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Droit pénal général
Harcèlement moral : retour sur quelques éléments constitutifs
La répression du harcèlement moral se décline au travers de plusieurs dispositions du code pénal, que ce comportement soit réprimé dans des cas particuliers (relations professionnelles ou relations de couple) ou fulminé de manière générale depuis la loi du 4 août 2014.
Les définitions des trois incriminations sont construites selon une structure similaire et présentent des éléments constitutifs pour partie communs. L’arrêt rendu par la chambre criminelle le 9 mai dernier, relatif à des poursuites engagées à l’encontre d’un individu du chef de harcèlement moral sur son ancienne conjointe et du chef de harcèlement moral aggravé sur leur fille mineur commune, est l’occasion de revenir sur deux des éléments constitutifs: la condition de répétition des comportements, invariant commun et l’élément tenant aux conséquences d'ordre personnel pour la victime, élément dont la définition varie selon l’infraction de harcèlement.
● Le harcèlement moral est une infraction d’habitude
Aux termes de l’article 222-33-2-1 du Code pénal qui réprime le harcèlement au sein du couple, l’infraction se matérialise par l'existence de « propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie ». Si le texte ne précise pas quels sont les comportements et les propos qui ont pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de vie d'une personne, il impose en revanche qu’ils soient réitérés (sur la question de la répétition, V. P. Mistretta, Rép. pén., v° Harcèlement, nos 54 s.).
En l’espèce, pour entrer en voie de condamnation, les juges retenaient que le prévenu « avait adressé, le 3 mars 2016, au collège dans lequel [son ex-femme] travaille, deux courriers contenant divers documents relatifs à leur contentieux conjugal, destinés, l’un, au professeur de mathématiques des classes de cinquième, l'autre, aux professeurs principaux des classes de troisième, et qu’en agissant ainsi, il a eu pour objectif de divulguer largement un contentieux privé, dans l'intention délibérée de nuire à son ex-compagne ».
Au visa de l'article 222-33-2-1 du Code pénal, la chambre criminelle casse l’arrêt rappelant utilement que « l’envoi concomitant de courriers identiques ou similaires à des collègues de la victime, sur leur lieu de travail commun, ne caractérise qu’un fait unique ». La cassation est logique. Le verbe répéter implique que ce n’est qu’au deuxième acte que la répétition apparaît. Le harcèlement moral est une infraction d'habitude qui exige le renouvellement du comportement sur une période de temps plus ou moins courte.
Si le délit de harcèlement moral n'exige pas que les agissements répétés soient de nature différente (Crim. 26 janv. 2016, no 14-80.455), faut-il encore que les juges caractérisent « la répétition et la systématisation d'attitudes, de paroles, de comportements, qui pris séparément peuvent paraître anodins, mais qui à la longue, sous l'effet de la réitération deviennent punissables » (Mistretta, préc.). Tel n’est pas le cas en l’espèce, un seul comportement avait été relevé. Le fait que la divulgation du contentieux familial par courrier ait été faite auprès de plusieurs personnes ne caractérise pas un enchaînement de comportements mais la multiplication du même acte.
● L'acte de harcèlement moral doit être susceptible de produire les conséquences visées par la loi pour consommer matériellement l'infraction.
L'article 222-33-2-2 du Code pénal impose que le harcèlement moral ait eu « pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une altération de la santé physique ou mentale ». Une double exigence est requise pour caractériser l’infraction : à la démonstration de l'existence d'une dégradation au moins potentielle des conditions de vie, il faut encore caractériser que cette dégradation a porté atteinte à la santé physique ou mentale de la victime (Chauvet, Mérites ou démérites du délit général de harcèlement moral créé par la loi du 4 août 2014?, D. 2015. 174).
En l’espèce, pour entrer en voie de condamnation pour harcèlement moral à l’encontre de sa fille, les juges retenaient que le prévenu « lui a adressé plusieurs textos qui font constamment référence à un contentieux parental nécessairement douloureux et, en l’y impliquant personnellement, ne pouvaient qu'être culpabilisants, et qu’il a rendu la situation encore plus difficile pour sa fille en révélant le contentieux familial à ses amis, par textos ou par un réseau social ». Les juges ajoutaient également « que ces agissements répétés sont évidemment de nature à fragiliser psychologiquement [la victime] ».
Une fois encore la chambre criminelle censure l’arrêt reprochant aux juges d’appel de ne pas avoir « mieux caractérisé en quoi les actes reprochés au prévenu ont eu pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de vie de la victime se traduisant par une atteinte à sa santé physique ou mentale ». C’est ici l’insuffisance de motivation qui est stigmatisée et plus particulièrement le recours à l’évidence quant aux conséquences sur la santé de la victime.
Pour bien comprendre, il faut se rappeler la dichotomie rédactionnelle, critiquée par la doctrine (V. par ex. V. P. Mistretta, Rép. Pén, préc.), entre l’infraction de harcèlement moral limitée aux relations de travail et les infractions de harcèlement moral conjugal ou général. En effet concernant le harcèlement moral dans le cadre des relations de travail, prévu à l’article 222-33-2 du Code pénal, la dégradation des conditions de travail comme les conséquences d’ordre personnel peuvent être éventuelles. Le législateur ayant retenu la formule : « ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, » (Crim. 6 déc. 2011, no 10-82.266), la chambre criminelle retient que « la simple possibilité d'une telle dégradation suffit à consommer le délit de harcèlement moral (Crim. 14 janv. 2014, n° 11-81.362), et ce, sans qu’il soit nécessaire de prouver l'existence d'une altération de la santé physique ou mentale de la victime pour poursuivre le harceleur.
En revanche, s'agissant du harcèlement moral du partenaire visé à l’article 222-33-2-1 du Code pénal ou du harcèlement général prévu à l’article 222-33-2-2 du même code, la simple possibilité de la dégradation de vie ou une altération de la santé physique ou mentale de la victime ne suffit pas, dans la mesure où les textes visent une dégradation des conditions de vie « se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale ». Cela signifie qu'il est nécessaire de prouver l'existence d'une altération de la santé physique ou mentale de la victime pour poursuivre le harceleur. Il semble que la chambre criminelle opte en l’espèce pour un caractère non formel mais matériel de l'infraction. Les juges du fond auraient dû établir une altération réelle de la santé mentale de la victime pour entrer en voie de condamnation.
Une telle solution est regrettable puisqu’elle revient à démentir l’idée que « la répression ne peut dépendre de la capacité de résistance de la victime du harcèlement moral » (M. Ségonds, Un an de droit pénal du travail, Dr. pénal 2014. chron. 10).
Crim. 9 mai 2018, n° 17-83.623
■ Fiche orientation Dalloz: Harcèlement moral
■ Crim. 26 janv. 2016, no 14-80.455 P: D. 2016. 316 ; RSC 2016. 71, obs. Y. Mayaud.
■ Crim. 6 déc. 2011, no 10-82.266 P: AJDA 2012. 567 ; D. 2012. 225, obs. C. Girault ; AJFP 2012. 191 ; AJ pénal 2012. 97, obs. J. Gallois ; Dr. soc. 2012. 538, obs. F. Duquesne ; RSC 2012. 138, obs. Y. Mayaud.
■ Crim. 14 janv. 2014, n° 11-81.362 P: AJ pénal 2014. 301, obs. C. Porteron ; Dr. soc. 2014. 827, chron. R. Salomon ; ibid. 948, chron. R. Salomon ; RSC 2014. 66, obs. Y. Mayaud.
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