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[ 11 février 2019 ] Imprimer

Procédure pénale

Garde à vue : application dans le temps des jurisprudences Salduz et Dayanan

L’exigence de prévisibilité de la loi et l’objectif de bonne administration de la justice font obstacle à l’annulation d’auditions réalisées en juin 1999, sans que la personne gardée à vue ait été assistée d’un avocat pendant leur déroulement ou sans qu’elle se soit vue notifier le droit de se taire.

Après le rachat et la gestion d’une école privée hors contrat par l’église de scientologie, une information judiciaire fut ouverte et plusieurs personnes furent mises en examen. Le juge d’instruction rendit une ordonnance de non-lieu partiel le 16 octobre 2012, dont deux parties civiles interjetèrent appel. La chambre de l’instruction ordonna alors un supplément d’information aux fins, notamment, de mettre en examen pour tromperie, pratique commerciale trompeuse, travail dissimulé, complicité d’abus de biens sociaux et recel, la responsable de la pédagogie, Mme X., et le chargé de recrutement du personnel, de la communication et de l’éthique de l’établissement, M. Y. Effectivement mis en examen les 28 novembre et 3 décembre 2014, ces deux individus présentèrent, le 19 mai 2015, une requête en annulation notamment des procès-verbaux d’audition en garde à vue établis les 15, 16 et 17 juin 1999 sans que leur fût notifié leur droit de se taire et de bénéficier de l’assistance d’un avocat. La cour d’appel de Paris refusa de prononcer l’annulation. S’appuyant sur un arrêt du 12 février 2014 (no 12-84.500) approuvant le rejet par une chambre de l’instruction du grief tiré de l’irrégularité d’une garde à vue mise en œuvre en application de la loi ancienne, elle estima que les déclarations en garde à vue n’avaient pas constitué le support de la mise en examen.   

Statuant sur le pourvoi formé par les mis en cause, la chambre criminelle juge inopérants les moyens tirés de l’irrégularité de leur garde à vue. Ce faisant, elle précise, pour les encadrer, les effets dans le temps de l’inconventionnalité du droit antérieur. 

Partant des arrêts du 15 avril 2011 par lesquels l’assemblée plénière a imposé l’application immédiate de la jurisprudence européenne, en estimant que « les États adhérents à la Convention européenne des droits de l’homme [étaient] tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l'homme, sans attendre d'être attaqués devant elle ni d'avoir modifié leur législation », la Haute Cour rappelle qu’« aux termes des arrêts Salduz c/ Turquie et Dayanan c/ Turquie, rendus les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009 […], la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, pour que le droit à un procès équitable, consacré par l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, soit effectif et concret, il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ». Cependant, elle choisit de faire prévaloir « l’exigence de prévisibilité de loi et l’objectif de bonne administration de la justice » pour décider qu’« en l’absence, à la date des mesures critiquées, de jurisprudence établie ayant déduit de l’article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme le droit pour la personne gardée à vue d’être assistée par un avocat lors de ses auditions et l’obligation de lui notifier le droit de garder le silence », celles-ci ne doivent pas être annulées. On comprendra que, pour des auditions réalisées en 1999, à une époque où la jurisprudence européenne n’exigeait pas l’intervention systématique de l’avocat en garde à vue (V. les arrêts Imbrioscia c/ Suisse de 1993 et John Murray c/ Royaume-Uni de 1996), la chambre criminelle fasse primer la sécurité juridique, en refusant l’annulation. 

Au demeurant la Haute Cour précise qu’« il résulte toutefois des stipulations de l’article précité de ladite Convention que les déclarations incriminantes faites lors de ces auditions ne peuvent, sans que soit portée une atteinte irrémédiable aux droits de la défense, fonder une décision de renvoi devant la juridiction de jugement ou une déclaration de culpabilité ». Ainsi, les auditions litigieuses se trouvent de fait neutralisées, en ce qu’elles ne sauraient emporter à elles-seules la décision de renvoi ou celle sur la culpabilité (ce qui correspond peu ou prou au contenu du dernier alinéa de l’article préliminaire du C. pr. pén., issu de la loi de la loi n° 2011-392 du 14 avr. 2011 portant réforme de la garde à vue : « en matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elles a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui »). 

On signalera que les deuxième et troisième moyens, qui demandaient l’annulation des mises en examen (celle des deux mis en cause et celle de plusieurs personnes morales, dont l’église de scientologie d’Ile-de-France) prononcées par le juge d’instruction saisi à cette fin d’un supplément d’information (V. C. pr. pén., art. 204), sont eux-mêmes écartés, ce qui conduit au rejet des pourvois. Sur ce point, la chambre criminelle précise qu’« est irrecevable la requête aux fins d’annulation d’une mise en examen présentée, comme en l’espèce, sur le fondement de l’article 80-1, alinéa 1er, du code de procédure pénale […] lorsque le juge d’instruction a procédé à cette mise en examen en exécution d’un arrêt de la(dite) chambre (de l’instruction) ordonnant un supplément d’information ». Elle ajoute que « cette irrecevabilité ne porte (pas) une atteinte disproportionnée au droit à un recours juridictionnel effectif, la personne mise en examen ne pouvant être renvoyée devant la juridiction de jugement qu’après avoir bénéficié d’un débat contradictoire devant la chambre de l’instruction sur les charges retenues contre elle » (le supplément d’information achevé, le dossier est en effet renvoyé à la chambre de l’instruction qui en apprécie de nouveau tous les éléments dont l’existence des charges). 

Crim. 11 déc. 2018, no 18-82.854

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Garde à vue (Conditions) ; Garde à vue (Garanties)

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 6, § 1

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

■ Cass., ass. plén., 15 avr. 2011 [4 arrêts], n° 10-17.049 P : Dalloz actualité, 19 avr. 2011, obs. S. Lavric ; D. 2011. 1080, et les obs. ; ibid. 1128, entretien G. Roujou de Boubée ; ibid. 1713, obs. V. Bernaud et L. Gay  AJ pénal 2011. 311, obs. C. Mauro ; Constitutions 2011. 326, obs. A. Levade ; RSC 2011. 410, obs. A. Giudicelli ; RTD civ. 2011. 725, obs. J.-P. Marguénaud

■ Crim. 12 févr. 2014, no 12-84.500 P : Dalloz actualité, 6 mars 2014, obs. S. Fucini

■ CEDH 24 nov. 1993, Imbrioscia c/ Suisse, n° 13972/88 : RSC 1994. 144, obs. L.-E. Pettiti ; ibid. 1994. 362, obs. R. Koering-Joulin

■ CEDH, gr. ch., 8 févr. 1996, John Murray c/ Royaume-Uni, n° 18731/91 :  RSC 1997. 476, obs. R. Koering-Joulin

■ CEDH, gr. ch., 27 nov. 2008, Salduz c/ Turquie, n° 36391/02: AJDA 2009. 872, chron. J.-F. Flauss

■ CEDH 13 oct. 2009, Dayanan c/ Turquie, n° 7377/03: D. 2009. 2897, note J.-F. Renucci ; AJ pénal 2010. 27, étude C. Saas ; RSC 2010. 231, obs. D. Roets

■ Rép. pén. Dalloz, vo Convention européenne des droits de l’homme : jurisprudence de la cour européenne des droits de l’homme en matière pénale, par P. Dourneau-Josette, no 486 s.   

■ Rép. pén. Dalloz, vo Chambre de l’instruction, par Ph. Belloir, n° 253 s. 

 

■ Rép. pén. Dalloz, vo Instruction préparatoire, par C. Guéry, n° 619

 

 

Auteur :Sabrina Lavric


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