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[ 21 octobre 2022 ] Imprimer

Droit de la famille

GPA : impossibilité d’obtenir le retrait de l’autorité parentale de la mère porteuse aux fins d’adoption de l’enfant par le conjoint du père

En l’absence de preuve de la mise en danger de la santé, de la sécurité ou de la moralité de l’enfant par son père biologique, la mère porteuse doit conserver son autorité parentale.

 

Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 20-18.687 B

Malgré leur prohibition en droit français, maintenue par la dernière loi bioéthique (L. n° 2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique ; v. Cons. const., 29 juill. 2021, n° 2021-821 DC), les GPA conclues par des ressortissants français dans des pays qui l’admettent ou la tolèrent posent la question du sort à réserver aux enfants nés d’un tel procédé à l’étranger, puis élevés à leur retour sur notre sol. Parmi les inévitables conséquences de ce tourisme procréatif, le problème relatif à l’autorité parentale sur les enfants nés d’une gestation pour autrui est rarement abordé. Elle se trouve pourtant au cœur de l’actualité jurisprudentielle. Rendu le même jour que celui posant la question inédite de savoir si un processus de délégation d’autorité parentale aux fins d’adoption devait être qualifié d’une convention de GPA (Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 21-50.042), l’arrêt rapporté aborde la même problématique sous un angle encore différent, celui de la titularité de l’autorité parentale de la mère porteuse.

En l’espèce, deux enfants étaient nés le 25 mars 2010 d’une GPA réalisée en Inde. Quelques mois après leur naissance, la mère porteuse avait renoncé à tous ses droits parentaux, sans que fut remis en cause son lien de filiation. Sept ans plus tard, le père commanditaire, désireux de permettre l’adoption des enfants par son conjoint, avait assigné la mère porteuse en retrait de l’autorité parentale sur les deux enfants. Après que la cour d’appel eut rejeté sa demande, ce dernier forma un pourvoi en cassation. Il soutenait tout d’abord que le maintien de l’autorité parentale de la mère porteuse, absente de la vie des enfants, mettait en danger leur sécurité et leur santé en empêchant leur adoption par son conjoint et ainsi, la fondation d’une vraie famille. Il alléguait ensuite que ce refus de retirer l’autorité parentale à la mère porteuse et l’impossibilité qui en résultait pour les enfants d’être adoptés par son conjoint portait atteinte à leur droit au respect de la vie privée et familiale protégée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) et constituait, enfin, une discrimination fondée sur la naissance prohibée par l’article 14 de cette même Convention. 

La Cour de cassation rejette le pourvoi. Après avoir rappelé que le retrait de l’autorité parentale, qui est une mesure de protection de l’enfant, suppose la démonstration par le requérant d’un danger manifeste pour la santé, la sécurité ou la moralité de ce dernier (C. civ., art. 378-1, al. 1er), la première chambre civile relève que l’ensemble des pièces communiquées en cause d’appel démontrait que les deux enfants étaient équilibrés, heureux et parfaitement pris en charge. Procédant aux recherches prétendument omises, la cour d’appel a souverainement retenu qu’il n’était produit aucune pièce propre à démontrer que l’absence de leur mère était une source de danger pour eux et que le père n’établissait pas en quoi la protection de l’intérêt supérieur des deux enfants commandait le retrait d’autorité parentale de la mère.

Sur le terrain de la fondamentalité des droits, la Cour de cassation considère également que la cour d’appel n’a pas porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des enfants, prévu par l’article 8 de la Conv. EDH dès lors, d’une part, que ce droit n’impose pas de consacrer, par une adoption, tous les liens d’affection, fussent-ils anciens et établis, et d’autre part, que la voie de l’adoption des enfants par le conjoint du père demeure ouverte, si les conditions en sont remplies, ce qui suppose que le juge vérifie la validité et la portée de déclaration par laquelle la mère a renoncé à ses droits parentaux et qu’il s’assure de sa conformité avec l’intérêt de l’enfant. Elle estime enfin que la cour d’appel n’a pas davantage violé l’interdiction de toute discrimination posée par l’article 14 de la Convention, les dispositions de l’article 378 du Code civil s’appliquant indifféremment à tous les enfants, sans distinction aucune fondée sur la naissance.

On comprend que la Cour de cassation a entendu mettre en échec la tentative du demandeur d’exploiter la possibilité de retrait de l’autorité parentale aux fins d’établissement de la filiation adoptive de ses enfants par son époux. En ce sens, elle s’oppose, faute de preuve suffisante du danger encouru par les enfants, à une telle requête trahissant la volonté du père de l’enfant de détourner la mesure de déchéance de l’autorité parentale de sa fonction exclusive, tenant à la protection de l’enfant, dans sa santé, sa sécurité ou sa moralité (v. déjà Civ. 1re, 23 avr. 2003, n° 02-05.033 : refus de retrait de l’autorité parentale de la mère porteuse, le manque de soins et de direction ne mettant pas en danger les enfants). Il va de soi que cette mesure ne peut être exploitée à l’effet d’établir un lien de filiation, en l’occurrence par la voie de l’adoption, laquelle restait ouverte, souligne volontairement la Cour pour écarter le grief tiré de l’atteinte à la vie privée et familiale des enfants, son aboutissement supposant simplement d’apprécier la sincérité et la fiabilité de la renonciation par la mère porteuse à ses droits parentaux, ainsi que la conformité de cette décision à l’intérêt de l’enfant.

Habituellement libérale dans son appréciation de la situation d’enfants nés de GPA à l’étranger (v. à propos de l’adoption par le conjoint du père de l’enfant né d’une GPA à l’étranger, Civ. 1re, 5 juill. 2017, n° 16-16.455), la Cour de cassation met en l’espèce un frein bienvenu à cette tendance qui pourrait être perçue comme une validation indirecte de la GPA, d’autant plus si l’on met cet arrêt en perspective avec celui rendu le même jour à propos d’un accord susceptible d’être assimilé à une convention de GPA, cette fois conclu sur le sol français (Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 21-50.042, préc.)… À rebours de sa coutumière latitude, la Cour témoigne dans cet arrêt connexe d’une vigilance inhabituelle mais nécessaire au respect de nos institutions internes dont elle prend soin d’éviter le détournement frauduleux.

Références :

■ Cons. const., 29 juill. 2021, n° 2021-821 DC : AJDA 2022. 42, note X. Bioy ; ibid. 2021. 1658 ; D. 2021. 1547, obs. C. const. ; ibid. 2022. 872, obs. RÉGINE ; ibid. 1228, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2021. 448, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RFDA 2021. 939, note J.-P. Camby ; RTD civ. 2021. 867, obs. A.-M. Leroyer.

■ Civ. 1re, 21 sept. 2022, n° 21-50.042 B : D. 2022. 1702.

■ Civ. 1re, 23 avr. 2003, n°02-05.033 : RTD civ. 2003. 693, obs. J. Hauser.

■ Civ. 1re, 5 juill. 2017, n°16-16.455 P : D. 2017. 1737, note H. Fulchiron ; ibid. 1727, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2018. 528, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 641, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 966, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2017. 482 ; ibid. 375, point de vue F. Chénedé ; ibid. 643, Pratique P. Salvage-Gerest ; Rev. crit. DIP 2018. 143, note S. Bollée.

 

Auteur :Merryl Hervieu


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