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[ 28 septembre 2021 ] Imprimer

Droit des obligations

Garantie d’éviction : le gel de l’usucapion

Tenu de garantir l’acquéreur d’un terrain contre toute éviction résultant de son fait personnel, telle la possession trentenaire, le vendeur ne peut l’évincer en invoquant la prescription acquisitive pour se voir reconnaître propriétaire du terrain qu’il a vendu mais dont il est resté possesseur, l’acquéreur étant toujours recevable, dans ce cas, à lui opposer l’exception de garantie, qui est perpétuelle.

Civ. 3e, 30 juin 2021, n° 20-14.743

Le 12 mai 1983, deux personnes avaient vendu un terrain. Le 29 janvier 2010, l’acquéreur de ce terrain en avait revendu une parcelle. L’un des vendeurs originaires étant resté possesseur dudit terrain plus de trente ans, il avait, arguant de la prescription acquisitive (usucapion), assigné en revendication son cocontractant, l’acquéreur originaire de 1983, ainsi qu’un sous-acquéreur du bien cédé, à l’effet de se voir restituer la parcelle cédée.

La Cour d’appel rejeta sa demande au motif qu’en sa qualité de vendeur, son obligation de garantir l’acquéreur contre une éviction résultant de son fait personnel faisait obstacle au jeu de l’usucapion dont il prétendait pouvoir bénéficier. Devant la Cour de cassation, le vendeur argua alors du motif d’intérêt général tiré de la sécurité juridique attachée à l’usucapion. Les Hauts magistrats devaient donc répondre à la question de savoir si l’usucapion relève d’un motif d’intérêt général de sécurité juridique justifiant qu’un vendeur puisse bénéficier de ce mécanisme au détriment de la garantie d’éviction du fait personnel due à l’acquéreur et du sous-acquéreur de l’immeuble cédé.

À cette question, la Cour de cassation répond par la négative et juge que la cour d’appel a fait une exacte application des articles 1626 et 1628 du Code civil, dont il résulte que le vendeur est tenu de l’obligation de garantir l’acquéreur d’un terrain contre toute éviction résultant de son fait personnel à laquelle aboutit l’usucapion, mode d’acquisition de la propriété par l’effet d’une possession trentenaire. Partant, le vendeur ne peut évincer l’acquéreur en invoquant ce mode de prescription acquisitive pour se voir reconnaître propriétaire du bien cédé dont il est resté possesseur durant le temps légalement prévu. En effet, dans un tel cas, l’acquéreur est toujours recevable à lui opposer l’exception perpétuelle de garantie d’éviction du fait personnel qui lui est due.

■ Le rappel de la règle de perpétuité de l’exception de garantie du fait personnel

Se voit ici rappelée une solution ancienne et constante selon laquelle la garantie d’éviction s’oppose à l’usucapion, mode d’acquisition de la propriété contraire à la règle selon laquelle « qui doit garantie ne peut évincer » (C. civ., art. 1626 et 1628), interdisant ainsi au vendeur de s’en prévaloir contre l’acquéreur de l’immeuble cédé. Cette règle est complétée par celle tirée de la perpétuité de l’exception de garantie que l’acquéreur, ainsi que tous ses ayants cause, à titre particulier ou universels, peuvent opposer au vendeur originaire de même qu’à tous ceux lui ayant éventuellement succédé dans l’obligation de garantie, pour faire échec au jeu de l’usucapion (Civ. 13 mai 1912; Civ. 3e, 20 oct. 1981, n° 80-10.660; Civ. 3e, 13 juill. 2010, n° 09-13.472).

Fondée sur la règle quae temporalia sunt ad agendum perpetua sunt ad excipiendum » (l’action est temporaire, l’exception est perpétuelle), la perpétuité de l’exception de garantie a pour but d’écarter le risque de prescription de l’action en garantie de l’acquéreur : en effet, alors que « les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans […] » (C. civ., art. 2227), celles « personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans […] » (C. civ., art. 2224). Or si tel qu’en l’espèce, le vendeur, resté possesseur de l’immeuble pendant au moins trente ans, bénéficie de la prescription acquisitive et que l’acquéreur, quant à lui, voit son action en garantie éteinte par le jeu de la prescription extinctive quinquennale de droit commun, la combinaison de ces deux mécanismes prescriptifs reviendrait à ce que le vendeur de l’immeuble, ainsi libéré de son obligation de garantie, puisse faire jouer l’usucapion à son profit et au détriment des droits de l’acquéreur. Pour paralyser cet effet, qui évincerait l’acquéreur, la Cour de cassation considère que face à la possession trentenaire du vendeur d’immeuble, l’exception de garantie de l’acquéreur est toujours perpétuelle. Autrement dit, si tel qu’en l’espèce, l’acquéreur ne peut faire obstacle à l’usucapion du vendeur par voie d’action en raison de sa prescription, il peut toujours le faire par voie d’exception.

