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[ 7 mars 2022 ] Imprimer

Droit pénal général

Harcèlement moral en maternelle : l'agent territorial responsable pénalement, l'État civilement, le juge judiciaire seul compétent

En vertu de l’article L. 911-4 du code de l'éducation, lorsque la responsabilité d'un membre de l'enseignement public se trouve engagée à la suite d'un fait dommageable commis au détriment des élèves qui lui sont confiés, la responsabilité de l'État est substituée à celle de l'enseignant, qui ne peut jamais être mis en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. L'action en responsabilité, exercée par la victime, ses parents ou ses ayants droit, intentée contre l'État, est portée devant le tribunal de l'ordre judiciaire du lieu où le dommage a été causé et est dirigée contre l'autorité académique compétente.

Crim. 2 févr. 2022, n° 21-82.535 B

En l’espèce, une agent territoriale spécialisée des écoles maternelles a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour avoir harcelé deux enfants, scolarisés dans l'école où elle exerçait, avec la circonstance qu'ils étaient mineurs de 15 ans. Par jugement du 22 juin 2020, le tribunal l’a condamné à six mois de sursis probatoire, une interdiction professionnelle définitive et a statué sur les actions civiles. La condamnation fut confirmée en appel. Elle a formé un pourvoi en cassation reprochant à la Cour d’appel d’avoir déclaré recevables les constitutions de parties civiles et de l’avoir déclaré civilement responsable du préjudice subi par les parties civiles et condamnée à les indemniser. Selon les juges, elle aurait commis une faute détachable de ses fonctions. La responsabilité civile de l'agent pouvait donc être recherchée en même temps que la responsabilité pénale devant le juge pénal.

Selon la demanderesse au pourvoi, les règles de compétence des juridictions auraient été méconnues. L’article L. 911-4 du code de l'éducation prévoyant que lorsque la responsabilité d'un membre de l'enseignement public se trouve engagée à la suite d'un fait dommageable commis au détriment des élèves qui lui sont confiés, la responsabilité de l'État est substituée à celle de ce membre qui ne peut jamais être mise en cause devant les tribunaux civils par la victime ou ses représentants. Ce faisant, elle soutient que les juges ont violé une règle de compétence, règle qui est d'ordre public et peut donc être soulevée à tout moment, y compris d'office.

Au visa de l’article L. 911-4 du code de l'éducation, la chambre criminelle casse l’arrêt rappelant dans un premier temps que le juge pénal, après avoir déclaré la prévenue coupable de harcèlement moral aggravé commis dans l'exercice de son activité d'agent des écoles maternelles, ne peut pas se prononcer sur d'éventuelles réparations dues par l’agent communal car celui-ci est civilement irresponsable. L’application de cette règle supposant d’établir que le dommage a été causé par un membre de l’enseignement public, la cour précise dans un second temps que doit être considéré comme tel, « l'agent territorial spécialisé des écoles maternelles, qui appartient à la communauté éducative et remplit une mission d'accueil des élèves, d'assistance pédagogique et de surveillance, auquel est imputée une faute pénale commise à l'occasion d'activités scolaires ou périscolaires, d'enseignement ou de surveillance ».

Depuis la loi du 5 avril 1937 (aujourd’hui codifié à l'art. L. 911-4 C. éduc.), les textes instituent une responsabilité générale de l'État, mise en jeu devant les tribunaux de l'ordre judiciaire, pour tous les cas où un dommage causé à un élève trouve son origine dans la faute d'un membre de l'enseignement public. La compétence en matière d'indemnisation due par l'État est octroyée exceptionnellement au juge judiciaire, et ce, même si l'agent n'a pas agi en dehors de ses fonctions (Crim. 20 sept. 2006, n° 05-87.229). Il n'est dérogé à cette règle que dans le cas où le préjudice subi est regardé comme indépendant du fait de l'agent, soit que ce préjudice ait son origine dans un dommage afférent à un travail public, soit qu'il trouve sa cause dans un défaut d'organisation du service (CE, 3 nov. 1978, n° 04615 A). Dans ce cas seulement, la compétence des tribunaux administratifs retrouve son empire. En l’espèce, le dommage causé trouvait son origine dans les faits pénalement répréhensibles de harcèlement moral, constitutifs à n’en pas douter d’une faute pour l’agent.

Cette réparation, qui échet à la compétence de l’ordre judiciaire, peut être demandée au juge civil ou au juge pénal (Cass. ch. mixte, 23 avr. 1976, n° 74-90.569). L'action doit être exercée contre l'autorité académique compétente depuis la loi du 16 févr. 2015 (n° 2015-177) et non plus contre le représentant de l'État dans le département (ie le préfet).

Reste que cette substitution de la responsabilité de l’État est conditionnée par la notion de « membre de l'enseignement public ». La question se pose avec acuité pour les agents de la commune chargés d'assurer la surveillance des enfants, notamment dans les écoles maternelles. Selon le tribunal des conflits, les agents communaux pendant le temps périscolaire ne peuvent être considérés comme des membres de l'enseignement public. Ainsi avait-il pu affirmer que « la qualité de membre de l'enseignement public doit être étendue à toutes les personnes qui, dans l'établissement ou au dehors, participent à l'encadrement des enfants dans toutes les activités réalisées dans un but d'enseignement. Elle ne saurait s'appliquer aux personnes, agents de la commune, chargées de la surveillance des enfants pendant le déroulement de la cantine et les périodes qui la précèdent, après la sortie de classe, et la suivent, jusqu'à la rentrée en classe, dès lors que l'activité ainsi organisée se limite à la prise en charge des enfants en vue de les nourrir et de les détendre, sans poursuivre une fin éducative ». (T. confl., 30 juin 2008, n° C3671 B).

En l’espèce, la chambre criminelle adopte une approche similaire, considérant comme membre de l’enseignement un « agent territorial spécialisé des écoles maternelles, qui appartient à la communauté éducative et remplit une mission d'accueil des élèves, d'assistance pédagogique et de surveillance ». Le critère de la finalité éducative de la participation des agents communaux en charge de la surveillance des enfants les inscrit dans une mission relevant du service de l'enseignement public et leur confère donc la qualité de membre de l’enseignement public.

Rappelons en dernier lieu, que ce régime d'indemnisation spécifique, s’il impose aux parties civiles de saisir le juge judiciaire pour statuer sur la responsabilité de l’État substitué à l’agent, n’implique pas que l’État soit le débiteur de la charge définitive de la dette. Une action récursoire peut être exercée par l'État soit contre le membre de l'enseignement public, soit contre les tiers, conformément au droit commun (CE, 13 juill. 2007, n° 297390 A). L’action subrogatoire, qui apparaît comme le moyen de replacer l’agent face à̀ ses responsabilités, relève alors de la seule compétence du juge administratif (CE, 13 juill. 2007, préc.).

Références :

■ Crim. 20 sept. 2006, n° 05-87.229 P ; AJDA 2007. 106 ; D. 2007. 187, note C. Ambroise-Castérot ; ibid. 973, obs. J. Pradel ; AJ pénal 2006. 503, obs. G. Roussel ; RSC 2007. 116, obs. A. Giudicelli.

■ CE, 3 nov. 1978, n° 04615 A

■ Cass. ch. mixte, 23 avr. 1976, n° 74-90.569, P ; D. 1977, Jur. p. 21, note Martin.

■ T. confl., 30 juin 2008, n° C3671 B ; AJDA 2009. 706, note Bouteiller.

■ CE, 13 juill. 2007, no 297390 A ; AJDA 2007. 1437 ; AJFP 2008. 30, et les obs.

 

Auteur :Caroline Lacroix


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