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Libertés fondamentales - droits de l'homme
Gifle policière: une atteinte grave à la dignité
Mots-clefs : Gifle, Violences policières, Dignité humaine, CEDH, Droit de l’homme, Traitement inhumain ou dégradant
La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Belgique pour des gifles infligées par des policiers aux deux requérants lors de leur audition.
Un traitement est « dégradant » s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité humaine, voire la diminue, ou s’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (V. notamment, CEDH, gr. ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c/ Belgique et Grèce , n° 30696/09, § 220. CEDH, gr. ch., 26 oct. 2000 , Kudła c/ Pologne, n° 30210/96, § 92). L’interdiction d’un tel traitement est prévue à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) dont les termes sont explicites : l’interdiction des traitements dégradants posée a un caractère absolu, ce droit intangible exprimant le respect de la dignité humaine. Pour tomber sous le coup de cet article, les mauvais traitements infligés à un être humain doivent atteindre un minimum de gravité. En raison de l’interprétation évolutive des dispositions de la Convention, « le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme (…) implique (…) une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques » (CEDH 28 juill. 1999, Selmouni c/ France, n° 25803/94). Une telle interprétation emporte un abaissement du seuil de gravité des traitements inhumains ou dégradants qui tombent sous l’article 3. L’arrêt rendu par la formation la plus solennelle de la Cour européenne des droits de l'homme qui constate unanimement une violation de cet article concernant la gifle policière en est l’illustration.
En l’espèce, deux frères, dans le contexte de relations tendues entre leur famille et les forces de l’ordre, se plaignent tous deux d’avoir été giflés par des agents de police alors qu’ils se trouvaient dans les locaux. Ils produisent des certificats médicaux à l’appui de leur version des faits. Ils estiment avoir été victimes d’un traitement dégradant. Ils se plaignent en outre de l’instruction conduite à la suite de leurs plaintes, qu’ils jugent ineffective, incomplète et partiale et dont ils dénoncent la durée. Ils invoquent les articles 3, 6, § 1 et 13 de la Convention.
Les faits avaient fait l’objet d’une première décision de la Cour européenne, laquelle avait conclu à l’unanimité à la non violation de l’article 3 (CEDH, 5e sect., 21 nov. 2013, Bouyid c/ Belgique, n° 23380/09). Selon les premiers juges, les actes ne présentaient pas un caractère de gravité suffisant pour conclure à l'existence de traitements inhumains et dégradants envers les requérants. Ils concluaient ainsi : « « (…) il s’agissait dans les deux cas d’une gifle isolée, infligée inconsidérément par des policiers excédés par le comportement irrespectueux ou provocateur des requérants, et qui ne visait pas à leur extorquer des aveux. Elle serait de plus intervenue dans le contexte d’un climat tendu entre les membres de la famille des requérants et les policiers de leur quartier. Dans de telles circonstances, même si l’un des requérants n’avait alors que 17 ans et s’il est compréhensible que, dans l’hypothèse où les faits se seraient déroulés comme les requérants le disent, ils éprouvent un fort ressentiment, la Cour ne saurait perdre de vue qu’il s’agissait chaque fois d’un acte isolé, posé dans une situation de tension nerveuse et dénué de tout effet grave ou durable. Elle estime que des actes de ce type, bien qu’inacceptables, ne sauraient être considérés comme générant un degré d’humiliation ou d’avilissement suffisant pour caractériser un manquement à l’article 3 de la Convention. Autrement dit, en tout état de cause, le seuil de gravité mentionné ci-dessus n’est pas atteint en l’espèce, de sorte qu’aucune question de violation de cette disposition ne se pose, que l’on envisage celle-ci sous son angle matériel ou sous son angle procédural ».
A la demande des requérants, l’affaire a été renvoyée devant la grande chambre qui livre une analyse bien différente.
