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Droit pénal spécial
Homicide involontaire : représentant de la personne morale et délégation de pouvoirs
Mots-clefs : Homicide involontaire, Personne morale (responsabilité, représentant), Délégation de pouvoirs (preuve), Obligation de sécurité ou de prudence prévue par la loi ou le règlement (manquement)
Doit être cassé l’arrêt qui, pour condamner la société EDF pour homicide involontaire, retient que l’infraction a été commise par deux agents qui, leur statut et leurs attributions étant clairement définis, étaient les représentants de la personne morale, « nonobstant l’absence formelle de délégation de pouvoirs ».
Le 29 avril 2004, un employé d’une société martiniquaise à laquelle EDF avait fait appel pour procéder au remplacement d’isolateurs et de parafoudres fit une chute mortelle alors qu’il faisait l’ascension d’un poteau électrique, après avoir reçu une forte décharge électrique. Les deux agents EDF chargés de procéder conjointement aux différents travaux préalables à l’opération furent déclarés coupables d’homicide involontaire pour avoir, dans le cadre du travail, par manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, provoqué la mort de la victime, faute pour eux de s’être assurés de la mise hors tension d’un poteau électrique sur lequel ils avaient laissé l’employé intervenir. L’entreprise elle-même fut condamnée et, pour confirmer ce jugement, la cour d’appel déduisit du statut des deux agents et de leurs attributions qu’ils étaient représentants de la personne morale, « nonobstant l’absence formelle de délégation de pouvoirs ».
La chambre criminelle censure ici la cour d’appel qui, « en se prononçant ainsi, sans mieux s’expliquer sur l’existence effective d’une délégation de pouvoirs ni sur le statut et les attributions des agents mis en cause propres à en faire les représentants de la personne morale, au sens de l’article 121-2 du code pénal, (…) n’a pas justifié sa décision ».
Aux termes de l’alinéa 1er de l’article 121-2, « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Innovation du Code pénal de 1994, la responsabilité pénale des personnes morales, qui s’applique aujourd’hui à toutes les infractions, « n’exclut pas celle des personnes physiques ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 » (art. 121-1, al. 3 C. pén.).
Analysant la seule responsabilité d’EDF, la Haute cour reproche à la cour d’appel de ne pas avoir assez caractérisé les conditions de son engagement. En particulier, c’est la qualité de représentant de la personne morale qui, pour la chambre criminelle, n’est pas établie. Sont représentants de la personne morale les personnes physiques qui ont le pouvoir légal ou statutaire d’agir au nom de celle-ci (classiquement, le directeur général, le gérant, le président du conseil d’administration, l’administrateur provisoire, l’administrateur judiciaire). En principe, les salariés ou préposés sont exclus mais la Cour de cassation a considéré que les personnes physiques ayant reçu une délégation de pouvoirs de la part des organes de la personne morale étaient les représentants de celle-ci (Crim. 9 nov. 1999 ; Crim. 26 juin 2001). Cette assimilation de la qualité de délégataire à celle de représentant s’étend même à l’hypothèse d’une subdélégation. Les juges sont néanmoins tenus de préciser que les négligences ou imprudences ont été commises par des organes ou des représentants de la personne morale (v. par ex. Crim. 18 janv. 2000 ; Crim. 29 avr. 2003 ; Crim. 1er avr. 2008), ce que rappelle la chambre criminelle dans le présent arrêt.
Crim. 11 oct. 2011, no 10-87.212, F-P+B
Références
[Droit pénal]
« Fait de donner la mort à autrui, constitutif de meurtre lorsqu’il est intentionnel et d’homicide involontaire lorsqu’il est non intentionnel. »
[Droit général]
« Groupement doté de la personnalité juridique, donc titulaire lui-même de droits et d’obligations abstraction faite de la personne des membres qui le composent : société, association, syndicat, État, collectivités territoriales, établissements publics.
La Cour de cassation affirme, s’agissant du droit privé, que “ la personnalité morale n’est pas une création de la loi ”; qu’elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective pour la défense d’intérêts licites, dignes, par suite, d’être juridiquement reconnus et protégés. »
Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.
■ B. Bouloc, Droit pénal général, 22e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2011, nos 330 s.
■ Rép. pén. Dalloz, Vo « Santé et sécurité au travail », par M. Segonds, nos 71 s., spéc. no 73.
■ Crim. 9 nov. 1999, Bull. crim. no 252 ; RSC 2000. 389, obs. Mayaud, et 600, obs. Bouloc.
■ Crim. 26 juin 2001, Bull. crim. 161; RSC 2002. 95, obs. Bouloc.
■ Crim. 18 janv. 2000, Bull. crim. no 28 ; JCP 2000. II. 10395, note Debove ; D. 2000. 636, note Saint-Pau.
■ Crim. 29 avr. 2003, Bull. crim. no 91.
■ Crim. 1er avr. 2008, n°07-84.839, Dr. pénal 2008. 140.
■ Code pénal
« Les personnes morales, à l'exclusion de l'État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants.
Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public.
La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3. »
« Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre.
Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de mise en danger délibérée de la personne d'autrui.
Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer.
Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »
« Est auteur de l'infraction la personne qui :
1° Commet les faits incriminés ;
2° Tente de commettre un crime ou, dans les cas prévus par la loi, un délit. »
« La tentative est constituée dès lors que, manifestée par un commencement d'exécution, elle n'a été suspendue ou n'a manqué son effet qu'en raison de circonstances indépendantes de la volonté de son auteur. »
« Sera puni comme auteur le complice de l'infraction, au sens de l'article 121-7. »
« Est complice d'un crime ou d'un délit la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation.
Est également complice la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre. »
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