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Libertés fondamentales - droits de l'homme
GPA : la primeur de l’intérêt de l’enfant réaffirmé
Mots-clefs : Gestation pour autrui (GPA), Intérêt supérieur de l’enfant, Qualité pour agir, Mesure d’éloignement, Mise sous tutelle
En matière de GPA, les considérations d’ordre public ne peuvent l’emporter sur l’intérêt supérieur de l’enfant.
Dans l’affaire rapportée, des époux de nationalité italienne ont eu recours à la gestation pour autrui (GPA) en Russie. Conformément au droit russe, ils furent enregistrés comme étant les parents de l’enfant, sans qu’il soit fait mention de la GPA. De retour en Italie, les époux essayèrent vainement de procéder à l’enregistrement du certificat de naissance de l’enfant. Par la suite, ils furent mis en examen pour « altération d’état civil » et infraction à la loi sur l’adoption. L’enfant étant considéré dans un état d’abandon au sens de la loi italienne, le ministère public près le tribunal pour mineurs demanda l’ouverture d’une procédure d’adoption et il fut mis sous tutelle. Un test ADN révéla, par la suite, que le mari n’était pas le père biologique. L’enfant fut alors placé dans une maison d’accueil, puis dans une famille d’accueil, et privé de contact avec les requérants. Il fut laissé sans identité pendant deux ans avant que lui soit attribué une nouvelle identité, demeurant néanmoins fils de parents inconnus.
En l’espèce, deux questions étaient soulevées : le couple italien avait-il qualité pour agir devant la Cour pour le compte de l’enfant ? L’État italien a-t-il violé l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH) ?
Concernant la qualité des requérants pour agir, la Cour a précisé qu’il ne fallait pas tomber dans l’écueil d’une approche trop restrictive ou purement technique pour ce qui est de la représentation des enfants devant les organes de la Convention. Elle a rappelé la nécessaire prise en compte de paramètres tels que les liens entre l’enfant et ses représentants, ou encore l’objet et le but de la requête (Cons. n° 48). En l’espèce, la Cour a constaté que l’enfant était placé sous tutelle, que la procédure d’adoption pour le confier à une autre famille était en cours et, surtout, qu’aucune procuration n’avait été signée en faveur des requérants. Dès lors, la Cour a estimé que les requérants n’avaient pas qualité pour agir devant la Cour pour le compte de l’enfant.
Au sujet de la violation de l’article 8 de la Conv. EDH, les requérants allèguent le refus par les autorités italiennes d’enregistrer le certificat de naissance et contestent les décisions d’éloignements de l’enfant et de mise sous tutelle. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 sauf si les conditions cumulatives suivantes sont respectées : être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique. Dès lors, la notion de nécessité implique que l’ingérence soit fondée sur un besoin social impérieux et, plus particulièrement, qu’elle soit proportionnée au but légitime recherché (CEDH 19 sept. 2000, Gnahoré c/ France, § 50).
Si la Cour a estimé que ces mesures d’éloignements constituent une ingérence dans la vie familiale des requérants, toute la difficulté était de savoir si l’équilibre entre l’intérêt public et les intérêts privés des requérants était respecté. Selon une jurisprudence constante, lorsque la situation d’un enfant est en cause, c’est l’intérêt supérieur de celui-ci qui doit primer (CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France ; CEDH 26 juin 2014, Labassée c/ France).
Ainsi, le respect, par la société, de l’intérêt supérieur de l’enfant est primordial. Adoptée par l’assemblée générale des Nations unies, la Déclaration sur les droits de l’enfant de 1959 mentionnait déjà ce principe en affirmant que « l’intérêt supérieur de l’enfant doit être la considération déterminante dans l’adoption des lois ». En 1989, la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (aussi appelée Convention de New-York) a étendu le principe, lui conférant une portée générale, à toutes les décisions intéressant les enfants. Relégué au rang de considération primordiale (art. 3), l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas pleinement définit mais la Convention fournit une grille de lecture en précisant ce qui fait partie intégrante de cette notion – notamment recevoir une éducation (art. 28), avoir des relations familiales (art. 8), connaître ses parents et être élevé par eux (art. 7) – et à l’inverse, ce qui en est exclu – par exemple, être indûment séparé de ses parents (art. 9), subir toute forme d’exploitation ou d’abus (art. 33 à 36). À ce titre, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies considère qu’il s’agit davantage d’un objectif et d’une ligne de conduite, plutôt que d’une notion autonome et indépendante.
