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Libertés fondamentales - droits de l'homme
GPA : une procréation contestée, une filiation incontestable
L’action du père biologique en contestation de la paternité du père d’intention d’un enfant issu d’une GPA est irrecevable.
Un couple homosexuel conclut avec une mère porteuse une convention de gestation pour autrui, aux termes de laquelle celle-ci portera, contre rémunération, l’enfant qu’elle concevra à l’aide du sperme de l’un ou de l’autre. Au cours de la grossesse, l’un d’eux reconnaît l’enfant. Peu après l’accouchement, la mère porteuse indique au couple que l’enfant est décédé à la naissance. Or ces derniers apprennent que l’enfant est vivant et réside, avec sa mère, chez un couple marié, qui les héberge depuis la naissance de l’enfant, qui a été reconnu par le mari. Le premier couple porte plainte contre la mère porteuse pour escroquerie. Or l’enquête pénale révèle d’une part que le père biologique de l’enfant était celui qui ne l’avait pas reconnu et, d’autre part, que la mère porteuse avait en même temps convenu avec le second couple de leur confier l’enfant, également contre rémunération, sans leur révéler l’existence du premier couple ni le mode de conception de l’enfant ; enfin, sur l’acte d’état civil de ce dernier, il est indiqué qu’il a pour père l’homme qui l’héberge et l’élève depuis quatre ans. L’ensemble des protagonistes de cette affaire ont été condamnés pénalement.
Le père biologique a alors assigné la mère porteuse et le père d’intention en contestation de la paternité de ce dernier et en établissement de sa propre paternité sur l’enfant.
La cour d’appel déclara son action irrecevable, en raison de l’illicéité du contrat de mère porteuse sur laquelle elle repose.
A l’appui de son pourvoi en cassation, le demandeur conteste le lien ainsi effectué entre l’illicéité de la convention et l’irrecevabilité de son action, arguant de surcroît que celle-ci porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée du principal intéressé : l’enfant.
Avec fermeté, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle qu’aux termes de l’article 16-7 du Code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, et que selon ceux issus de l’article 16-9 du même code, cette prohibition est d’ordre public ; aussi bien, en ayant relevé que l’action du demandeur en contestation de la reconnaissance de paternité du père d'intention, destinée à lui permettre d’établir sa propre filiation sur l’enfant, reposait sur la convention de gestation pour autrui qu’il avait conclue avec la mère, la cour d’appel en a exactement déduit que la demande était irrecevable comme reposant sur un contrat prohibé par la loi.
La Cour juge ensuite que l’arrêt énonce que la réalité biologique n’apparaît pas comme une raison suffisante pour accueillir la demande du père biologique au regard du vécu de l’enfant, qui vit depuis sa naissance chez son père d’intention, qui l’élève avec son épouse dans d’excellentes conditions, de sorte qu’il n’est pas de son intérêt supérieur de voir remettre en cause le lien de filiation avec celui-ci, ce qui ne préjudicie pas au droit de l’enfant de connaître la vérité sur ses origines. La Haute juridiction considère alors que les juges du fond, ayant observé qu’il en est ainsi même si la façon dont ce lien de filiation a été établi par une fraude à la loi sur l’adoption n’est pas approuvée, et précisé que le procureur de la République, seul habilité désormais à contester la reconnaissance du père d’intention, a fait savoir qu’il n’entendait pas agir à cette fin, ont ainsi mis en balance les intérêts en présence, dont celui de l’enfant, qu’ils ont fait prévaloir. Ainsi, la cour d’appel n’a-t-elle pas méconnu les exigences conventionnelles résultant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Par la contradiction qu’elle contient, cette décision est troublante. La singularité des faits à l’origine du litige a sans doute contribué à l’ambiguïté de sa solution. En effet, dans cette affaire, la mère porteuse a simultanément conclu deux conventions de mère porteuse, avec deux couples distincts, chacun croyant être les seuls commanditaires de l’enfant à naître ; or une seule de ces conventions a été effectivement exécutée. Mais alors que la première est érigée, en raison de son illicéité, en fin de non-recevoir à l’exercice d’une action relative à la filiation, la seconde échappe, malgré son illicéité, à la nullité par principe encourue, comme le rappelle d’ailleurs solennellement la Cour, la filiation paternelle établie sur son fondement demeurant en conséquence maintenue, quoique « désapprouvée » par les juges. Deux poids, deux mesures.
