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[ 10 mars 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Gestion d’affaires : la révélation de son existence est sans incidence sur les rapports du gérant avec les tiers

Le gérant d'affaires qui contracte avec un tiers dans l'intérêt du maître de l’affaire, mais en son nom propre, est personnellement tenu de l'exécution des obligations du contrat, même après la révélation de l’existence d’une gestion d’affaires et de l'identité de son maître.

Civ. 1re, 2 févr.2022, n°20-19.728 B

Le présent arrêt offre l’occasion de préciser l’incidence de la révélation de la qualité de gérant sur les effets de la gestion d’affaires à l’égard du tiers cocontractant.

Un effondrement partiel survient dans un immeuble. Le syndic fait appel à une société de transport qui, à sa demande, établit un devis portant sur le déménagement et le stock de cartons et de marchandises. En mars 2015, le syndic accepte le devis. La société exécute les prestations convenues, puis envoie sa facture au syndic. En janvier 2016, ce dernier conteste être le véritable débiteur des sommes réclamées et soutient que les prestations doivent être facturées à l’exploitant d’un commerce, seul bénéficiaire des prestations effectuées. En mai 2016, le transporteur assigne en paiement des factures le syndic ainsi que l’exploitant du commerce. En octobre 2016, ce dernier est placé en liquidation judiciaire. Le transporteur déclare sa créance à la procédure collective. Étant un simple créancier chirographaire, il ne restait au transporteur d’espoir que dans la condamnation du syndic.

La cour d’appel limite la condamnation de ce dernier aux sommes dues avant le 26 janvier 2016. Son analyse repose sur la temporalité des faits suivants : si en sollicitant le devis en 2015 et en l’acceptant sans y faire figurer le nom du véritable bénéficiaire des prestations, le syndic a entretenu une confusion en n’énonçant pas clairement agir en qualité de gérant d’affaires du commerçant. Cette confusion s’est dissipée le 26 janvier 2016 lorsque le syndic a indiqué au transporteur qu’il ne prendrait plus en charge le déménagement des marchandises stockées et lui a demandé de ne plus lui envoyer les factures afférentes à ces prestations, mais de les adresser au commerçant. Dit autrement, si dans un premier temps, le transporteur a pu croire légitimement avoir conclu avec son véritable débiteur, il a été clairement informé, dans un second temps, de l’existence d’une gestion d’affaires par le syndic ayant, de sa seule initiative, agi pour le compte du commerçant. Partant, les sommes dues après la révélation de l’existence de cette gestion d’affaires devaient être facturées au commerçant, en sa qualité de maître de l’affaire.

Cette position est censurée par la Cour de cassation. Au visa des articles 1372 et 1375 anciens du code civil, la première chambre civile juge que « le gérant d'affaires qui contracte avec un tiers dans l'intérêt du maître de l'affaire, mais en son nom personnel, est personnellement tenu de l'exécution des obligations du contrat, même après la révélation de l'identité du maître de l'affaire, laquelle n'a pas pour effet de substituer ce dernier au gérant d'affaires dans l'exécution du contrat conclu, et que le maître dont l'affaire a été bien administrée doit rembourser au gérant toutes les dépenses utiles ou nécessaires qu'il a faites ».

La gestion d’affaires suppose qu’une personne, le gérant d’affaires, ait accompli un acte pour le compte et dans l’intérêt d’un tiers (le maître de l’affaire, encore appelé « géré »), hors de tout mandat conclu entre eux (C. civ., art. 1301 s.). Cette immixtion dans les affaires d’autrui, volontairement accomplie par le gérant d’affaires en l’absence de toute convention préalable, est constitutive d’un quasi-contrat donnant naissance à des obligations voisines de celles d’un mandat. Indispensable à la qualification de gestion d’affaires, le caractère volontaire de l’intervention du gérant, engagée non pas dans son intérêt propre mais dans celui d’autrui, était en l’espèce caractérisé par la spontanéité de l’initiative du syndic de faire appel à une société à l’effet de faire bénéficier au seul commerçant, quoique tiers au contrat conclu, des prestations de services de cette société.

Se posant chaque fois que pour les besoins de sa gestion, le gérant d’affaires conclut des actes juridiques avec un tiers, la question centrale soulevée par cet arrêt portait sur les effets de la gestion d’affaires dans les rapports avec les tiers. Plus précisément, il s’agit de déterminer celle des parties au quasi-contrat, le gérant ou le géré, qui se trouve tenue d’exécuter les obligations résultant du contrat conclu par le représentant (gérant) avec un tiers. Rapportée à l’espèce, le problème se posait donc dans les termes suivants : la créance née du contrat de dépôt et de garde-meuble conclu par le syndic (gérant), dans l’intérêt du commerçant (géré), devait-elle être payée au transporteur (tiers) par le gérant, ou par le géré ?