En l’espèce, la Cour a considéré que la référence à l’ordre public ne pouvait servir à justifier toute mesure, car il incombe à l’État de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant indépendamment de la nature des liens parentaux, génétiques ou autres (Cons. n° 80). Elle a également rappelé que l’éloignement est une mesure extrême qui ne doit être utilisée qu’en tout dernier recours pour protéger l’enfant d’un danger immédiat (CEDH 13 juill. 2000, Scozzari et Giunta c/ Italie). Partant, la juridiction européenne a mentionné une affaire similaire (CEDH 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c/ Luxembourg), dans laquelle les autorités n’avaient pas reconnu la filiation établie à l’étranger au motif que celle-ci se heurtait à l’ordre public, mais n’avait pas pour autant adopté de mesure d’éloignement de l’enfant.
En l’occurrence, les juges ont estimé que les conditions susmentionnées pour justifier un éloignement n’étaient pas remplies. En ce sens, l’approche adoptée était identique à celle de l’affaire Moretti et Benedetti c/ Italie (CEDH 27 avr. 2010), dans laquelle des époux avaient accueilli un enfant en bas âge pendant dix-neuf mois avant que les juridictions italiennes ne décident de le placer dans une autre famille aux fins d’adoption. Dans cette affaire, comme dans celle rapportée, la Cour avait conclu que les requérants et l’enfant pouvaient se prévaloir de facto d’une vie familiale malgré l’absence d’un lien biologique et de la brièveté de la période pendant laquelle ils se sont occupés de l’enfant (Cons. n°69).
En l’espèce, si la Cour a considéré qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention, elle a toutefois conclu que l’enfant ayant dû développer des liens affectifs avec sa famille d’accueil. Toutefois, « le constat de violation prononcé dans la cause des requérants ne saurait donc être compris comme obligeant l’État à remettre le mineur aux intéressés » (Cons. n°88). L’arrêt n’étant pas définitif, les parties ont 3 mois pour demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.
Rappelons que la GPA, ou maternité de substitution, a un statut juridique différent selon les États : autorisée dans certains États américains souvent contre rétribution, elle jouit d’un statut juridique en Angleterre où la rémunération y est prohibée. Le Code civil français prévoit que les conventions de GPA sont frappées de nullités d’ordre public (C. civ., art. 16-9) mais seule l’entreprise est pénalement sanctionnée (C. pén., art. 227-12). La principale difficulté que rencontraient les parents d’enfants née par GPA était celle du risque de refus de transcription, en droit français, des actes d’état civil (aff. Mennesson c/France et Labassee c/France précitées : refus de transcrire les actes de naissances étrangers des enfants au motif qu’une telle transcription serait contraire à l’ordre public). Toutefois, depuis la circulaire Taubira du 25 janvier 2013, il est possible de délivrer des certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger de parents français, et ce même en cas de recours à une GPA. À l’occasion d’une requête contre cette circulaire (requêtes n°367324), le Conseil d’État a rappelé que « la seule circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l’ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu’implique, en termes de nationalité, le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit, en vertu de l’article 18 du code civil et sous le contrôle de l’autorité judiciaire, lorsque sa filiation avec un Français est établie » (Cons. n°11).
CEDH 27 janv. 2015, Paradiso et Campanelli c/ Italie, n°25358/12
Références
■ CEDH 19 sept. 2000, Gnahoré c/ France, no 40031/98.
■ CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11.
■ CEDH 26 juin 2014, Labassée c/ France, n° 65941/11.
■ CEDH 13 juill. 2000, Scozzari et Giunta c/ Italie, nos 39221/98 et 41963/98.
■ CEDH 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c/ Luxembourg, n°76240/01.
■ CEDH 27 avr. 2010, Moretti et Benedetti c/ Italie, no 16318/07.
■ CE 12 déc. 2014, n° 367324, 366989, 366710, 365779, 367317, 368861
■ Article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme - Droit au respect de la vie privée et familiale
« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »
■ Convention relative aux droits de l'enfant
« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
2. Les Etats parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
3. Les Etats parties veillent à ce que le fonctionnement des institutions, services et établissements qui ont la charge des enfants et assurent leur protection soit conforme aux normes fixées par les autorités compétentes, particulièrement dans le domaine de la sécurité et de la santé et en ce qui concerne le nombre et la compétence de leur personnel ainsi que l'existence d'un contrôle approprié. »
« 1. L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux.
