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[ 6 juillet 2021 ] Imprimer

Droit de la famille

Homologation d’une convention de divorce : attention au revirement de l’un des époux

Le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences d’un divorce par consentement mutuel qu’en présence de conclusions concordantes des époux sur le contenu de cette convention jusqu’au terme de l’instance en divorce.

Civ. 1re, 9 juin 2021, n° 19-10.550

L’accord des conjoints est la condition sine qua none du divorce par consentement mutuel. Cette volonté commune des anciens époux confère à ce cas de divorce sa spécificité. 

En effet, ce qui singularise le divorce par consentement mutuel, est qu’il suppose l’existence d’un accord portant à la fois sur le principe de la rupture et les conséquences de celle-ci (appelé convention d’homologation)

Toutefois, l’entente des époux est à la fois essentielle et insuffisante : la dissolution du mariage suppose encore aujourd’hui l’intervention d’un magistrat, en charge d’homologuer l’accord trouvé (C. civ., art. 230). Or la nécessité de cette intervention judiciaire, loin d’affaiblir le caractère conventionnel de ce cas de divorce, le renforce : en effet, le contrôle du juge vise en priorité à vérifier l’existence d’un réel accord des volontés des époux pour former ce contrat spécial qu’est la convention d’homologation. Tel est le principal enseignement de l’arrêt rapporté, faisant dépendre le pouvoir du juge d’homologuer la convention des époux du maintien de leur accord commun sur son contenu jusqu’au jour où il statue.

Un couple ayant opté pour un divorce consentement mutuel avait, conformément aux règles applicables, formalisé leur accord dans un acte notarié puis déposé une requête conjointe en divorce (C. pr. civ., art. 1088 s.). Alors que leur instance en divorce était sur le point d’aboutir au jugement d’homologation de leur convention et au prononcé consécutif du divorce (C. pr. civ., art. 1099, al. 3), l’épouse estima finalement que le contenu de la convention ne préservait pas suffisamment ses intérêts patrimoniaux, et déposa des conclusions en vue de la non-homologation de l’acte notarié. La cour d’appel lui donna gain de cause : elle dit n’y avoir pas lieu à homologuer cet acte « de nature à affecter l’équilibre de la convention et les intérêts des parties », et ordonna en conséquence la liquidation et le partage des intérêts patrimoniaux des conjoints. L’ex-époux intimé se pourvut alors en cassation, principalement pour contester le bien-fondé de l’appel : il reprochait en effet aux juges du fond leur refus d’homologation alors que la convention avait été régulièrement négociée, avec l’assistance d’un avocat et signée devant notaire, et que le prétendu déséquilibre crée par ses termes n’était pas motivé, la cour s’étant prononcée « sans rechercher ni expliquer en quoi l’équilibre entre les intérêts des parties n’y était pas préservé » (§  11). 

Cette thèse promettait d’être approuvée. En effet, l’obligation de rédiger la convention d’homologation avec l’intervention d’au moins un avocat et celle d’un notaire lorsque, tel qu’en l’espèce, des biens immobiliers sont concernés (C. civ., art. 250 ; C. pr. civ., art. 1090 et 1091), avait bien été respectée. Aussi bien, le juge est-il censé contrôler la réalité et l’intégrité des consentements exprimés, ainsi que la préservation des intérêts des conjoints ; si ces conditions sont remplies, il doit homologuer la convention et prononcer le divorce à l’issue de la première et unique audience des époux (C. civ., art. 268), sauf au magistrat à déceler une raison pour ne pas y procéder, à l’appui d’une motivation suffisante pour justifier son rééquilibrage du pacte, avec l’accord des parties (C. pr. civ., art. 1099, al. 2), ou l’injonction faite aux époux de lui présenter sous un délai de six mois une nouvelle convention (C. civ., art. 250-2, al.2 ; C. pr. civ., art. 1100, al. 1er et 2), selon des conditions et garanties qu’il précise (C. pr. civ., art. 1100, al. 3). Or il est vrai que, limitée à la reproduction des moyens des parties, la motivation de la décision de la cour d’appel pour juger la convention déséquilibrée semblait, par son laconisme, insuffisante. 

Le pourvoi de l’époux est pourtant rejeté, la Cour de cassation affirmant dans un attendu de principe rendu au visa de l’article 268 du Code civil que « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens » (§ 12). L’épouse ayant fait valoir que l’acte ne préservait pas suffisamment ses intérêts, « ledit acte ne reflète plus la commune intention des intéressés » (§ 13).

Sous l’angle processuel, cette solution avait déjà été affirmée l’année dernière pour faire dépendre la recevabilité d’une demande d’homologation présentée par un seul époux du dépôt par le second de conclusions concordantes (Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-10.088), la règle selon laquelle « le juge ne peut prononcer l’homologation d’une convention portant règlement de tout ou partie des conséquences du divorce qu’en présence de conclusions concordantes des époux en ce sens » étant déjà expressément affirmée. Cette exigence procédurale visait déjà à vérifier l’existence du consentement de celui des conjoints n’ayant pas sollicité l’homologation. Cette exigence est ici réitérée sous l’angle substantiel, la concordance des conclusions étant érigée en condition de formation de la convention d’homologation. Elle implique non seulement de constater l’existence du consentement de chaque conjoint à la convention à la date de sa conclusion, mais également le maintien de leur accord commun sur son principe comme sur son contenu jusqu’au terme de la procédure.

