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Droit européen et de l'Union européenne
Halte à la chasse aux prestations sociales
Mots-clefs : Citoyen européen, Prestations sociales à caractère non contributif, Travailleur, Non-discrimination, Droit de séjour
Le demandeur d’emploi bénéficie d’un régime protecteur dans l’État d’accueil lors des six mois suivants la fin de son activité. Au-delà de cette période, les conditions d’un séjour régulier dans l’État membre d’accueil ne sont plus réunies au sens de la directive 2004/38/CE. Il ne peut alors bénéficier du principe de non-discrimination relatif aux versements de prestations sociales à caractère non contributif. La situation du demandeur d’emploi est alors pleinement assimilable à celle de l’inactif, réduisant à néant l’usage de la mobilité uniquement à des fins de bénéficier de prestations sociales avantageuses.
Les libertés de circulation et de séjour font l’objet d’une attention particulière au niveau de l’Union européenne ces derniers temps. Si les regards sont principalement portés sur les migrants, la situation des ressortissants des États membres pose également des difficultés spécifiques, quant aux conditions d’accès à des prestations sociales à caractère non contributif au moment où la situation économique des États diverge. Si le principe énoncé est celui de la non-discrimination, il existe également des régimes d’exception, qui ont longtemps été ignoré, tant il fallait favoriser l’usage de la mobilité. Ces régimes deviennent aujourd’hui incontournables, d’une part, directement afin de préserver l’équilibre budgétaire des États, d’autre part, indirectement pour s’assurer des motivations légitimes des citoyens européens faisant usage de leur mobilité. La quête des prestations sociales plus avantageuses ou plus accessibles ne peut constituer la dynamique de la mobilité dans le marché intérieur. Cette approche avait déjà été rappelée dans l’arrêt Dano du 11 novembre 2014 à l’égard des inactifs, elle est confirmée fermement par la Cour de justice à l’égard des demandeurs d’emploi dans cet arrêt Alimanovic du 15 septembre 2015, sur le fondement de la directive 2004/38/CE, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
Le contentieux est lié à la situation de Madame Alimanovic et de ses trois enfants. Bien que ses trois enfants soient nés en Allemagne, toute la famille a la nationalité suédoise. En effet, après avoir vécu en Allemagne, la famille s’est installée durablement en Suède entre 1999 et 2010, avant de revenir sur le territoire allemand. Madame Alimanovic et sa fille aînée ont trouvé du travail en Allemagne, mais seulement des emplois de courte durée entre juin 2010 et mai 2011. Elles n’ont pas exercé d’emploi après cette date. Madame Alimanovic a perçu à partir de décembre 2011 diverses prestations à commencer par des allocations familiales, des prestations sociales et, comme sa fille, une prestation d’assurance de base. Le versement de l’ensemble des prestations a été remis en cause par les autorités allemandes à la suite d’une modification du champ d’application de la législation allemande. Contrariée de ne plus recevoir de prestations, Madame Alimanovic a introduit une procédure au cours de laquelle s’est posée la question de la compatibilité de la décision allemande avec le droit de l’Union et principalement la directive 2004/38/CE et le règlement 883/2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
Dans un premier temps, la Cour recherche à quelle catégorie se rattachent les prestations allemandes. Cet élément est essentiel pour déterminer ensuite le régime juridique applicable, les travailleurs devant pleinement bénéficier du traitement national pour les prestations contributives et notamment celle permettant de favoriser un retour à l’emploi. Les demandeurs d’emploi sont assimilés aux travailleurs au moins pour une période de six mois s’ils recherchent effectivement un emploi, selon la directive précitée. Or, Madame Alimanovic et sa fille peuvent bénéficier de la qualité de demandeurs d’emploi au regard des faits. Après examen du contenu du règlement 883/2004, la Cour conclut que les prestations en cause ont un caractère non contributif, c’est-à-dire qu’elles sont versées indépendamment de toute cotisation par le bénéficiaire.
Dans un deuxième temps, la Cour analyse si la position allemande est compatible avec le contenu de la directive 2004/38/CE. La Cour confirme tout d’abord que le principe de non-discrimination pour les prestations sociales ne peut s’appliquer qu’à des personnes qui séjournent régulièrement, au sens de cette même directive, dans l’État membre d’accueil (art. 24, § 1). Un séjour n’est régulier que si la personne a les ressources suffisantes. Or Madame Alimanovic n’a pas les ressources suffisantes. Cependant, cette exigence est présentée différemment pour les demandeurs d’emploi. Deux régimes d’exception existent.
Le premier est celui par lequel le séjour demeure régulier au moins six mois après la perte de l’emploi s’il y a eu au moins un emploi d’un an, qu’il a été perdu involontairement (licenciement, fin de CDD) et qu’il y a eu ensuite une recherche effective, notamment par une inscription auprès du service d’emploi compétent. En l’espèce, les conditions ne sont pas réunies pour le requérant pour bénéficier de cette hypothèse, ne serait-ce qu’en l’absence d’un emploi d’une durée d’un an.
Le second régime est celui de l’arrivée dans l’État membre d’accueil pour trouver un emploi. Cependant, pour ce dernier régime, le droit au traitement national n’est pas systématique puisque l’État peut se fonder sur le régime dérogatoire de l’article 24, paragraphe 2 de la directive qui exclut un versement des prestations sociales lors des cinq premières années de résidence. La Cour explique cette position par l’exigence de respecter le contenu de la directive qui a conditionné le droit de séjour au fait que les citoyens des autres États membres ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système de l’assistance sociale de l’État.
Dans un troisième temps, la Cour revient sur l’exigence qu’elle avait posée d’un examen individuel de toute situation donnant lieu à des demandes de prestations sociales, afin d’éviter une exclusion systématique. La Cour estime que cet examen n’est pas nécessaire, étant donné que la directive, par son contenu, offre une sécurité juridique suffisante et la qualité de travailleurs étant progressivement retirée.
Le demandeur d’emploi, au-delà d’une période de six mois d’inactivité, se retrouve économiquement dans une situation comparable aux inactifs et ne bénéficie pas davantage d’un droit systématique aux prestations sociales. Cette jurisprudence rompt une nouvelle fois avec l’idée que les déplacements des citoyens ne pourraient être guidés qu’en fonction du niveau de prestations.
CJUE 15 sept. 2015, Jobcenter Berlin Neukölln c/ Nazifa Alimanovic et autres, n° C-67/14
Références
■ Directive 2004/38/CE, du 29 avr. 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
■ Règlement 883/2004, du 29 avr. 2004 sur la coordination des systèmes de sécurité sociale.
■ CJUE, gr. Ch., 11 nov. 2014, Dano, n° C-333/13.
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