2. Les Etats parties veillent à mettre ces droits en oeuvre conformément à leur législation nationale et aux obligations que leur imposent les instruments internationaux applicables en la matière, en particulier dans les cas où faute de cela l'enfant se trouverait apatride. »
« 1. Les Etats parties s'engagent à respecter le droit de l'enfant de préserver son identité, y compris sa nationalité, son nom et ses relations familiales, tels qu'ils sont reconnus par la loi, sans ingérence illégale.
2. Si un enfant est illégalement privé des éléments constitutifs de son identité ou de certains d'entre eux, les Etats parties doivent lui accorder une assistance et une protection appropriées, pour que son identité soit rétablie aussi rapidement que possible. »
« 1. Les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant.
2. Dans tous les cas prévus au paragraphe 1 du présent article, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues.
3. Les Etats parties respectent le droit de l'enfant séparé de ses deux parents ou de l'un d'eux d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l'intérêt supérieur de l'enfant.
4. Lorsque la séparation résulte de mesures prises par un Etat partie, telles que la détention, l'emprisonnement, l'exil, l'expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu'en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l'un d'eux, ou de l'enfant, l'Etat partie donne sur demande aux parents, à l'enfant ou, s'il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l'enfant. Les Etats parties veillent en outre à ce que la présentation d'une telle demande n'entraîne pas en elle-même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées. »
« 1. Les Etats parties reconnaissent le droit de l'enfant à l'éducation, et en particulier, en vue d'assurer l'exercice de ce droit progressivement et sur la base de l'égalité des chances :
a) Ils rendent l'enseignement primaire obligatoire et gratuit pour tous;
b) Ils encouragent l'organisation de différentes formes d'enseignement secondaire, tant général que professionnel, les rendent ouvertes et accessibles à tout enfant, et prennent des mesures appropriées, telles que l'instauration de la gratuité de l'enseignement et l'offre d'une aide financière en cas de besoin;
c) Ils assurent à tous l'accès à l'enseignement supérieur, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés;
d) Ils rendent ouvertes et accessibles à tout enfant l'information et l'orientation scolaires et professionnelles;
e) Ils prennent des mesures pour encourager la régularité de la fréquentation scolaire et la réduction des taux d'abandon scolaire.
2. Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d'une manière compatible avec la dignité de l'enfant en tant qu'être humain et conformément à la présente Convention.
3. Les Etats parties favorisent et encouragent la coopération internationale dans le domaine de l'éducation, en vue notamment de contribuer à éliminer l'ignorance et l'analphabétisme dans le monde et de faciliter l'accès aux connaissances scientifiques et techniques et aux méthodes d'enseignement modernes. A cet égard, il est tenu particulièrement compte des besoins des pays en développement. »
« Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées, y compris des mesures législatives, administratives, sociales et éducatives, pour protéger les enfants contre l'usage illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, tels que les définissent les conventions internationales pertinentes, et pour empêcher que des enfants ne soient utilisés pour la production et le trafic illicites de ces substances. »
Article 34
« Les Etats parties s'engagent à protéger l'enfant contre toutes les formes d'exploitation sexuelle et de violence sexuelle. A cette fin, les Etats prennent en particulier toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher : < a) Que des enfants ne soient incités ou contraints à se livrer à une activité sexuelle illégale;
b) Que des enfants ne soient exploités à des fins de prostitution ou autres pratiques sexuelles illégales;
c) Que des enfants ne soient exploités aux fins de la production de spectacles ou de matériel de caractère pornographique. »
Article 35
« Les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées sur les plans national, bilatéral et multilatéral pour empêcher l'enlèvement, la vente ou la traite d'enfants à quelque fin que ce soit et sous quelque forme que ce soit. »
Article 36
« Les Etats parties protègent l'enfant contre toutes autres formes d'exploitation préjudiciables à tout aspect de son bien- être. »
« Les dispositions du présent chapitre sont d'ordre public. »
■ Article 227-12 du Code pénal
« Le fait de provoquer soit dans un but lucratif, soit par don, promesse, menace ou abus d'autorité, les parents ou l'un d'entre eux à abandonner un enfant né ou à naître est puni de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende.
Le fait, dans un but lucratif, de s'entremettre entre une personne désireuse d'adopter un enfant et un parent désireux d'abandonner son enfant né ou à naître est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.
Est puni des peines prévues au deuxième alinéa le fait de s'entremettre entre une personne ou un couple désireux d'accueillir un enfant et une femme acceptant de porter en elle cet enfant en vue de le leur remettre. Lorsque ces faits ont été commis à titre habituel ou dans un but lucratif, les peines sont portées au double.
La tentative des infractions prévues par les deuxième et troisième alinéas du présent article est punie des mêmes peines. »
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