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[ 9 avril 2018 ] Imprimer

Droit de la famille

Homoparentalité : exclusion de la possession d’état

Dans un couple de même sexe, la filiation ne peut être établie que par adoption, à l’exclusion de la possession d’état.

Saisie pour avis par le tribunal d'instance de Saint-Germain-en-Laye, dans le cadre de la procédure spéciale légalement prévue à cet effet (COJ, art. L. 441-1 ; C. pr. civ., art. 1031-1), la Cour de cassation devait répondre à la question suivante : un acte de notoriété faisant foi de la possession d’état peut-il être délivré au bénéfice du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation est déjà établie ? Celle-ci vient d’y répondre par la négative, estimant que « le juge d'instance ne peut délivrer un acte de notoriété faisant foi de la possession d'état au bénéfice du concubin de même sexe que le parent envers lequel la filiation est déjà établie ». 

La possession d’état consiste dans « une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir » (C. civ., art. 311-1). Lorsqu’elle est « continue, paisible, publique et non équivoque » (C. civ., art. 311-2), elle est susceptible d’établir la filiation lorsqu’elle est constatée soit dans un jugement, soit dans un acte de notoriété. Ce dernier est établi par le juge du tribunal d’instance et fait foi de l’existence d’une possession d’état.

La Cour justifie son refus de le délivrer, dans le cas soumis à son opinion, par l’impossibilité d'établir autrement que par l’adoption un lien de filiation à l'égard de deux personnes de même sexe. En effet, la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 ayant conféré aux couples composés de personnes de même sexe le droit de se marier leur a également donné celui de recourir à l’adoption, en autorisant l'adoption plénière de l'enfant du conjoint, lorsque ce dernier a fait l'objet d'une adoption plénière par ce seul conjoint (C. civ., art. 345-1, 1°, bis). 

Ainsi le législateur a-t-il entendu faciliter l'accès de l'établissement d'un double lien de filiation à l'égard d'un enfant, pour les couples mariés qui ne peuvent objectivement procréer du fait de l'identité de sexe des époux et reconnaître, pour la sécuriser, la situation des enfants qui grandissaient de fait dans une famille homoparentale, avant même l’entrée en vigueur de la loi, l’adoption par un célibataire, notamment homosexuel, étant depuis longtemps possible. 

Afin de garantir l'identité d'effets entre les différents types de mariage – hétérosexuel ou homosexuel – la loi a également inséré à l’article 6-1 du Code civil une disposition générale d'interprétation et de coordination selon laquelle « le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations reconnus par les lois, à l'exclusion de ceux prévus au titre VII du livre 1er du présent code, que les époux ou les parents soient de sexe différent ou de même sexe ». Le syllogisme sur lequel repose le texte paraît évident : un couple de personnes de même sexe peut contracter un mariage (C. civ., art. 143) ; un couple marié peut adopter (C. civ., art. 343), donc un couple marié de personnes de même sexe peut adopter.

Partant, la question adressée à la Cour de cassation méritait d’être posée : en quoi l'établissement de la filiation d'un enfant à l'égard de deux personnes de même sexe ne devrait-il avoir lieu que par adoption ?

Pour justifier cette restriction, la Cour de cassation s’appuie sur la lettre du texte, rappelant que la loi du 17 mai 2013 a expressément exclu qu’un lien de filiation puisse être établi à l’égard de deux personnes de même sexe autrement que par l’adoption, ce dont il ne peut être que déduit que les autres modes d’établissement de la filiation prévus par le droit positif, tels que la reconnaissance ou la présomption de paternité, ou encore la possession d’état, ne sont pas ouverts aux époux de même sexe, et a fortiori aux concubins de même sexe. En d'autres termes, les dispositions relatives à la filiation demeurent encore étroitement liées à une réalité biologique objective, celle de la différence sexuelle nécessaire à la procréation, si bien que les couples de même sexe ne pourraient pas invoquer les présomptions ou les allégations que ces dispositions prévoient et qui, comme la présomption de paternité ou la possession d’état, reposent sur la vraisemblance d’une réalité biologique pour admettre l’établissement d’une filiation juridique. Ainsi la loi présume-t-elle que le géniteur est le conjoint de la mère de l’enfant, ou que l’homme ou la femme qui s’est effectivement comporté comme le parent de l’enfant est considéré comme tel par l’environnement du couple, est autorisé à rapporter la preuve de la possession d’état alléguée, alors que l’identité sexuelle d’un couple rend naturellement improbable l’éventualité d’une telle réalité filiale. La réalité biologique oblige donc à considérer que l'adoption, filiation élective et fictive, est le seul moyen de créer un lien de filiation entre un enfant et les deux membres du couple de même sexe. En revanche, cette adoption engendre, pour échapper au grief de discrimination, les mêmes effets, quelle que soit la nature du couple marié. L'ouverture du mariage aux couples de même sexe ne signifie donc pas pour autant, selon la Cour, que tous les modes d'établissement de la filiation soient également reconnus à ces époux, opinion mesurée propre à dissiper les craintes encore ressenties par les opposants au « mariage pour tous », souvent fondées sur la perspective d’une admission sans restriction de l’homoparentalité.

La Haute cour ajoute également qu’en toute hypothèse, l’article 320 du Code civil dispose que, tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait, cette disposition s’opposant à ce que deux liens de filiation maternels ou deux liens de filiation paternels puissent être établis à l’égard d’un même enfant.

Pour toutes ces raisons, elle s’oppose sans réserve à la délivrance judiciaire d’un acte de notoriété faisant foi de la possession d'état de l'enfant au bénéfice du concubin de même sexe que son parent. 

Civ. 1re, avis, 7 mars 2018, n° 17-70.039 P

Référence

■ Fiche d’orientation Dalloz : Possession d’état

 

Auteur :M. H.

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