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[ 14 mars 2022 ] Imprimer

Droit pénal général

Homicide involontaire : la faute délibérée tombe à l’eau, la faute caractérisée reste sur le bateau

Lorsque la prévention spécifie que l'infraction d'homicide involontaire résulte d'une violation délibérée d'une obligation particulière de sécurité ou de prudence, au sens de l'article 121-3, alinéa 4, du code pénal, les juges du fond peuvent retenir que les manquements qu'ils constatent constituent la faute caractérisée prévue par le même texte, dès lors qu'ils ont eu pour résultat d'exposer autrui à un risque d'une particulière gravité que le prévenu ne pouvait ignorer.

Crim. 8 févr. 2022, n° 21-83.708 B

Le 12 septembre 2014, un matelot sur le navire de pêche Isle d'Her, en action de pêche aux nasses dans le sud de Belle-Île, est tombé à la mer, entraîné par un orin relié aux engins de pêche. Un autre matelot a sauté à la mer pour lui porter secours, en vain. Le corps du premier matelot n'a pas été retrouvé. L'enquête du bureau d'enquêtes sur les événements de mer et celle de la gendarmerie ont révélé qu'à l'occasion de l'emploi d'une technique nouvelle de pêche aux nasses, peu usitée dans la région, la victime devait fréquemment traverser la partie du pont encombrée par les filins et les orins et qu'à l'occasion de la mise à l'eau d'une nasse, sa jambe a été prise dans un orin solidaire de cette dernière, qui l'a entraîné à la mer.

Le 26 septembre 2016, les juges du premier degré ont condamné l’employeur de la victime pour homicide involontaire, sa responsabilité avait été logiquement examinée dans le cadre d'une causalité indirecte, en retenant à son encontre une violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail, en l'espèce en lui fournissant un poste de travail inadapté à la nouvelle technique de pêche, en ne consignant pas dans le document unique d'évaluation des risques ces nouveaux risques inhérents à la nouvelle méthode de pêche, en ne portant pas à la connaissance de l'équipage ce document unique d'évaluation des risques professionnels et en ne dispensant aucune formation aux nouvelles techniques de travail. La décision fut confirmée en appel. Un premier pourvoi entraîna une cassation de l’arrêt pour un motif procédural (Crim. 15 oct. 2019, n° 18-85.231). De nouveau condamné par la cour d’appel de renvoi, pour homicide involontaire, à deux ans d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende et deux ans d'interdiction professionnelle, l’employeur forma un nouveau pourvoi.

Il dénonçait sa condamnation sur le fondement de la faute délibérée, contestant que la méconnaissance d'obligations de formation, d'information ou de prévention imposées à l'ensemble des employeurs par les articles L. 4141-1L. 4141-2R. 4121-3R. 4141-13 et R. 4141-16 du code du travail fût « particulière » au sens des articles 121-3 du code pénal.

Rappelons que pour caractériser la faute délibérée, les juges doivent identifier l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité́ imposée par la loi ou le règlement. La nature de l’obligation circonscrit la faute ; l’obligation doit être particulière et non générale. L’obligation particulière est définie comme celle « qui impose un modèle de conduite circonstanciée » (M. Puech, « De la mise en danger d’autrui », D. 1994. 153 ; Crim 25 juin 1996, n° 95-86.205 ; Aix en Provence, 22 nov. 1995, n° XAP221195X), fixant de manière objective l'attitude à adopter sans faculté d’appréciation individuelle (Grenoble, 19 févr. 1999, n° XGRE190299X).

En l’espèce, la Cour de cassation fait l'économie d'une motivation sur cette question mais s’appuyant sur les constatations des juges d’appel, requalifie la faute et admet que l’employeur a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer. Le pourvoi est en conséquence rejeté.

Faute originale, à la fonction complémentaire des autres fautes non intentionnelles (A. Ponseille, « La faute caractérisée en droit pénal », RSC 2003. 79), dont la chambre criminelle a admis la conformité avec les principes d’intelligibilité ou de prévisibilité de la loi (Crim. 24 sept. 2013, n° 12-87.059), la faute caractérisée s’entend donc d’abord comme une faute d’imprudence, de négligence ou un manquement à une obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement d’une indiscutable gravité (TGI La Rochelle, 7 sept. 2000, n° XTGILR070900X). En l’espèce, la cour d’appel avait relevé au titre des manquements que le décès de la victime « trouve son origine dans le fait qu'elle était amenée, pour exécuter son travail, à se déplacer sur une partie du pont encombrée de filins et de pattes d'oie, dans un désordre certain et n'avait pas d'autres choix que de se déplacer, au sein de ce poste de travail de mise à l'eau des nasses, avec des obstacles dans les pieds, rendant tout mouvement, pourtant inhérent à la mission à exécuter, porteur de risque, la précaution d'enjamber les orins étant largement insuffisante à assurer la sécurité de son lieu de travail ». Ils ajoutaient « que l'inadaptation du plan de travail dédié au filage des lignes de nasses, l'insuffisance des moyens précis et sérieux proposés par l'employeur pour remédier au risque de se faire entraîner par des engins de pêche et l'absence totale de formation à la sécurité, dans un contexte très particulier de mise en place d'une nouvelle technique, surexposant les matelots au risque de blessure et de chute en mer ».

