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Droit des obligations
Garantie d’éviction du fait d’un tiers : rappel des conditions
La garantie d'éviction du fait d'un tiers est due si le trouble subi par l'acheteur est un trouble de droit, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l'acheteur.
Le 21 février 1996, une société financière avait vendu à un syndicat de propriétaires de lotissements quinze parcelles sur lesquelles avait été édifié un certain nombre d’ouvrages et d’équipements. Un arrêt du 29 novembre 2001, rendu à l’appui d’une expertise réalisée le 16 mai 1995, avait constaté que l'assise foncière du lotissement nécessitait la passation de divers actes et qu'il existait une emprise des équipements édifiés sur la propriété foncière appartenant à une famille. Après que celle-ci eut assigné le syndicat en réparation de son préjudice, lié à l’empiétement réalisé sur leur propriété, le syndicat avait appelé la société venderesse en garantie d’éviction du fait des tiers. La cour d’appel rejeta sa demande, ce que confirme la troisième chambre civile de la Cour de cassation : après avoir rappelé que la garantie d'éviction du fait d'un tiers n’est due que si le trouble subi par l'acheteur est un trouble de droit, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l'acheteur, elle déduit des énonciations des juges du fond, ayant relevé qu'un rapport d'expertise, mentionnant l'implantation des ouvrages et des équipements sur la propriété litigieuse, sans que des autorisations et servitudes correspondantes aient été formalisées ou transcrites, avait été annexé à l'acte de vente, que celle-ci était intervenue durant une instance à laquelle l’acheteur et la venderesse étaient parties et que, les risques de trouble possessoire existant du fait du litige étant connus de l'acheteur et acceptés par lui, ils lui avaient été transférés, la demande en garantie devait, en conséquence, être rejetée.
Aux termes de l’article 1625 du Code civil, la garantie que le vendeur doit à l’acquéreur a pour premier objet la possession paisible de la chose vendue. Ce que l’on nomme traditionnellement la garantie d’éviction a pour but de prolonger l’obligation de délivrance incombant au vendeur pour offrir à l’acheteur, une fois cette obligation exécutée, la promesse de sa continuité en lui assurant une tranquille possession de la chose acquise.
Si l’éviction peut émaner du vendeur lui-même (garantie du fait personnel), elle peut également, comme en témoigne la décision rapportée, provenir d’un tiers. Conformément à la logique de la garantie, le vendeur est en effet tenu de garantir l’acheteur contre les troubles émanant d’autres personnes que lui. L’idée également défendue est que si des tiers prétendent avoir des droits sur la chose vendue, c’est probablement parce que le vendeur a cédé un droit qu’il ne détenait pas, un tiers en étant préalablement titulaire. D’où sa mise en cause au titre de la garantie d’éviction.
Ceci explique que la garantie du vendeur ne puisse jouer que pour des troubles de droit, à l’exclusion des troubles de fait. En effet, si le vendeur est légitimement garant du droit qu’il a transmis à l’acheteur et ainsi tenu de le défendre contre une prétention juridique émanant d’un tiers susceptible d’entraver sa jouissance paisible du bien qu’il a acquis de lui, il n’a pas, en revanche, à le garantir contre les troubles factuels que l’acheteur peut, seul, faire cesser.
Cela explique également la condition d’antériorité à la vente de la cause de l’éviction. Pour que la garantie d’éviction du fait d’un tiers puisse être mise en œuvre, le vendeur doit en effet avoir transmis à tort un droit dont il n’était pas titulaire au jour du transfert ; il n’a donc pas à garantir les évictions dont la cause, postérieure à la vente, le rend étranger au trouble créé.
Une autre condition, ici rappelée, à la mise en œuvre de la garantie du vendeur et qui, en réalité, est double, réside dans la découverte de charges non déclarées par le vendeur au moment de la conclusion du contrat (que l’art. 1626 C. civ. assimile à l’éviction partielle), et de l’ignorance de celles-ci par l’acheteur. L’hypothèse est celle d’une prétention juridique émanant d’un tiers susceptible d’amoindrir les prérogatives de l’acheteur sur son bien en en entravant la jouissance (par exemple une servitude, ou bien encore un usufruit). Si l’acheteur en avait connaissance au moment de la vente, il convient logiquement de considérer qu’il a acheté en connaissance de cause. Partant, il ne sera pas en droit de faire jouer la garantie de son vendeur. C’était précisément l’hypothèse de l’espèce. La vente conclue avait constitué une cession de droits litigieux pour ce qui concernait l’implantation des ouvrages et des équipements que le rapport d’expertise, annexé à l’acte de vente, désignait comme étant implantés sur la propriété de tiers. De surcroît, la vente avait été conclue durant l’instance que la famille propriétaire de la propriété avait engagée contre l’acquéreur, en sorte que les risques de trouble possessoire que ce dernier encourrait, nés du fait même du litige, étaient nécessairement connus de lui.
La jurisprudence continue donc d’exiger « un trouble de droit, existant au moment de la vente, non déclaré et ignoré de l’acheteur » (V. déjà Civ. 1re, 28 oct. 2015, n° 14-15.114). Une difficulté peut cependant naître lorsque la cause de l’éviction, antérieure à la vente, se révèle après sa conclusion, par exemple dans le cas d’une prescription acquisitive ayant débuté avant la vente et étant efficacement poursuivie, après. On considère alors généralement, dans ce cas, que le vendeur n’a pas à être tenu à garantie dès lors que l’acheteur avait la possibilité d’agir par et pour lui-même après la vente, par exemple en faisant en sorte d’interrompre la prescription (V. P. Puig, Contrats spéciaux, Hypercours, n° 438, p. 403).
Civ. 3e, 24 mai 2018, n° 17-12.760
Références
■ Fiche orientation Dalloz: Garantie d’éviction
■ Civ. 1re, 28 oct. 2015, n° 14-15.114 P : D. 2015. 2248 ; AJDI 2016. 526, obs. A. Delmotte.
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