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[ 4 mai 2021 ] Imprimer

Procédure pénale

Homologation de la CRPC : le juge doit exercer son plein office

Il se déduit de la réserve d’interprétation énoncée par le Conseil constitutionnel dans sa décision no 2004-492 DC du 2 mars 2004 que le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement commande que le président du tribunal judiciaire ou son délégué exerce, lors de l’audience d’homologation de la peine proposée, son plein office de juge du fond.

Crim. 30 mars 2021, n° 20-86.358

Dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour financement illicite de parti politique par personne morale et abus de confiance, le juge d’instruction prononça la disjonction de l’affaire concernant un mis en examen et renvoya ce dernier devant le procureur de la République pour mise en œuvre d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC), en utilisant la « passerelle » prévue à l’article 180-1 du Code de procédure pénale. 

La procédure de CRPC fut mise en œuvre mais le juge délégué par le président du tribunal judiciaire de Paris refusa d’homologuer la proposition de peine, au motif que « la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité n’[était] pas adaptée s’agissant de M. X., les deux autres mis en examen ayant refusé une telle procédure » et estimant que « le refus d’homologation permettra[it] au tribunal éventuellement saisi de l'affaire de statuer en cohérence sur le rôle de chacun des trois mis en examen, dans leur connaissance des faits reprochés ». Le procureur de la République forma alors un pourvoi contre cette ordonnance en date du 4 novembre 2020. 

Par son arrêt du 30 mars 2021, la chambre criminelle accepte d’examiner le pourvoi mais conclut à son irrecevabilité. Elle précise d’abord que, dans la mesure où aucun recours n’est prévu par la loi contre l’ordonnance de refus d’homologation, un pourvoi n’est possible que s’il fait apparaître un risque d’excès de pouvoir relevant du contrôle de la Cour de cassation. Puis elle estime en l’occurrence que le juge délégué n’a pas commis aucun excès de pouvoir dès lors que le principe de séparation des autorités de poursuite et de jugement lui commandait d’exercer son plein office de juge du fond.

La CRPC est une procédure inspirée du droit anglo-saxon (plea bargaiging = plaider coupable), créé par la loi Perben II du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité et prévue aux articles 495-7 et suivants du Code de procédure pénale. Il s’agit à la fois d’une modalité de poursuite et d’une procédure de jugement alternative au jugement « classique » en matière correctionnelle (évoquant un « mode de saisine avec audience résultant d’un choix du ministère public », V. X. Pin, Procédure pénale, Cours Dalloz, 7e éd., 2020, nos 399 s.) qui s’applique par principe à tous les délits (par exception, elle est exclue pour les mineurs, les délits politiques, de presse, les homicides involontaires et les atteintes à l’intégrité des personnes et agressions sexuelles faisant encourir une peine supérieure à 5 ans). Le procureur de la République peut recourir à cette procédure soit d’office, soit à la demande de l’intéressé ou de son avocat, dès lors que le premier reconnaît les faits qui lui sont reprochés (C. pr. pén., art. 495-7).  

La procédure de CRPC se déroule en 3 étapes. 

La première est la proposition du parquet, qui permet au procureur de proposer à l’auteur une ou plusieurs peines principales, dont la nature et le quantum doivent tenir compte des circonstances de l’infraction et de sa personnalité, étant précisé que la durée de la peine d’emprisonnement proposée ne peut être supérieure à trois ans (depuis la L. n° 2019- 222 du 23 mars 2019 ; auparavant le quantum maximum était fixé à un an seulement) ni, en tout état de cause, à la moitié de la peine encourue (C. pr. pén., art. 495-8). 

La deuxième étape est celle de l’acceptation éventuelle de la proposition par la personne, assistée par un avocat, sur-le-champ ou à l’issue d’un délai de 10 jours. 

Dans la positive s’ouvre alors la troisième et dernière étape, qui est celle de l’homologation par un juge du siège (en cas de refus, le procureur la renvoie devant le tribunal correctionnel ou requiert l’ouverture d’une instruction ; C. pr. pén., art. 495-12) : la personne comparaît devant le président du tribunal ou le juge délégué par lui et va être entendue, ainsi que son avocat, afin de vérifier la réalité des faits et leur qualification (C. pr. pén., art. 495-9). L’article 495-11 précise que l’ordonnance d’homologation doit être motivée par rapport à la reconnaissance de culpabilité, la validité du consentement et le caractère justifié de la peine au regard des circonstances de l’infraction et de la personnalité de l’auteur. L’article 495-11-1, introduit par la loi du 23 mars 2019 mais reprenant les termes de la décision n° 2004-492 DC, précise désormais expressément que le juge peut refuser d’homologuer s’il estime que la nature des faits, la personnalité de l’auteur, la situation de la victime ou les intérêts de la société justifient une audience correctionnelle ordinaire ou quand les déclarations de la victime, entendue devant lui, apportent un éclairage nouveau sur les faits ou la personnalité de l’auteur. L’ordonnance de refus d’homologation entraine le renvoi devant le tribunal correctionnel ou le juge d’instruction (C. pr. pén., art. 495-12), étant précisé que le procès-verbal de la procédure ne pourra pas être communiqué à la juridiction et qu’aucune partie ne pourra faire état des déclarations faites ou des documents remis au cours de la procédure (C. pr. pén., art. 495-14). 

Par cet arrêt, la Cour de cassation précise que « les motifs énumérés par les articles 495-9, 495-11 et 495-11-1 du Code de procédure pénale ne sauraient limiter [le] pouvoir d’appréciation » du juge de l’homologation, qui doit donc exercer, dans le cadre de l’audience dédiée, son « plein office de juge du fond » (estimant que le « principe de judiciarité », « extrêmement proche de celui de séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement » et « qui concourt à la sauvegarde de la liberté individuelle », peut s’opposer à l’homologation, V. F. Molins, Rép. pén. Dalloz, vo Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, n° 40). Fondée sur la réserve d’interprétation adoptée par le Conseil constitutionnel dans sa décision DC sur la loi Perben II, la solution rappelle, s’il fallait s’en convaincre, que la CRPC n’est pas qu’une modalité de poursuite mais également une modalité de jugement. En creux, on lit dans la motivation du juge délégué que c’est l’intérêt d’une bonne justice (cf. « les intérêts de la société » visés à l’art. 495-11-1 préc.) qui l’a guidé, dès lors qu’une homologation aurait empêché de « statuer en cohérence sur le rôle de chacun des trois mis en examen ». Le refus d’homologation équivaut ici à un refus de la disjonction du dossier décidée par le juge d’instruction. 

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC)

■ Cons. const. 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, no 2004-492 DC : D. 2004. 2756, obs. B. de Lamy ; ibid. 956, chron. M. Dobkine ; ibid. 1387, chron. J.-E. Schoettl ; ibid. 2005. 1125, obs. V. Ogier-Bernaud et C. Severino ; RSC 2004. 725, obs. C. Lazerges ; ibid. 2005. 122, étude V. Bück ; RTD civ. 2005. 553, obs. R. Encinas de Munagorri.

 

Auteur :Sabrina Lavric


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