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[ 8 novembre 2016 ] Imprimer

Procédure pénale

Garde à vue : conformité du droit français au droit européen

Mots-clefs : Garde à vue, Droit français, Droit européenne, Conformité, Fraude, Procédure pénale, Information, Accès au dossier

Par un arrêt FS-P+B+I du 4 octobre 2016, la chambre criminelle affirme la conformité du droit français au droit européen en matière d’informations délivrées au gardé à vue et d’accès au dossier.

Le 24 février 2014, le procureur de la République près le TGI de Paris fut saisi par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de la procédure d’infraction menée après signalement par l’Autorité des marchés financiers de pratiques illégales imputables à la société Aristophil, dont l’activité consistait dans la vente d’écrits précieux à des investisseurs, sous la forme de parts d’indivision. Ladite procédure mettait en évidence des méthodes de vente susceptibles de constituer des pratiques commerciales trompeuses, des manquements en matière de facturation et s’interrogeait sur l’existence d’une escroquerie sous forme d’une « pyramide de Ponzi ». Le 27 mars 2014, le procureur sollicita de la part de la DGCCRF la poursuite de l’enquête, laquelle fut ensuite confiée à la brigade de répression de la délinquance économique (BRDE) qui était d’ores et déjà saisie de la plainte d’un particulier. Le 3 mars 2015, plusieurs personnes, dont M. J.-J. X., avocat et professeur agrégé des facultés de droit, furent placées en garde à vue. Le 5 mars 2015, une information judiciaire fut ouverte pour pratiques commerciales trompeuses, escroqueries en bande organisée, abus de biens sociaux au préjudice de la société Aristophil, abus de confiance au préjudice des filiales de cette société, présentation de comptes infidèles et blanchiment en bande organisée. Convoqué en vue de sa mise en examen pour complicité de pratiques commerciales trompeuses, M. X. fut placé sous le statut de témoin assisté. Il déposa une requête en annulation de pièces de la procédure, qui fut rejetée par la chambre de l’instruction. Il forma alors un pourvoi en cassation. 

Sur la garde à vue (2e et 3e moyen) en particulier, il soutenait qu’il n’avait pas été informé des faits à l’origine de cette mesure, et ce en méconnaissance des articles 6 de la directive 2012/13/UE et 5, § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, et que son avocat n’avait pas pu accéder aux documents essentiels à sa défense, en violation cette fois des articles 7 de la directive précitée et 6, § 3 de la Convention européenne. 

La chambre criminelle, dans son arrêt du 4 octobre 2016 promis à large diffusion (P+B+I), rejette ces deux moyens (et le pourvoi), estimant que la chambre de l’instruction a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles et du droit de l’Union invoquées. 

Plus précisément, sur le premier moyen (information sur les charges), la Haute Cour rappelle la finalité des dispositions invoquées : celles de l’article 5, § 2 « ont pour seul objet d’aviser la personne arrêtée des raisons de sa privation de liberté afin qu’elle puisse en discuter la légalité devant un tribunal » tandis que « l’article 6 de la directive du 22 mai 2012, dont le préambule précise qu’elle s’appuie sur les droits énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en développant les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, prescrit aux États membres de veiller à ce que les personnes arrêtées soient informées de l’acte pénalement sanctionné qu’elles sont soupçonnées d’avoir commis mais précise que les informations détaillées sur l’accusation, notamment sur la nature de leur participation, doivent être communiquées au plus tard au moment où la juridiction est appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation et non pas nécessairement dès le stade de l’arrestation ». Et elle en déduit que « l’article 63-1 du code de procédure pénale constitue une transposition complète de l’article 6 de ladite directive ». 

On rappellera que l’article 63-1 du Code de procédure pénale limite l’information de la personne gardée à vue, laquelle se voit informée immédiatement, dans une langue qu’elle comprend : de son placement en garde à vue ainsi que de la durée de la mesure et de la ou les prolongations dont celle-ci peut faire l’objet (1°) ; de la qualification, de la date et du lieu présumés de l’infraction qu’elle est soupçonnée d’avoir commise ou tenté de commettre ainsi que des motifs mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-2 justifiant son placement en garde à vue (2°) ; du fait qu’elle bénéficie d’une série de droits (3°: faire prévenir un proche et son employeur, être examinée par un médecin, être assistée par un avocat, consulter certaines pièces du dossier, présenter des observations au moment du renouvellement de la mesure, faire des déclarations, répondre aux questions posée ou se taire). Jusqu’à présent, la Haute cour avait refusé de se livrer à un contrôle de validité des dispositions françaises par rapport à la Charte des droits fondamentaux dès lors que la directive n° 2012/13/UE n'était pas en vigueur (V. not. Crim. 27 nov. 2012, n° 12-85.645). C’est donc désormais chose faite.