Pour répondre à cette question sous l’empire du droit antérieur à la réforme de 2016, sur le fondement duquel la solution commentée est rendue, il convenait d’opérer une distinction ici rappelée par la Cour selon que l’acte conclu par le gérant l’avait été en son nom personnel ou au nom du géré. Si l’acte avait été conclu au nom du géré, seul ce dernier était obligé : en effet, dans cette hypothèse constitutive d’une représentation parfaite, le géré revêtant la qualité indiscutée de représenté était soumis à l’effet obligatoire du contrat souscrit en son nom par le gérant. Si tel qu’en l’espèce, l’acte avait en revanche été conclu par le gérant en son nom personnel, cette représentation qualifiée d’imparfaite justifiait que seul le gérant fût obligé à l’égard des tiers.

Or, l’originalité des faits ayant donné lieu au présent arrêt s’illustre dans le passage d’une représentation imparfaite à une représentation parfaite, offrant ainsi à la Cour de cassation d’apporter l’enseignement essentiel suivant : même devenue parfaite, la représentation initialement imparfaite le reste, la perfection nouvelle du mécanisme représentatif n’emportant pas substitution du gérant de l’affaire par le maître. En effet, au cas d’espèce, la représentation avait été, jusqu’en janvier 2016, imparfaite en ce que le représentant (le syndic) avait agi sans révéler sa qualité de gérant d’affaires au tiers (l’hypothèse recoupant d’ailleurs en cela, pour partie, la technique de la simulation). Or dans un tel cas, le représentant revêt la qualité de partie au contrat conclu avec le tiers et se voit seul engagé par les obligations souscrites à son profit (C. civ., art. 1154, al. 2). Cependant, après cette date, la représentation devint parfaite, le représentant ayant agi en révélant sa qualité de gérant d’affaires au tiers. Régi par un principe de transparence, la représentation parfaite suppose en effet que même si le représenté est physiquement absent lors de la conclusion du contrat, il a seule qualité de partie à l’acte et se voit donc soumis aux effets obligatoires de la convention (C. civ., art. 1154, al. 1). Le représentant est, quant à lui, un tiers absolu qui ne peut être tenu des obligations nées du contrat pour l’exécution duquel il exerce un seul pouvoir de représentation. Pourtant, la Cour de cassation juge que même après la révélation de l’existence d’une gestion d’affaires, le gérant demeure personnellement tenu envers le tiers cocontractant, sans pouvoir être substitué par le géré dont la révélation, au tiers cocontractant, de son identité, n’opère pas novation.

En effet, outre l’impossibilité d’établir, en l’absence de contrat préalable entre le gérant et le géré, une intention novatoire, la novation de l’obligation par substitution de débiteur reste exceptionnelle en ce qu’elle suppose soit, en l’absence d’accord du débiteur originaire, la volonté spontanée d’un tiers au paiement de sa dette, soit, en cas d’accord du débiteur originaire, la requalification de l’opération en délégation, qui devra donc être envisagée à ce titre (v. C. civ., art. 1329 et 1332). Partant, le gérant d’affaires initialement engagé sans représentation révélée au tiers demeure obligé envers lui. Seule lui est laissée, comme le rappelle la Cour, la possibilité de demander au géré l’indemnisation des dépenses effectuées en exécution de la convention souscrite dans son intérêt (C. civ., art. 1301-2, al. 2), cette obligation d’indemnisation incombant au géré s’apparentant à celle pesant sur le mandant, à la différence qu’elle existe ici hors de tout accord du géré quant à l’accomplissement même de l’acte de gestion. Au cas d’espèce, il appartenait donc au gérant d’affaires, malgré l’évolution des situations dont la cour d’appel avait précisément tenu compte, de poursuivre la gestion et de payer les prestations facturées par le tiers, même pour la période postérieure au mois de janvier 2016. Le risque d’insolvabilité pesait donc sur le syndic.

Il est toutefois à noter que l’ordonnance du 10 février 2016 (n° 2016-131) semble avoir en partie modifié ces solutions. L’article 1301-2 du code civil subordonne en effet l’obligation du maître de l’affaire d’exécuter les engagements contractés par le gérant au seul fait que les actes de gestion aient été accomplis, non plus selon l’ancienne formule de l’article 1375, « en son nom », mais « dans son intérêt ». En l’espèce constitué (le gérant a agi en son nom personnel mais « dans l'intérêt du maître de l'affaire »), ce seul fait suffirait désormais à obliger le maître de l’affaire à satisfaire aux obligations contractées par le gérant en sorte que rendue sur le fondement du droit positif, la solution ici retenue eût été probablement toute autre. Le maître de l’affaire aurait sans doute été condamné au paiement des factures et non pas son gérant, dont l’initiative ne se voit guère, en l’espèce, récompensée.

 

Auteur :Merryl Hervieu

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