■ L’affirmation du caractère insignifiant du but d’intérêt général de l’usucapion

En réfutant la thèse du pourvoi, qui s’inspirait des critiques émises par certains commentateurs de cette règle prétorienne (v. B. Audit, note ss. Civ. 3e, 20 oct. 1981, n° 80-10.660; Civ. 13 mai 1912), la Cour juge insignifiant le but d’intérêt général de sécurité juridique attaché à l’usucapion, laquelle ne peut tenir en échec la règle précédemment rappelée selon laquelle le vendeur ne peut évincer l’acquéreur en invoquant sa possession trentenaire. 

L’indifférence affichée à l’intérêt social de l’usucapion est contestable. Sans nuance, cette ignorance volontaire confère à la règle de perpétuité de l’exception de garantie une valeur absolue alors qu’elle devrait être, pour deux raisons, relative. 

D’une part, eu égard à l’obligation de la garantie d’éviction, l’argument de la ratio legis justifie d’accueillir, au moins en partie, l’argument tiré de l’intérêt général de l’usucapion.

En effet, le but de cette obligation légale de garantie réside dans l’interdiction faite au vendeur, au nom de la bonne foi contractuelle, de troubler son acheteur par un comportement dolosif ou frauduleux visant à lui soustraire le bien cédé ou à affaiblir son droit acquis d’en tirer tous les avantages escomptés (P. A. Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du code civil, t. XIV, Paris ; H. Roland et L. Boyer, Adages du droit Français, 4e éd., Litec, 1999. 360, p. 720). Or réserver dans une certaine mesure une place au jeu de l’usucapion ne contreviendrait pas au respect de cette finalité, originellement limitée à lutter contre la mauvaise foi du vendeur.

D’autre part, en droit commun contractuel, la perpétuité attachée à la voie de l’exception n’est pas absolue.

Ainsi, appliquée à la nullité du contrat, elle trouve sa limite en cas de commencement d’exécution : interprétée comme une confirmation du contrat (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Droit civil. Les obligations, 12e éd., Dalloz, 2018, n° 568, p. 640), cette simple ébauche d’exécution ne permet plus d’invoquer l’exception de nullité (C. civ., art. 1185 ; Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-19.481). Appliqué à l’obligation de garantie, ne conviendrait-il pas, par analogie, d’écarter l’exception de garantie lorsque l’acquéreur confirme l’usucapion par son inaction, et laisser ainsi jouer l’usucapion au profit du vendeur ? (G. Tamwa Talla, « Usucapion et garantie du fait personnel du vendeur : incompatibilité ? » ? Dalloz actualité, 9 sept. 2021). Si l’on convient de la limiter au cas de celui qui, par son inertie, laisse prescrire, cette extension serait non seulement légitime mais également légale, la loi présumant dans certaines hypothèses « que celui qui a le titre a voulu perdre, remettre ou aliéner ce qu’il a laissé prescrire » (P. A. Fenet, op. cit., t. XV, Présentation du titre XX du livre III du projet du code civil sur la prescription par Bigot-Préameneu, p. 575).

Autrement dit, l’exception de garantie devrait être écartée en cas d’inertie de l’acquéreur en ce qu’elle traduit, sinon sa volonté d’aliénation, du moins sa confirmation de l’usucapion.

Cette conclusion s’impose : en effet, la prescription extinctive ne courant à l’égard de son action en garantie qu’à compter de l’éviction (C. civ., art. 2233) et donc, pour ce qui nous concerne, de l’usucapion, rappelons que celle-ci ne prend effet qu’au bout de trente ans. Or si l’acquéreur, outre l’usucapion qui justifie son éviction, laisse néanmoins son action en garantie s’éteindre par l’effet de la prescription extinctive quinquennale, son inaction ne peut être interprétée que comme une confirmation de l’usucapion, de même que dans le cas de l’exception de nullité, dont la perpétuité s’arrête là où commence l’exécution du contrat, considérée comme une confirmation de ce contrat.

Au moins dans cette hypothèse, le vendeur devrait donc être autorisé à bénéficier de l’usucapion ce que, pour l’heure, la Cour de cassation n’a cependant pas admis, confirmant ici son choix radical de priver en toute hypothèse le vendeur de la possibilité de prescrire au nom de son obligation de garantie du fait personnel.

Références :

■ Civ. 13 mai 1912: DP 1913. I. 143 ; S. 1912. I. 94

■ Civ. 3e, 20 oct. 1981, n° 80-10.660 P: D. 1982. IR 531, obs. crit. B. Audit

■ Civ. 3e, 13 juill. 2010, n° 09-13.472 P: JCP N 2010.1340, note Le Gallou

■ Civ. 1re, 12 nov. 2020, n° 19-19.481 P: D. 2020. 2287


 

Auteur :Merryl Hervieu


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