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[ 25 octobre 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

Garde à vue : le médecin malgré lui

Mots-clefs : Garde à vue, Médecin, Nullité

Lorsqu'un médecin légalement requis pour examiner une personne gardée à vue fait défaut au terme du délai qu’il a indiqué, cette carence doit être constatée par l'officier de police judiciaire compétent qui doit alors prendre attache avec un autre médecin pour que celui-ci effectue l’examen médical. L'absence de renouvellement de cette diligence par l'officier de police judiciaire peut, selon les circonstances, constituer, en application des articles 171 et 802 du Code de procédure pénale, une nullité dès lors que l’intéressé établit que la méconnaissance de cette formalité a porté atteinte à ses intérêts.

La Cour de cassation confirme sa jurisprudence selon laquelle les nullités liées à l’examen médical en garde à vue sont soumises en principe à l’existence d’un grief.

En l’espèce, un individu, en situation irrégulière sur le territoire, avait été interpellé et placé en garde à vue pour séjour irrégulier. Lors de la notification des droits attachés à cette mesure, il a demandé à être examiné par un médecin qui, contacté par l'officier de police judiciaire, a déclaré qu'il se déplacerait au service de police dans les meilleurs délais. Malheureusement, un peu plus trois heures plus tard et avant l’arrivée du médecin, le gardé à vue a été victime d'un malaise dans les locaux de garde à vue. Admis dans une clinique où il a fait l'objet d'un premier examen médical, son état a été déclaré compatible avec la mesure privative de liberté. Il a donc été reconduit dans les locaux de police. Par la suite, le préfet a pris à son encontre un arrêté de reconduite à la frontière et une décision de placement en rétention administrative. Saisi pour prolonger la mesure, le juge des libertés et de la détention puis le premier président du TGI, ont accueilli l’exception de nullité de la garde à vue au motif que le délai de trois heures visé à l'article 63-1 du Code de procédure pénale ne s'applique qu'aux diligences résultant pour les enquêteurs de la communication des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3 du même code, qu'il appartenait à l'officier de police judiciaire, en l'état de la carence du premier médecin, d'en désigner un autre pour examiner la personne gardée à vue. L’absence de renouvellement de cette diligence porte atteinte à l'exercice des droits du gardé à vue. Saisie par le pourvoi du procureur général près la cour d'appel, la première chambre civile a formulé une demande d'avis à la chambre criminelle. La question était libellée de la façon suivante : « Le dernier alinéa de l'article 63-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi n° 204-204 du 9 mars 2004, emporte-t-il obligation pour l'officier de police judiciaire qui a requis un médecin pour examiner la personne gardée à vue, lequel, après avoir donné son accord, fait défaut, de requérir un autre médecin pour procéder à cet examen ? En cas de réponse affirmative, l’inobservation de cette obligation affecte-t-elle la validité de la garde à vue ? ».

La formation pénale de la Cour de cassation (Crim., avis n° 9001, 9 mai 2012) avait répondu que « lorsqu’un médecin légalement requis pour examiner une personne gardée à vue fait défaut au terme du délai qu’il avait indiqué, cette carence devait être constatée par l’officier de police judiciaire compétent qui doit alors prendre attache avec un autre médecin pour que celui-ci effectue l’examen médical ; l’absence de renouvellement de cette diligence par l’officier de police judiciaire ne peut être admise, s’agissant d’une mesure dont l’objectif essentiel est de vérifier la compatibilité de l’état de la personne gardée à vue avec la mesure ; l’inexécution de cette nouvelle diligence peut, selon les circonstances, constituer, en application des articles 171 et 802 du Code de procédure pénale, une nullité dès lors que l’intéressé établit que la méconnaissance de cette formalité a porté atteinte à ses intérêts ».

Reprenant l’avis rendu par la chambre criminelle, la première chambre civile (Civ. 1re, 10 oct. 2012) déclare, en l’espèce, qu’il ne résulte pas que le retard apporté à l’examen médical de l’intéressé aurait porté atteinte aux intérêts de celui-ci et prononce, par conséquent, la cassation de l’arrêt attaqué.

Ainsi, selon la Cour de cassation, le défaut d’examen médical, est une mesure dont la nullité est subordonnée à l'exigence d'un grief pour la partie concernée par la nullité conformément aux dispositions de l'article 802 du Code de procédure pénale. Faute de caractériser en quoi un retard apporté à l'examen médical du gardé à vue porte atteinte à ce dernier, aucune nullité de plein droit n’est encourue.

Cette solution n’est pas nouvelle et s’inscrit dans le prolongement des décisions rendues antérieurement. Déjà, dans un arrêt du 10 décembre 2008, la chambre criminelle avait estimé que dans le cas où l'avis du médecin n'avait pas été demandé dans les trois heures du placement en garde à vue, même si l'examen avait eu lieu ultérieurement, la nullité était soumise à grief. Il en va de même de la nullité résultant de l'absence d'un certificat médical au dossier 25 février 2003 (V. Buisson).

