dont la fragilité du toit, menacé de ruine, caractérisait un défaut de conformité aux stipulations contractuelles ; d’autre part, ils estimaient pouvoir également agir en responsabilité pour manquement au devoir d’information incombant à leur cocontractante alors qu’en sa qualité de professionnel, cette dernière était tenue de les informer sur l’état du bien vendu et de les avertir des éventuelles difficultés dans son utilisation, notamment de la possible présence de termites.
Mais la Cour de cassation rejette le pourvoi, dès lors que la cour d'appel avait constaté que l'infestation parasitaire avait détruit les pièces principales de charpente et du solivage entraînant un risque d'effondrement et retenu qu'elle ne pouvait en conséquence constituer qu'un vice caché de la chose vendue. Elle en avait exactement déduit, sans être tenue de procéder à des recherches inopérantes, que les demandes formées tant sur le fondement du manquement à l'obligation de délivrance de la chose vendue que sur celui du manquement au devoir d'information ne pouvaient être accueillies, et ainsi légalement justifié sa décision.
Aux termes des articles 1641 et suivants du Code civil, le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur, informé de ces défauts, ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix. Le vice caché se définit comme un vice interne à la chose, suffisamment grave pour affecter son usage habituel. Un vice structurel, de conception ou de construction, non apparent au jour de la réception de la chose vendue et antérieur à la vente, c’est-à-dire au transfert des risques de la chose, indépendamment de la date de son apparition. En somme, un vice est couvert par la garantie du vendeur lorsqu’il est inhérent à la chose, caché, antérieur à la vente et non réparé.
En l’espèce, le désordre interne de construction affectant l’habitabilité de maison, que les acquéreurs n’auraient pas acquise s’ils en avaient eu connaissance, non perceptible au moment de la vente et antérieur à celle-ci, répondait à ces conditions. Ce désordre constituant un défaut de conformité de la chose vendue à sa destination normale « ne pouvait en conséquence constituer qu’un vice caché » ; exclusive, cette qualification ne permettait pas de retenir un manquement à l’obligation de délivrance, qui résulte d’un défaut de conformité de la chose vendue aux stipulations contractuelles, ni un manquement à l’obligation d’information et de conseil. Autrement dit, la caractérisation d’un vice caché excluait l’existence des manquements contractuels allégués.
Cette qualification exclusive explique ainsi le refus opposé à l’acheteur, insatisfait de son acquisition, d’un droit d’option entre les différentes actions à sa disposition. En effet, la Cour de cassation affirme depuis longtemps l’exclusivité d’application de l’action en garantie des vices cachés dans le cas où la victime du vice caché entend également se prévaloir d’un manquement du vendeur à l’obligation de délivrance (Civ. 1re, 8 déc. 1993, n° 91-19.627) ou d’une erreur commise sur la substance du contrat (Civ. 1re, 14 mai 1996, n° 94-13.921 ; Civ. 3e, 7 juin 2010, n° 98-18.966). Ce principe de non-cumul des actions trouve une première justification technique dans la fameuse maxime specialia generalibus derogant, dont l’application conduit, lorsque la règle spéciale (vice caché) déroge à la règle générale (défaut de conformité ou manquement à l’obligation d’information), à faire prévaloir la première sur la seconde. Le principe se fonde également sur le respect des règles de la prescription : il s’agit, en déniant à l’acheteur insatisfait la liberté de choisir le fondement de son action, de le sanctionner pour avoir, comme dans toutes les affaires précitées, laisser expirer le bref délai de l’action en garantie des vices cachés ou du moins, de ne pas lui offrir la voie d’un « rattrapage », sur le terrain du droit commun, qui lui permettrait de bénéficier du délai quinquennal de droit commun.
Cependant, la même rigueur n’est pas appliquée au dol, même dans l’hypothèse où l’acquéreur aurait laissé passer le bref délai. La Cour admet par exception à la règle du non-cumul des actions que l’action en garantie des vices cachés n’exclut pas celle en nullité pour dol (Civ. 1re, 6 nov. 2002, n° 00-10.192 ; Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-18.104 : « l’action en garantie à raison des vices cachés de la chose vendue n’est pas exclusive de l’action en responsabilité délictuelle fondée sur le dol ou la réticence dolosive commis avant ou lors de la conclusion du contrat »). Cette divergence de solutions, principalement avec cet autre vice du consentement que constitue l’erreur sur la substance du contrat, s’explique difficilement à l’aune de la maxime specialia… de même qu’avec la volonté implicite des magistrats de priver l’acquéreur de la possibilité d’exercer une action sur le fondement du droit commun pour contourner l’impossibilité dans laquelle il se trouve d’exercer l’action en garantie des vices cachés lorsque celle-ci est prescrite en raison de l’application du délai de deux ans. Sans doute est-ce la double nature du dol, à la fois vice du consentement et délit civil, qui justifie que l’auteur d’une faute intentionnelle ne reste pas impuni malgré l’expiration du délai.
L’arrêt rapporté apporte toutefois cette précision importante : le cumul d’actions offert à l’acheteur victime de réticence dolosive ne s’étend pas au cas où le défaut d’information de son cocontractant n’est pas dolosif : pour la première fois à notre connaissance, la Cour de cassation affirme son refus de cumul des actions en garantie des vices cachés et en responsabilité contractuelle pour manquement du vendeur à son obligation légale d’information (C. civ., art. 1602, al. 1er), ce qui conduit à conférer au refus des concours d’actions la valeur d’un principe prétorien général dont la seule dérogation admise résiderait dans l’action en nullité du contrat pour dol, à laquelle s’ajoutent, sur le plan légal, certaines dispositions de droit spécial admettant le cumul d’actions dès l’instant que les conditions de chacune d’elles sont réunies (v. C. civ., art. 1245, sur la responsabilité des produits défectueux ; C. consom., art. L. 217-13, sur l’action en garantie de conformité des consommateurs).
Références :
■ Civ. 1re, 8 déc.1993, n° 91-19.627 P : D. 1994. 212 ; ibid. 115, chron. A. Bénabent ; ibid. 239, obs. O. Tournafond.
■ Civ. 1re, 14 mai 1996, n° 94-13.921 P : D. 1998. 305, note F. Jault-Seseke ; ibid. 1997. 345, obs. O. Tournafond ; RTD com. 1997. 134, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 3e, 7 juin 2010, n° 98-18.966 : D. 2002. 1002, obs. O. Tournafond ; AJDI 2000. 849.
■ Civ. 1re, 6 nov. 2002, n° 00-10.192 P : D. 2002. 3190, et les obs. ; RTD com. 2003. 358, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 3e, 23 sept. 2020, n° 19-18.104 P : D. 2020. 1888 ; AJDI 2021. 467, obs. G. Trédez ; RTD civ. 2020. 879, obs. H. Barbier.
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