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[ 26 octobre 2016 ] Imprimer

Droit pénal général

Harcèlement moral : le salarié auteur d’une dénonciation ne peut être poursuivi pour diffamation

Mots-clefs : Harcèlement moral, Diffamation, Droit du travail, Dénonciation calomnieuse

La dénonciation à son employeur de faits de harcèlement moral ne peut être poursuivie pour diffamation, la qualification de dénonciation calomnieuse pouvant s’appliquer s’il est établi que le salarié avait connaissance de la fausseté des faits allégués.

Par son arrêt du 28 septembre 2016, la première chambre civile précise sur quel fondement la personne dénoncée comme auteur de harcèlement moral peut agir contre le dénonciateur.

En l’espèce, le 28 décembre 2010, Mme X., qui soutenait avoir été victime de harcèlement moral de la part du chef de cuisine et du chef de section des cuisines de l’établissement où elle était employée en qualité d’employée polyvalente, envoya au DRH de la société une lettre dénonçant ses faits, dont copie fut adressée au CHSCT et à l’inspection du travail. Estimant le contenu de la lettre diffamatoire, la société et les deux prétendus agresseurs assignèrent Mme X. en réparation de leurs préjudices sur le fondement des articles 29, alinéa 1er, et 32, alinéa 1er, de loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui incriminent la diffamation publique envers des particuliers.

Les juges du fond accueillirent cette demande, estimant applicables les articles précités, au motif que « les articles L. 1152-1 et suivants du code du travail [qui] ont instauré un statut protecteur au bénéfice du salarié victime de harcèlement moral, (…) n'édictent pas une immunité pénale au bénéfice de celui qui rapporte de tels faits au moyen d'un écrit, de sorte que son rédacteur est redevable, devant le juge de la diffamation, de la formulation de ses imputations ou allégations contraires à l'honneur ou à la considération des personnes qu'elles visent ». 

Statuant sur le pourvoi formé par la salariée, la première chambre civile casse et annule l’arrêt d’appel au visa notamment des articles L. 1152-2 (relatif aux incidences professionnelles du harcèlement), L. 4131-1, alinéa 1er (relatif aux conditions d’exercice du droit d’alerte de l’employeur en cas de « situation dont le travailleur a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ») du Code du travail et 122-4 du Code pénal (relatif au fait justificatif de permission de la loi).

La Haute cour énonce ainsi qu’il résulte de la combinaison des textes visés que « les salariés sont autorisés par la loi à dénoncer auprès de leur employeur et des organes chargés de veiller à l’application des dispositions du code du travail, les agissements répétés de harcèlement moral dont ils estiment être victimes ». Mais elle constate ensuite que la mauvaise foi du diffamateur est nécessairement présumée, qu’elle ne peut être renversée que par la preuve, par ce dernier, soit de la vérité des faits (exceptio veritatis de l’art. 35 de la loi sur la presse, laquelle obéit à une procédure précise, détaillée à l’art. 55) soit de sa bonne foi (supposant d’établir la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence dans l’expression et la fiabilité de l’enquête), et que « la croyance en l’exactitude des imputations diffamatoires ne suffit pas, en revanche, à reconnaître à leur auteur le bénéfice de la bonne foi ».

Estimant que de telles exigences probatoires sont de nature à faire obstacle à l’effectivité du droit du salarié de dénoncer des faits de harcèlement moral, reconnu par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 de modernisation sociale, la première chambre civile estime en conséquence que « la relation de tels agissements, auprès des personnes précitées, ne peut être poursuivie pour diffamation » ; elle précise cependant que, « lorsqu’il est établi, par la partie poursuivante, que le salarié avait connaissance, au moment de la dénonciation, de la fausseté des faits allégués, la mauvaise foi de celui-ci est caractérisée et la qualification de dénonciation calomnieuse peut, par suite, être retenue ». 

Selon l’article 29, alinéa 1er, de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, diffamer consiste à alléguer ou imputer un fait portant atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. Les contraintes probatoires pesant sur l’auteur des propos proviennent de la particularité de cette infraction : en effet, le diffamateur a nécessairement la conscience et la volonté d’atteindre l’honneur ou la considération de la personne, de sorte que l’élément moral (la mauvaise foi) est présumé ; d’ailleurs il subsistera, même si les éléments de la bonne foi sont établis et les allégations justifiées (sur la présomption de l’élément moral, V. Cass., QPC, 31 mai 2010, n° 09-87.578). 

La dénonciation calomnieuse, quant à elle, correspond à « la dénonciation, effectuée par tout moyen et dirigée contre une personne déterminée, d’un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l’on sait totalement ou partiellement inexact, (…) adressée soit à un officier de justice ou de police administrative ou judiciaire, soit à une autorité ayant le pouvoir d’y donner suite ou de saisir l’autorité compétente, soit aux supérieurs hiérarchiques ou à l’employeur de la personne concernée » (C. pén., art. 226-10). Pour être constituée, elle exige de faire la preuve de la mauvaise foi du dénonciateur, laquelle consiste dans la connaissance de la fausseté du fait dénoncé au moment où la dénonciation a été portée (V. Crim., QPC, 8 avr. 2014, n° 14-90.006). Cette preuve, selon les termes du droit commun, appartiendra à la « partie poursuivante », comme l’énonce la Cour de cassation (donc au ministère public en cas de poursuites pénales, et aux parties demanderesses en cas d’action en réparation portée devant le juge civil, comme en l’espèce).

Civ. 1re, 28 sept. 2016, n° 15-21.823

Références

■ Rép. pén. Dallozvo Presse [Procédure], nos 695 s., par P. Guerder.

■ Rép. pén. Dallozvo Dénonciation calomnieuse, nos 158 s., par Y. Mayaud.

■ Cass., QPC, 31 mai 2010, n° 09-87.578, Dalloz actualité, 17 juin 2010, obs. S. Lavric ; RSC 2010. 640, obs. J. Francillon ; ibid. 2011. 178, obs. B. de Lamy.

■ Crim., QPC, 8 avr. 2014, n° 14-90.006, Dalloz actualité, 16 avr. 2014, obs. C. Fleuriot ; D. 2014. 930 ; ibid. 2423, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et C. Ginestet ; RSC 2014. 344, obs. Y. Mayaud.

 

Auteur :S. L.


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