Seule une garde à vue poursuivie malgré une incompatibilité établie par certificat médical, encourt une nullité de plein droit (Crim. 27 oct. 2009).

Si cette solution relative à la nature de la nullité résultant du défaut de diligences dans la réquisition du médecin a été rendue sous la législation antérieure à la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011, elle est transposable dans le régime actuel. En effet, le dernier alinéa de l’ancien article 63-1 est repris en des termes identiques par le nouvel article 63-3 du Code de procédure pénale.

Civ. 1re, 10 oct. 2012, FS-P+B+I, n° 11-30.131

Crim. 9 mai 2012, Avis n° 9001

Références

■ Crim. 10 déc. 2008, n° 08-83.408.

 Crim. 25 février 2003, n°02-86.144, RSC 2004. 421, obs. Buisson.

■ Crim. 27 oct. 2009D. 2010. 245, note P.-J. Delage, obs. C. Girault.

■ Code de procédure pénale

Ancien article 63-1

« Toute personne placée en garde à vue est immédiatement informée par un officier de police judiciaire, ou, sous le contrôle de celui-ci, par un agent de police judiciaire, de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête, des droits mentionnés aux articles 63-2, 63-3 et 63-4 ainsi que des dispositions relatives à la durée de la garde à vue prévues par l'article 63. 

Mention de cet avis est portée au procès-verbal et émargée par la personne gardée à vue ; en cas de refus d'émargement, il en est fait mention. 

Les informations mentionnées au premier alinéa doivent être communiquées à la personne gardée à vue dans une langue qu'elle comprend, le cas échéant au moyen de formulaires écrits. 

Si cette personne est atteinte de surdité et qu'elle ne sait ni lire ni écrire, elle doit être assistée par un interprète en langue des signes ou par toute personne qualifiée maîtrisant un langage ou une méthode permettant de communiquer avec des sourds. Il peut également être recouru à tout dispositif technique permettant de communiquer avec une personne atteinte de surdité. 

Si la personne est remise en liberté à l'issue de la garde à vue sans qu'aucune décision n'ait été prise par le procureur de la République sur l'action publique, les dispositions de l'article 77-2 sont portées à sa connaissance. 

Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences résultant pour les enquêteurs de la communication des droits mentionnés aux articles 63-2 et 63-3 doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a été placée en garde à vue. »

Article 63-2

« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et sœurs ou son curateur ou son tuteur de la mesure dont elle est l'objet. Elle peut en outre faire prévenir son employeur. Lorsque la personne gardée à vue est de nationalité étrangère, elle peut faire contacter les autorités consulaires de son pays.

Si l'officier de police judiciaire estime, en raison des nécessités de l'enquête, ne pas devoir faire droit à cette demande, il en réfère sans délai au procureur de la République qui décide, s'il y a lieu, d'y faire droit.

Sauf en cas de circonstance insurmontable, qui doit être mentionnée au procès-verbal, les diligences incombant aux enquêteurs en application du premier alinéa doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a formulé la demande. »

Article 63-3

« Toute personne placée en garde à vue peut, à sa demande, être examinée par un médecin désigné par le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire. En cas de prolongation, elle peut demander à être examinée une seconde fois. Le médecin se prononce sur l'aptitude au maintien en garde à vue et procède à toutes constatations utiles. Sauf en cas de circonstance insurmontable, les diligences incombant aux enquêteurs en application du présent alinéa doivent intervenir au plus tard dans un délai de trois heures à compter du moment où la personne a formulé la demande. Sauf décision contraire du médecin, l'examen médical doit être pratiqué à l'abri du regard et de toute écoute extérieurs afin de permettre le respect de la dignité et du secret professionnel. 

A tout moment, le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire peut d'office désigner un médecin pour examiner la personne gardée à vue. 

En l'absence de demande de la personne gardée à vue, du procureur de la République ou de l'officier de police judiciaire, un examen médical est de droit si un membre de sa famille le demande ; le médecin est désigné par le procureur de la République ou l'officier de police judiciaire. 

Le médecin examine sans délai la personne gardée à vue. Le certificat médical est versé au dossier. 

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables lorsqu'il est procédé à un examen médical en application de règles particulières. »

Article 171

« Il y a nullité lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne. »

Article 802

« En cas de violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou d'inobservation des formalités substantielles, toute juridiction, y compris la Cour de cassation, qui est saisie d'une demande d'annulation ou qui relève d'office une telle irrégularité ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne. »

 

Auteur :C. L.


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