Pour qualifier la gifle policière de traitement dégradant, la Cour affirme d’abord, que l’utilisation de la force physique, qui n’est pas rendue strictement nécessaire par le comportement de l’individu, quel que soit l’impact que cela a eu par ailleurs sur l’intéressé, porte atteinte à la dignité et constitue une violation du droit garanti par l’article 3 (§ 101). Les gifles données en l’espèce, qualifiées d’ « acte impulsif, qui répondait à une attitude perçue comme étant irrespectueuse », ne suffisent pas selon les juges, à caractériser une telle nécessité. La Cour retient en conséquence qu’il y a eu atteinte à la dignité des requérants et, donc, violation de l’article 3 de la Convention.
Mais au-delà, « la Cour tient à souligner que l’infliction d’une gifle par un agent des forces de l’ordre à un individu qui se trouve entièrement sous son contrôle constitue une atteinte grave à la dignité de ce dernier » (§ 103). Pour justifier le caractère de gravité, la cour relève un certain nombre d’éléments. D’abord elle souligne l’impact d’une gifle sur un individu. Elle retient qu’ « en atteignant son visage, elle touche à la partie du corps qui à la fois exprime son individualité, marque son identité sociale et constitue le support des sens – le regard, la voix et l’ouïe – qui servent à communiquer avec autrui ».
La cour souligne ensuite qu’une gifle, même isolée, non préméditée et dénuée d’effet grave, peut être perçue comme une humiliation par celui et ce, d’autant plus « lorsqu’elle est infligée par des agents des forces de l’ordre à des personnes qui se trouvent sous leur contrôle, puisqu’elle surligne alors le rapport de supériorité-infériorité qui, par essence, caractérise dans de telles circonstances la relation entre les premiers et les seconds » (§ 106).
La grande chambre désavoue enfin les premiers juges qui avaient tenu compte du contexte d’un climat tendu. Elle affirme que « le fait que la gifle ait pu être infligée inconsidérément par un agent excédé par le comportement irrespectueux ou provocateur de la victime est à cet égard dénué de pertinence ». Elle rappelle que même dans les circonstances difficiles, l’interdiction des traitements dégradants est absolue quel que soit le comportement de la personne.
Outre le constat de violation du volet matériel de l’article 3, la Cour européenne condamne également la Belgique sur le volet procédural, l’enquête menée en interne sur les allégations des requérants n’ayant pas été suffisamment effective. Une instruction a bien été ouverte et les deux policiers inculpés d’avoir, à l’occasion de leurs fonctions, usé de violences envers des personnes et, notamment, volontairement fait des blessures ou porté des coups, et d’avoir exécuté un acte arbitraire et attentatoire aux libertés et aux droits garantis par la Constitution. En revanche, l’enquête menée n’a consisté qu’en des investigations sommaires.
CEDH ; gr. ch., 28 septembre 2015, Bouyid c/ Belgique, n° 23380/09.
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 3
« Interdiction de la torture. Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
Article 6
« Droit à un procès équitable. 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.
2. Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Tout accusé a droit notamment à:
a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu'il comprend et d'une manière détaillée, de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui;
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent;
d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l'interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;
e) se faire assister gratuitement d'un interprète, s'il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l'audience. »
Article 13
« Droit à un recours effectif. Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. »
■ CEDH, gr. ch., 21 janv. 2011, M. S. S. c/ Belgique et Grèce, n° 30696/09 : AJDA 2011. 138 ; Constitutions 2011. 334, obs. A. Levade ; RTD eur. 2012. 393, obs. F. Benoît-Rohmer.
■ CEDH, gr. ch., 26 oct. 2000 , Kudła c/ Pologne, n° 30210/96: RFDA 2003. 85, étude J. Andriantsimbazovina ; RSC 2001. 881, obs. F. Tulkens ; RTD civ. 2001. 442, obs. J.-P. Marguénaud; RSC 2001. 881, obs. F. Tulkens ; RTD civ. 2001. 442, obs. J.-P. Marguénaud.
■ CEDH 28 juill. 1999, Selmouni c/ France, n° 25803/94 : RSC 1999. 891, obs. F. Massias ; RTD civ. 1999. 911, obs. J.-P. Marguénaud.
■ CEDH, 5e sect., 21 nov. 2013, Bouyid c/ Belgique, n° 23380/09 : D. 2013. 2774, obs. F. Laffaille.
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