Actualité > À la une
À la une

Droit des obligations
Garantie d’éviction des servitudes non apparentes : la clause « de prise en l’état » ne suffit pas à exonérer le vendeur
La clause stipulant, au titre de l’état du bien, que l’acquéreur prendra celui-ci dans l’état où il se trouve au jour de la vente et n’aura aucun recours contre le vendeur, pour quelque cause que ce soit, n’exclut pas expressément la garantie des servitudes non apparentes non déclarées du vendeur.
Civ. 3e, 13 févr. 2025, n° 23.17.636
Par acte authentique du 4 juillet 2017, un couple de nu-propriétaires et l’usufruitier d’un immeuble à usage d’habitation cèdent le bien à une acheteuse qui découvre après la vente, sous l'habitation, la présence jusqu’alors occulte d'un réseau d'évacuation des eaux usées, non signalé dans l'acte de vente. Se prévalant d’une servitude non apparente, l’acheteuse assigne les vendeurs en résolution de la vente et paiement de dommages-intérêts, au titre de la garantie des charges non déclarées. Rappelons que le vendeur est tenu, au titre de la garantie d'éviction, des servitudes non apparentes (articles 1626 et 1638 C. civ.). En effet, à l’éviction partielle justifiant la garantie du vendeur en raison des troubles de droit causés à l’acheteur par un tiers, par exemple lorsqu’un tiers revendique une partie seulement du terrain vendu, l’article 1626 du Code civil, qui fonde le principe général de la garantie d’éviction du vendeur, assimile la découverte de charges non déclarées à l’acheteur par le vendeur à la date de conclusion du contrat. La sanction, expressément prévue à l’article 1638 du Code, consiste dans la résiliation de la vente ou l'indemnisation du préjudice subi (qui ne se confond pas avec la diminution de la valeur du bien - Civ. 3e, 6 juill. 2023., n° 22-13.179). Cette intégration des charges non déclarées lors de la vente au champ d’application de la garantie d’éviction vise à protéger l'acquéreur contre les droits que des tiers peuvent avoir ou revendiquer sur le bien cédé. L’hypothèse est celle d’une prétention juridique émanant d’un droit du tiers sur la chose vendue – en l’espèce, la servitude d’écoulement des eaux usées – susceptible d’amputer les prérogatives de l’acheteur sur la chose en en diminuant la jouissance. La garantie contre les charges occultes constitue ainsi une déclinaison du principe général de la garantie du vendeur contre l'éviction, dont l'obligation légale est d'assurer à l'acquéreur la possession paisible de la chose vendue. L’acheteuse en demandait ici l’application, en l’absence de déclaration lors de la vente du réseau d’évacuation litigieux. La cour d’appel rejette pourtant sa demande, en considération de la fameuse clause de la "prise en l'état" du bien vendu stipulée dans les ventes immobilières, par laquelle l'acquéreur s’engage à prendre le bien dans l'état où il se trouve au jour de la vente et à n’exercer aucun recours contre le vendeur, même en cas de vices apparents de construction ou de vices cachés du bien cédé. Les juges du fond considèrent qu’en l’espèce, la clause élusive de garantie, en raison de l’étendue que ses termes lui confèrent (« pour quelque cause que ce soit »), couvre les charges occultes, ce qui justifie d’exonérer les vendeurs de leur garantie contre la servitude non apparente dénoncée par l’acheteur. Il est vrai qu’à l’inverse de la garantie du fait personnel, d’ordre public, la garantie supplétive du fait des tiers rend par principe valables les clauses limitatives ou élusives de la garantie d’éviction (C. civ., art. 1627), du moins sur le terrain indemnitaire (et non sur celui de la restitution du prix, C. civ. art. 1629). Sans remettre en cause la validité de la clause litigieuse, l’acheteuse rappelle devant la Cour de cassation la nécessité d’en délimiter l’objet : s’appuyant sur la ratio legis du texte de l’article 1638, qui vise à protéger l’acheteur contre les droits détenus et susceptibles d’être exercés par un tiers, et dont l’objet ne porte donc pas sur l’état du bien, la clause de prise en l'état ne dispense pas les vendeurs de garantir l’acheteur contre l'existence d'une servitude non apparente grevant le bien au préjudice de son droit de jouissance. L’argument emporte l’adhésion de la Cour de cassation qui juge que la clause litigieuse, « propre à l'état du bien, n'excluait pas expressément la garantie des servitudes non apparentes non déclarées ».
Ambigu, l’attendu permet de retenir deux interprétations : soit la clause de la vente "en l'état" doit par principe et de façon générale s’interpréter comme ne couvrant que "l'état du bien" et non les servitudes occultes, en sorte que le vendeur ne pourrait en aucun cas se prévaloir de cette clause pour échapper à sa garantie ; soit l’exclusion de la garantie se trouve-t-elle, sur un plan formel, simplement soumise à l’exigence de son caractère exprès, en sorte que seule une clause excluant "expressément" la garantie des servitudes non apparentes non déclarées remplirait les conditions prévues à l'article 1627 du Code civil. Sans doute privilégiée par la Cour, cette dernière interprétation conduit à refuser au vendeur le droit de s’exonérer uniquement dans le cas où la clause est formulée dans des termes dont l’excès de généralité rend imprécise et donc incertaine l’exclusion de la garantie. Il s’agirait là d’une simple clause de style impropre à écarter la garantie du vendeur, invitant ce dernier à parfaire la rédaction des clauses élusives de sa garantie.
Il faudra donc patienter un peu pour que la Cour de cassation clarifie une solution dont la portée reste incertaine.
Référence :
■ Civ. 3e, 6 juill. 2023., n° 22-13.179 : D. 2023. 1310
Autres À la une
-
Libertés fondamentales - droits de l'homme
[ 25 mars 2025 ]
La robe d’avocat et rien d’autre !
-
Droit des obligations
[ 21 mars 2025 ]
Procès civil : la preuve déloyale n’est pas systématiquement admise
-
Droit des obligations
[ 20 mars 2025 ]
VEFA : confirmation de l’exclusion de la responsabilité contractuelle en cas de désordre apparent
-
Procédure pénale
[ 19 mars 2025 ]
Usage de la force létale par la police et droit à la vie
-
Droit des obligations
[ 18 mars 2025 ]
Interdépendance contractuelle : le subjectivisme retenu
- >> Toutes les actualités À la une