Cette interprétation nouvelle de l’article 268 du Code civil, que l’on pourrait qualifier de « contractualiste », souligne l’importance de l’accord commun des parties : à ce titre, la seule rencontre des volontés, à la date de la signature du pacte, ne suffit pas ; encore faut-il que cet accord perdure tout au long et jusqu’au terme de la procédure. Ainsi, l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle qui en découle, consubstantielle à la matière conventionnelle, est-elle mise en exergue à propos de cette convention spécifique régie non par le droit commun du contrat mais par les règles spéciales au divorce : malgré la spécificité de cette convention, les notions précitées, fondatrices de la théorie générale du contrat, se traduisent par la liberté laissée aux parties de solliciter le rejet de la demande d’homologation d’une convention qu’ils ont pourtant négociée et signée, sans autres motifs que leur refus ultérieur d’y souscrire, comme le leur permet le principe de liberté contractuelle, ici entendue comme la liberté de ne pas contracter, dont l’exercice n’a pas, conformément à la logique libérale imprégnant la théorie générale du contrat, à être motivé. En effet, de même que la requête en divorce « n’indique pas les faits à l’origine de la demande » (C. pr. civ., art. 1090), les raisons du revirement d’un époux sont indifférentes : détachée de toute obligation de motivation, cette liberté leur est ainsi pleinement reconnue. La Cour de cassation l’affirme d’ailleurs sans ambiguïté : le seul motif tenant à l’absence de conclusions concordantes suffit à justifier le refus d’homologation, abstraction faite des autres motifs (ie l’équilibre de la convention), jugés surabondants (§ 14). 

Cette liberté de changer d’avis soutient ainsi l’autonomie de la volonté et la liberté contractuelle des parties, libres de ne plus vouloir consentir à la convention d’homologation, sans motivation requise. C’est dire que jusqu’à son homologation judiciaire, la convention des parties est regardée comme un contrat ordinaire, ce qui explique également pourquoi le contrôle du consentement des parties, contrepartie nécessaire à la liberté laissée aux contractants, est ici opéré avec la même méticulosité que par le juge du contrat. Le Code civil fait d’ailleurs expressément peser sur le juge de l’homologation la charge de s’assurer de l’existence du consentement de chacun des conjoints, dont dépend la rencontre de leurs volontés : il « homologue la convention et prononce le divorce s’il a acquis la conviction que la volonté de chacun des époux est réelle et que leur consentement est libre et éclairé » (C. civ., art. 232, al. 1er ; C. pr. civ., art. 1099, al. 1er). Cette approche contractualiste ne trouve en définitive sa limite qu’une fois la convention homologuée : indispensable à l’efficacité de l’accord, l’homologation judiciaire de la convention confère en effet à celle-ci une valeur particulière, ayant la même force exécutoire qu’une décision de justice (C. civ., art. 279).

La nécessité de conclusions concordantes est donc le corollaire de la recevabilité d’une demande d’homologation présentée par un seul époux. Il en résulte un contrôle resserré d’un accord commun des parties, qui doit non seulement être exprimé, mais maintenu et ainsi, une préservation renforcée de l’autonomie de la volonté et de la liberté de sa manifestation : n’ayant pas vocation à demeurer inchangée, la volonté des époux les laisse libre de conclure, sans motifs à l’appui, à la non-homologation de la convention convenue jusqu’à la clôture de la procédure. 

Il en ressort enfin que le contrôle judiciaire doit être vu non comme un frein mais comme un soutien au processus conventionnel du règlement des effets du divorce par consentement mutuel ; c’est pourquoi l’autonomie de la volonté des parties et leur liberté contractuelle se trouvent ainsi mises à l’honneur : le juge se voit contraint de s’y soumettre en amont, quitte à en corriger les méfaits en aval, si un déséquilibre dans le contenu de la convention devait advenir. Mais la priorité est donnée à la volonté commune des conjoints, par le biais de l’exigence de conclusions concordantes ; ce n’est que dans un second temps que le juge est autorisé à contrôler le contenu du pacte convenu entre les époux. 

En définitive, cette nouvelle interprétation de l’article 268 du Code civil par la Cour soutient l’équilibre recherché entre la liberté conventionnelle des parties et son encadrement judiciaire.

Références

■ Dalloz coaching : Le divorce par consentement mutuel

■ Civ. 1re, 12 févr. 2020, n° 19-10.088 P : DAE 27 mars 2020, note Merryl Hervieu ; D. 2020. 389 ; ibid. 2190, chron. S. Robin-Raschel, X. Serrier, V. Champ, S. Vitse, C. Azar, E. Buat-Ménard, R. Le Cotty et A. Feydeau-Thieffry ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2020. 307, obs. J. Casey ; RTD civ. 2020. 353, obs. A.-M. Leroyer

 

Auteur :Merryl Hervieu

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