L’auteur de la faute doit en outre exposer autrui à un risque grave qu’il ne pouvait ignorer. L’établissement de cette faute suppose la démonstration de la connaissance par l’auteur du risque, l’existence du danger ou qu’il disposait d’informations lui permettant de l’envisager comme probable (Crim. 10 déc. 2002, n° 02-81.415). À ce titre, les juges du fond constataient que « d'une part, l’employeur qui avait embarqué quelques jours sur le bateau pour observer la mise en place de la pêche aux nasses, a perçu les difficultés associées à la manipulation d'objets encombrants et lourds et à la présence aux pieds des matelots de filins et orins et n'a pas adapté son bateau à ces contraintes de travail, pourtant étroitement associées à des enjeux de sécurité premiers, d'autre part, que le risque de se faire entraîner par les engins de pêche lors du filage était identifié et qualifié d'élevé par ce dernier dans le document unique de prévention des risques ».

Cette décision illustre une nouvelle fois « la vocation supplétive » de la faute caractérisée (Y. Mayaud, obs. ss. Crim 15 oct. 2002, n° 01-83.351, RSC. 2003. 96). Le défaut de caractère particulier de l’obligation de prudence ou de sécurité́ prévue par la loi ou le règlement, empêchant que puisse être reprochée une faute délibérée, n'exclut pas que soit retenue contre un individu, le cas échéant, une faute caractérisée « le cercle de la faute caractérisée accueille, non seulement la faute caractérisée au sens strict, mais aussi la faute délibérée imparfaite, celle dont le caractère délibéré est certain mais qui procède d’un manquement trop général pour donner lieu à une sanction aggravée » (E. Dreyer, ss. Crim. 31 janv. 2006, JCP G 2006, II, 10079). Autrement dit, l'impossibilité de recourir à la faute délibérée, lorsque les circonstances de l'espèce ne peuvent en rejoindre les éléments de définition, n'est pas un obstacle à la responsabilité, si le comportement reproché au prévenu recoupe une action ou une omission par ailleurs autrement répréhensible. Aux juges de procéder à la requalification le cas échéant. Une telle requalification n’est pas une nouveauté (Crim. 4 oct. 2005, n° 04-84.199 ; Crim. 15 oct. 2002, n° 01-83-351 ; Crim. 5 févr. 2002, n° 01-81.470). En l’espèce, c’est la Cour de cassation qui y procède ici tout en rappelant, dans le sommaire de la décision en ligne, que les juges du fond peuvent librement le faire.

Références :

 Crim. 15 oct. 2019, n° 18-85.231.

 Crim 25 juin 1996, n° 95-86.205 P : D. 1996. 239 ; RSC 1997. 106, obs. Y. Mayaud ; ibid. 390, obs. J.-H. Robert.

 Aix en Provence, 22 nov. 1995, n° XAP221195X : D. 1996. 405, note J. Borricand ; Gaz. Pal. 1996, 1, 112, note J.-P. Doucet.

 Grenoble, 19 févr. 1999, n° XGRE190299X : D. 1999. 480, note M. Redon ; ibid. 2000. 33, obs. Y. Mayaud ; JCP G 1999.II.10171, note P. Le Bas.

 Crim. 24 sept. 2013, n°12-87.059 P : D. 2013. 2443, note P. Hennion-Jacquet ; ibid. 2713, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin ; AJ pénal 2013. 605, obs. C. Lacroix ; Dr. soc. 2014. 827, chron. R. Salomon.

 TGI La Rochelle, 7 sept. 2000, n° XTGILR070900X : D. 2000, IR 250, Gaz. Pal. 2000. 2. 2369, LPA 23 nov. 2000, no 234, p. 13, note Vital-Durand, RSC 2001. 156, obs. Mayaud.

 Crim. 10 déc. 2002, n° 02-81.415 P : RSC 2003. 332, obs. Y. Mayaud.

 Crim. 4 oct. 2005, n° 04-84.199 P : AJ pénal 2006. 38, obs. C. Saas ; RSC 2006. 64, obs. Y. Mayaud.

 Crim. 15 oct. 2002, n° 01-83-351 P : D. 2003. 244, et les obs., obs. G. Roujou de Boubée ; RSC 2003. 96, obs. Y. Mayaud.

 Crim. 5 févr. 2002, 01-81.470 : RSC 2002. 585, obs. Y. Mayaud.

 

Auteur :Caroline Lacroix


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