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Procédure pénale
Garde à vue : l’absence de sanction en cas d’audition sous serment jugée contraire à la Constitution
Mots-clefs : Garde à vue, Audition sous serment, QPC, Contrôle de constitutionnalité, Commission rogatoire, Droit de se taire, Déclaration de 1789
En faisant obstacle, en toute circonstance, à la nullité d'une audition réalisée sous serment lors d'une garde à vue dans le cadre d'une commission rogatoire, la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 153 du Code de procédure pénale, en portant atteinte au droit du suspect de se taire, est contraire à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel était saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) renvoyée par la chambre criminelle le 27 juillet 2016 (n° 16-90.013) ainsi rédigée : « La dernière phrase de l'alinéa 3 de l'article 153 du code de procédure pénale porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et précisément au droit pour toute personne de ne pas s'auto-incriminer inclus dans le principe de respect des droits de la défense qui constitue l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ? »
L’article 153 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolution de la criminalité, prévoit que « tout témoin cité pour être entendu au cours de l’exécution d’une commission rogatoire est tenu de comparaître, de prêter serment et de déposer […] » (al. 1er), que celui-ci peut être contraint de comparaître et qu’il encourt l’amende prévue par l’article 434-15-1 du code pénal (d’un montant de 3750 euros) s’il ne comparaît pas (al. 2). Dans un alinéa 3, le texte précise que « l’obligation de prêter serment et de déposer n’est pas applicable aux personnes gardées à vue en application des dispositions de l’article 154 » mais que « le fait que les personnes gardées à vue aient été entendues après avoir prêté serment ne constitue […] pas une cause de nullité de la procédure ». C’est la conformité de cette dernière phrase au « droit constitutionnellement reconnu de se taire et celui de ne pas participer à sa propre incrimination » qui était contestée par le biais de la QPC.
Dans sa décision, le Conseil constitutionnel énonce que l’article 9 de la Déclaration de 1789 garantit « le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire ». Il relève ensuite que, depuis la loi du 14 avril 2011 portant réforme de la garde à vue, seule peut être placée en garde à vue une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement (C. pr. pén., art. 63), et que cette personne est immédiatement informée de son droit de faire des déclarations, de répondre aux questions qui lui sont posées ou de se taire (C. pr. pén., art. 63-1), ces dispositions étant applicables pendant l’instruction, lors de l’exécution d’une commission rogatoire (C. pr. pén., art. 154). Il estime alors que faire prêter serment à une personne gardée à vue au cours de l’instruction « peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l’information qu’elle a reçue concernant ce droit » (§ 8), et en déduit que les dispositions contestées, « en faisant obstacle en toute circonstance, à la nullité d’une audition réalisée sous serment lors d’une garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire […] portent atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée » et doivent être déclarées contraires à la Constitution, la déclaration d’inconstitutionnalité prenant effet à compter de la date de publication de la décision.
Au cours de l’instruction, la personne suspectée est entendue soit directement par le juge d’instruction si elle est mise en examen (s’il existe des indices graves et concordants de sa participation aux faits objet de l’instruction ; C. pr. pén., art. 80-1) soit par la police judiciaire dans le cadre d’une commission rogatoire (l’art. 154 C. pr. pén. renvoyant alors aux dispositions relatives à l’audition libre et à la garde à vue pendant l’enquête, qui sont donc applicables, les attributions conférées au procureur de la République étant alors exercées par le juge d’instruction).
Comme l’explique le commentaire de la décision disponible sur le site Conseil constitutionnel, la volonté du législateur, en 2004, de soustraire la personne gardée à vue à l’obligation de prêter serment était cohérente, « la prestation de serment et l’obligation de déposer apparaiss[a]nt dans ce cas incompatibles avec les droits octroyés dans le cadre d’une mesure de garde à vue » (Rapport Warsmann, n° 856, tome I, art. 42). A l’époque, l’absence de nullité procédurale en cas de prestation de serment de cette personne avait été débattue, certains ayant dénoncé une contradiction à poser un principe tout en précisant qu’il n’était assorti d’aucune sanction (J.-Y. Le Bouillonnec, compte-rendu intégral des débats de l’Assemblée nationale, 3e séance du 23 mai 2003).
Si le Conseil constitutionnel avait déjà énoncé que le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser découlait de l’article 9 de la Déclaration de 1789 (Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, § 110. Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, § 17. Cons. const. 27 janv. 2012, n° 2011-214 QPC, § 7. Cons. const. 26 sept. 2014, n° 2014-416 QPC, § 15), en revanche, il n’avait jamais précisé expressément que ce droit impliquait, pour une personne soupçonnée, le droit au silence. Sur l’absence de nullité procédurale en cas de méconnaissance d’une règle de procédure pénale, on rappellera qu’il avait récemment censuré, sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration de 1789, l’absence de sanction en cas de défaut d’enregistrement des débats de la cour d’assises (Cons. const. 20 nov. 2015, n° 2015-499 QPC, § 4).
Le commentaire précise utilement que la présente censure « ne saurait signifier l’illégalité des auditions d’une personne entendue d’abord comme témoin puis placée en garde à vue » et qu’en l’absence d’intervention du législateur, le juge sera invité au cas par cas, en application de l’article 802 du Code de procédure pénale, à déterminer les conséquences de l’audition sous serment d’un suspect.
Cons. const. 4 nov. 2016, n° 2016-594 QPC
Références
■ Crim. 27 juill. 2016, n° 16-90.013.
■ Cons. const. 2 mars 2004, n° 2004-492 DC, D. 2004. 2756, obs. B. de Lamy ; ibid. 956, chron. M. Dobkine ; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges ; ibid. 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri.
■ Cons. const. 16 sept. 2010, n° 2010-25 QPC, D. 2012. 308, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ pénal 2010. 545, étude J. Danet.
■ Cons. const. 27 janv. 2012, n° 2011-214 QPC, D. 2012. 449, point de vue C.-J. Berr ; AJ pénal 2012. 167, obs. G. Roussel.
■ Cons. const. 26 sept. 2014, n° 2014-416 QPC, AJDA 2014. 1859 ; D. 2014. 2503, note J.-B. Perrier ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; RSC 2014. 785, obs. J.-H. Robert ; ibid. 2015. 711, obs. B. de Lamy.
■ Cons. const. 20 nov. 2015, n° 2015-499 QPC, D. 2016. 51, note C. Courtin.
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