Sur le second moyen (accès au dossier), la chambre criminelle précise, de la même manière, que « l’article 7, § 1, de la directive du 22 mai 2012, dont le préambule précise qu’elle s’appuie sur les droits énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en développant les articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l’homme tels qu’ils sont interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme, n’exige, à tous les stades de la procédure, qu’un accès aux documents relatifs à l’affaire en question détenus par les autorités compétentes qui sont essentiels pour contester de manière effective la légalité de l’arrestation ou de la détention » et que « les § 2 et 3 de l’article 7 de ladite directive laissent la faculté aux Etats-membres de n’ouvrir l’accès à l’intégralité des pièces du dossier que lors de la phase juridictionnelle du procès pénal, ce dont il résulte que l’article 63-4-1 du code de procédure pénale constitue une transposition complète de l’article 7 de la directive ».

L’article 63-4-1 du Code de procédure pénale prévoit un accès restreint au dossier (ouvert non seulement à l’avocat du gardé à vue mais aussi au gardé à vue lui-même depuis la L. du 27 mai 2014), limité à trois types de pièces :  le procès-verbal établi en application de l’avant-dernier alinéa de l’article 63-1 constatant la notification du placement en garde à vue et des droits afférents, le certificat médical établi en application de l’article 63-3, et les procès-verbaux d’audition de la personne. 

Sur ce point, la chambre criminelle réaffirme une solution dégagée dès 2012 au terme de laquelle « l’absence de communication de l’ensemble des pièces du dossier, à ce stade de la procédure [celui de la garde à vue], n’est pas de nature à priver la personne d’un droit effectif et concret à un procès équitable dès lors que l’accès à ces pièces est garanti devant les juridictions d’instruction et de jugement » (Crim. 19 sept. 2012 , n° 11-88.111; Crim. 26 juin 2013, n° 13-81.491 ; Crim. 9 avr. 2015, n° 14-87.660 ; rappr. CEDH 9 avr. 2015, A. T. c/ Luxembourg, n° 30460/13 ; V. aussi, Cons. const. 18 nov. 2011, nos 2011-191/194/195/196/197 QPC). 

Crim. 4 oct. 2016, n° 16-82.309

Références

■ Rép. pén. Dalloz, vo Garde à vue, par C. Mauro, nos 167 s. 

■ Crim. 27 nov. 2012, n° 12-85.645, RTD eur. 2013. 292-20, obs. B. Thellier de Poncheville.

■ Crim. 19 sept. 2012, n° 11-88.111 P, Dalloz actualité, 26 sept. 2012, obs. C. Girault ; D. 2012. 2640, obs. C. Girault, note F. Desprez ; ibid. 2013. 124, chron. C. Roth, B. Laurent, P. Labrousse et Marie-Lucie Divialle ; AJ pénal 2013. 50, obs. L. Ascensi ; RSC 2012. 887, obs. X. Salvat.

■ Crim. 26 juin 2013, n° 13-81.491, Dalloz actualité, 2 oct. 2013, obs. S. Fucini ; RSC 2013. 591, obs. J. Danet ; RTD eur. 2014. 470, obs. B. Thellier de Poncheville. 

■ Crim. 9 avr. 2015, n° 14-87.660, Dalloz actualité, 5 mai 2015, obs. S. Fucini ; AJ pénal 2015. 382, obs. D. Brach-Thiel.

■ CEDH 9 avr. 2015, A. T. c/ Luxembourg, n° 30460/13, Dalloz actualité 15 avr. 2015, obs. A. Portmann ; AJ pénal 2015. 380 obs. S. Lavric ; RSC 2015. 736, obs. D. Roets.

■ Cons. const. 18 nov. 2011, Mme Élise A. et a., nos 2011-191/194/195/196/197 QPC, D. 2011. 3034, note H. Matsopoulou ; ibid. 3005, point de vue E. Vergès ; ibid. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2012. 102, obs. J.-B. Perrier ; RSC 2012. 185, obs. J. Danet ; ibid. 217, obs. B. de Lamy.

 

Auteur :S. L.


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