Marquant à premières vues l’hostilité des juges vis-à-vis de la GPA, la solution donne l’apparence d’une fermeté que l’inaction du procureur de la République conduit à affaiblir, voire à rendre factice puisque finalement, l’enfant né de la GPA stipulée dans le second contrat verra sa filiation paternelle, pourtant établie en « fraude à la loi » à l’égard de son père d’intention, transcrite sur son acte d’état civil. Dans cette affaire, le choix du ministère public, habilité à remettre en cause un lien de filiation établi notamment « en cas de fraude à la loi » (C. civ., art. 336) est d’autant plus surprenant que sa liberté d’agir avait été fortement restreinte par la Cour de cassation il y a quelques années dans une affaire où la filiation avait également été établie à l’égard d’un couple, hétérosexuel, ayant eu recours à une gestation pour autrui (Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-18.315) : la Haute juridiction avait en effet affirmé que dès lors qu’une fraude à la loi était caractérisée, la reconnaissance paternelle « devait » être annulée (par le ministère public), à l’effet légitime de garantir l’effectivité de la prohibition de la GPA, donc de ne pas la réduire à une seule affirmation de principe… De surcroît, le rôle du ministère public revêt en cette matière une importance certaine : garant du respect de la loi, il dispose à cet effet d’un délai pour agir en contestation plus long que celui qui encadre les actions réservées aux simples particuliers. Ainsi, alors que ces derniers sont définitivement privés du droit d’agir en contestation à l’expiration d’un délai de cinq ans, le ministère public échappe à cette restriction, visant à préserver la stabilité des familles, puisqu’il dispose d’un délai de dix ans (C. civ., art. 321), allongement justifié par la finalité de son droit d’agir, celle d’anéantir les liens de filiation établis en fraude à la loi française. On comprend néanmoins qu’en l’espèce, la nécessité de préserver l’intérêt de l’enfant a été jugée plus impérieuse que celle de sanctionner la fraude commise par ses parents. L’incohérence de la solution reste néanmoins contestable, d’autant plus qu’à la différence de la maternité, liée à l’accouchement, la paternité repose essentiellement sur la vérité génétique en sorte que lorsqu’elles ont trait à la paternité, les actions en contestation supposent presque toujours d’établir que le père n’est pas le géniteur ce qui en l’espèce, rendait légitime l’action du demandeur, père biologique de l’enfant, malgré le caractère illicite de sa transaction avec la mère porteuse. En effet, si son action avait été jugée recevable, elle aurait sans nul doute abouti puisque la paternité contestée était génétiquement mensongère. En outre, la loi ne fait pas dépendre la recevabilité des actions relatives à la filiation de la conformité à la loi du mode de conception. Quoi qu’il en soit, son action, quoique jugée irrecevable, était certainement bien-fondée.
Contradictoire, la décision rapportée est également immorale puisqu’elle conduit à valider une filiation à double titre mensongère : conçue à partir des déclarations trompeuses de la mère à l’ensemble de ses « cocontractants », celle finalement reconnue l’est au mépris de la vérité biologique.
Elle est néanmoins pacifique : propices aux révélations tapageuses, les actions relatives à la filiation présentent toujours le risque d’ébranler l’enfant, auquel toute vérité n’est pas bonne à dire… En l’espèce, les juges ont donc fait primer l’intérêt de l’enfant, manifestement épanoui et parfaitement élevé par le second couple depuis sa naissance, sur toute autre considération.
Civ. 1re, 12 sept. 2019, n° 18-20.472
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Art. 8 « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ Civ. 1re, 13 sept. 2013, n° 12-18.315 P : Dalloz Actu Étudiant, 3 oct. 2013 ; D. 2013. 2382, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2349, chron. H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 2377, avis C. Petit ; ibid. 2384, note M. Fabre-Magnan ; ibid. 2014. 689, obs. M. Douchy-Oudot ; ibid. 954, obs. REGINE ; ibid. 1059, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; ibid. 1171, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 1516, obs. N. Jacquinot et A. Mangiavillano ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; AJ fam. 2013. 579, obs. F. Chénedé ; ibid. 532, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; ibid. 600, obs. C. Richard et F. Berdeaux-Gacogne ; AJCT 2013. 517, obs. R. Mésa ; Rev. crit. DIP 2013. 909, note P. Hammje ; RTD civ. 2013. 816, obs. J. Hauser
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